Virginité : la cour d'appel de Douai "remarie" les époux de Lille
Les fameux "époux de Lille" sont à nouveau mari et femme : dans un arrêt rendu lundi 17 novembre, la cour d'appel de Douai a cassé l'annulation prononcée par le tribunal de Lille, qui avait fondé sa décision sur le fait que l'épouse avait menti sur sa virginité. "Ces deux personnes sont toujours mariées, a regretté Xavier Labbée, l'avocat du marié. Cet arrêt m'apparaît très inquiétant : en déclarant recevable l'action du parquet dans un litige de pur droit privé relatif à l'intimité du couple, la cour d'appel de Douai a ouvert une porte : elle autorise désormais le parquet à contrôler les âmes et les consciences."
Le 1er avril, le tribunal de Lille avait annulé un mariage célébré en 2006 à Mons-en-Baroeul (Nord) entre un informaticien et une étudiante infirmière. Selon Me Labbée, son client avait "découvert" lors de la nuit de noces que son épouse, pourtant considérée "comme célibataire et chaste", n'était pas vierge. "Elle lui aurait alors avoué une liaison antérieure et aurait quitté le domicile conjugal", soulignait-il dans ses conclusions. Estimant que la vie commune avait "commencé par un mensonge", le jeune homme avait demandé l'annulation.
La jeune fille, qui souhaitait, elle aussi, se désengager au plus vite de cette union, s'était associée à sa demande et tous deux avaient invoqué l'article 180 du code civil, qui prévoit la nullité du mariage en cas d'"erreur dans la personne ou sur les qualités essentielles de la personne". Cette procédure, qui permet de faire comme si l'union n'avait jamais existé, est rarement invoquée : en 2004, 80 mariages ont été annulés pour ce motif, alors que la justice prononçait cette année-là 131 000 divorces.
LA PREUVE "N'EST PAS UTILEMENT FAITE"
Quelles sont les "erreurs sur les qualités essentielles de la personne" qui justifient l'annulation d'un mariage ?
- A Paris, un mariage a été annulé en 1982 parce qu'une femme ne savait pas que son mari était impuissant et,
- en 2002, parce qu'un mari ignorait que sa femme s'était jadis prostituée. Une annulation a également été prononcée
- à Vesoul, en 1989, parce que l'épouse ignorait que son mari était sous curatelle et
- à Dinan, en 2006, car une épouse avait appris la séropositivité de son mari après la cérémonie.
Le 1er avril, le tribunal de Lille avait considéré que le mariage contesté de Mons-en-Baroeul pouvait entrer dans le cadre de l'article 180. La jeune femme ayant donné son accord à une demande de nullité fondée sur un mensonge sur sa virginité, "il s'en déduit que cette qualité avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement du (jeune homme) au mariage projeté", soulignait les attendus. Le mariage avait donc été annulé pour "erreur sur les qualités essentielles du conjoint".
La première chambre civile de la cour d'appel de Douai a tenu un tout autre raisonnement. Dans son arrêt, elle souligne que, contrairement à ce qu'affirme le tribunal de Lille, l'acquiescement de la mariée à cette demande de nullité "ne vaut pas adoption" du raisonnement tenu par son époux, ni même "aveu" du mensonge sur la virginité qu'il invoque. Elle ajoute ensuite que la preuve de ce fameux mensonge sur la virginité n'est pas "utilement faite" par la procédure.
Mais surtout, elle conteste que la virginité puisse être considérée comme une "qualité essentielle de la personne" au sens où l'entend l'article 180 du code civil. La virginité "n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale", estime la cour. "En toute hypothèse, le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n'est pas un fondement valide pour l'annulation d'un mariage, ajoutent les magistrats. Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité."
Aujourd'hui, les époux n'ont d'autre choix que de se pourvoir en cassation ou de divorcer. S'ils se pourvoient en cassation - ils ont deux mois pour le faire -, la Cour devra dire si la cour d'appel de Douai a eu raison d'estimer qu'un mensonge sur la virginité ne pouvait justifier l'annulation d'un mariage. S'ils préfèrent divorcer, la procédure ira sans difficulté jusqu'à son terme mais ils n'auront pas la satisfaction de voir la justice annuler à jamais ce mariage qu'ils tiennent visiblement à oublier.
Anne Chemin, Le Monde