Mali-sur-Seine
L’Ile-de-France compte 250 foyers de travailleurs migrants

Il y a un bout d’Afrique méconnu sur les
rives de la Seine. Des villages cachés derrière
les portes des foyers de travailleurs
migrants. Ces foyers-là – maliens pour la
plupart – sont souvent des toits inespérés pour
des sans-papiers. «Chez nous, la solidarité, c’est obligé,
sinon, au pays on est critiqués», assure Moussa
Soukana, 61 ans, un habitant du foyer Les
Alouettes, à Alfortville,
dans le Val-de-Marne.
Ce vieil homme partage
sa chambre de 10m2 avec
cinq autres membres de
sa famille. Des «frères», ditil
sagement, il en a aidé
beaucoup depuis ses quelque quarante années en
France. Le dernier de la liste, c’est son neveu,
Mody, 26 ans, qui vient tout juste d’être régularisé.
«Je n’aurais jamais pu réussir en France sans l’aide
des miens», raconte le jeune homme.
Tous les sans-papiers le savent: s’ils veulent survivre
en France, ils doivent se rapprocher d’un
ami, d’un cousin, d’un parent. «Même si un compatriote
ne connaît personne, il reste un frère qu’il faut
épauler», explique Brahima Koné, président de
l’Association malienne des droits de l’homme
(AMDH). Et dans les foyers, les sans-papiers et les
nouveaux arrivant en règle vont être «complètement
pris en charge», précise Gregory Mann, professeur
à l’université Columbia de New York,
spécialiste de l’histoire de l’Afrique occidentale
francophone.
Argent de poche jusqu’à 30 euros par semaine,
conseils pour éviter un contrôle de police, faire
des faux papiers pour trouver un travail, présenter
un collègue pour
faciliter l’embauche… Une
précieuse aide qui s’arrête
généralement quand le
bénéficiaire trouve un
emploi et peut ainsi se
prendre en charge. «Ça peut
durer longtemps, explique Moussa Sissoko, 63 ans,
habitant du foyer Bellièvre, situé dans le 13e
arrondissement de Paris. J’aide parce que c’est mon
devoir. Quand on donne de l’argent, ce n’est pas du crédit.
On ne rembourse pas.»
Et dans un foyer, «on peut y vivre sans jamais en
sortir», explique Moussa Diagouraga, 31 ans, en
France depuis quelques semaines. Dans certaines
chambres, des Maliens jouent les Taxiphone, les
couturiers, les coiffeurs, les bijoutiers... A l’entrée
des foyers, de 7 heures à 22 heures, des vieillards
en boubou proposent des encas, des cigarettes ou
des cartes téléphoniques. «Personne ne meurt de
faim chez nous», raconte Coulibaly Gaharo, un
habitant du foyer Bellièvre. Dans les cuisines,
autour de gigantesques marmites, des femmes
s’occupent du mafé, plat traditionnel: 1,50 euro
l’assiette de riz copieuse, 1 euro de plus avec le
poisson ou le poulet. Des voisins blancs ou maghrébins
du quartier ainsi que des SDF affamés en
profitent. «Notre aide est ouverte à tous», insiste
Hamidou Traoré, président des jeunes du foyer
Bara à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Mais cette solidarité a aussi sa limite, celle de
l’ethnie. Elle concerne essentiellement les
Soninké, qu’ils soient du Mali, du Sénégal ou de
Mauritanie.
Pour les autres ethnies, c’est plus difficile : ils
doivent payer leur logement. Les plus démunis,
pour espérer avoir un toit au-dessus de leur tête,
doivent récurer les cuisines ou les chambres de
la communauté…  Mustapha Kessous (direct matin du 27/08)