L'appel au calme de Samat, le rappeur
Lorsqu'il a composé « Trahison », Samat ne savait pas que d'autres jeunes de Stains perdraient la vie les jours suivants. « Cela faisait quatre ans que ça se passait plutôt bien, il n'y avait pas eu de morts, je ne pensais vraiment pas que ça continuerait », explique ce rappeur de Stains, membre du groupe la Rafale.
« La mobilisation de tous »
Son album, sorti en avril et plébiscité sur Internet, a précédé la mort de Sory, Souleymane et N'Semi.
Il y évoque le trafic de drogue, les armes qui ont fait couler le sang et, surtout, appelle à la raison la jeune génération. « A 15 ou 16 ans, les petits voient les plus grands passer avec une nouvelle voiture, ils veulent atteindre le million eux aussi, explique Samat. La chaîne ne finit jamais. Ce titre est dédié aux anciens de Stains mais s'adresse aussi à la génération des 13-14 ans. J'ai envie de leur dire que ça ne sert rien de prendre les armes, et qu'avec la came, tôt ou tard, on finit dans le cercueil. » L'histoire qu'il chante ne sort pas de son imagination. Il lui a suffi de mettre en mots ce qu'il savait. « Avant 1993, tout le monde était ensemble. Il n'y avait pas de drogue », dit Samat.
C'était avant l'euro et l'héroïne. Il y avait bien des rivalités violentes avec une cité de Saint-Denis, mais davantage liée à « l'orgueil » qu'à la drogue. Le sang ne coulait pas à l'intérieur de la cité. Depuis, les armes se sont invitées. Pourquoi ? « Quand il y a du business, il y a des armes. »
Croyant, il refuse de deviser sur l'avenir et préfère « laisser le destin à Dieu ». Il se contente de citer en exemple une cité dont il tait le nom, où le trafic d'héroïne a poussé des habitants à s'entretuer. « La nouvelle génération s'est mobilisée pour calmer tout ça et ça a marché. Il faut la mobilisation de tous. »
[ LE PARISIEN : Fait du jour ]
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« Y a pas de calcul, tu viens, tu donnes la mort, et voilà »
UN DES SUSPECTS mis sur écoute
Les policiers de Seine-Saint-Denis sont intervenus à temps. Le 23 mai, ils ont interpellé cinq hommes, soupçonnés de préparer un nouveau meurtre au Clos-Saint-Lazare, à Stains (Seine-Saint-Denis). Ils voulaient venger leurs amis Souleymane et N'Semi, abattus le 28 avril et le 15 mai, mais surtout s'assurer qu'ils ne seraient pas les prochains sur la liste.
Au détour des auditions et des interceptions téléphoniques réalisées lors de cette enquête, les policiers ont réuni de nombreux éléments sur ces assassinats. La série avait commencé le 26 mars avec la mort de Sory, un rival de ce petit groupe. Sur fond de trafic de drogue et de conflits entre bandes, dont les ennemis sont parfois issus d'une même famille, la rumeur de la cité qui en faisait les prochaines cibles a convaincu Jérôme, Issa, Abdou, Ali et Djibril*, âgés de 22 à 33 ans, de passer à l'action préventivement contre leurs rivaux.
« C'est la rumeur qui circulait... »
« Il y a plein de rumeurs qui tournent n'importe comment, a expliqué Issa devant le juge Olivier Géron. Il y a eu celle mettant en cause mon frère. De toute façon, si un avion s'écrasait sur la cité, on dirait que c'est à cause de lui. » Le magistrat interroge ensuite Issa : « Pourquoi vouloir vous tuer ? » Réponse : « Je ne sais pas. Ce sont de vieilles histoires. Il y a longtemps, ils ont essayé de tuer mon frère Abdou (NDLR : qui passait auprès de certains pour une balance après avoir témoigné dans un procès en 1998 ). Ils n'ont pas réussi. Peut-être qu'ils ont décidé de tuer ses frères. » « C'est la rumeur qui circulait comme quoi Abdou et Souleymane avaient commandité le meurtre de Sory », évoque Djibril. « Ma vie était en danger, a affirmé Jérôme. Je ne pouvais pas risquer de dormir chez moi. Il y avait des personnes vivant à Stains qui ont déjà tué plusieurs fois et qui avaient décidé que j'étais le suivant. » Effrayés par toutes ces « informations », les cinq complices ont donc décidé de passer à l'action « préventivement ». Ils ont commencé par quitter le Clos-Saint-Lazare pour se mettre au vert et préparer l'assassinat de deux de leurs rivaux depuis un hôtel de la périphérie parisienne.
« Quand deux amis se font tuer, vous cherchez à réagir »
Confrontés à une accélération des exécutions, les policiers ont mis sous surveillance l'entourage des victimes, craignant une vendetta. Les écoutes téléphoniques leur ont donné raison. Extraits : « J'ai pas cessé de répéter qu'il vaut mieux aller en zonzon (NDLR : prison) pendant six ans plutôt que de se retourner toutes les cinq minutes en te disant que les mecs sont peut-être derrière toi, prêts à te donner la mort. » Devant le juge, un autre précise : « Quand deux amis se font tuer, quand arrive aux oreilles de vos proches que vous êtes le prochain sur la liste, vous cherchez à réagir. » Une fois le Clos quitté, les cinq hommes ont cherché, et trouvé, le lieu où se cachaient leurs rivaux. Le 20 mai, pendant plusieurs heures, ils ont fait le guet devant l'hôtel de leurs ennemis dans une voiture. « Y a pas de calcul, a lâché l'un d'entre eux. Tu viens, tu donnes la mort aux gens, et voilà. Si tu vas te reposer les lauriers (sic) et qu'il se passe un truc, t'auras la rage toute ta vie. On sait qu'il ne faut pas rater l'occasion, on les a ratés la dernière fois et N'Semi a été abattu. » Alors que deux complices sont censés passer à l'action, ils imaginent la fusillade : « S'ils réussissent à en toucher même un, c'est bien. On aura fait du bruit, on leur aura montré de quoi on est capable. » Il n'y aura pas de mort ce jour-là. Voyant passer une voiture de police, le tireur rebrousse chemin. L'équipe est arrêtée trois jours plus tard.
« On a gêné ceux qui trafiquaient déjà »
Au-delà du crédit apporté aux rumeurs, il y a des faits. Depuis 1995, les morts s'additionnent au Clos-Saint-Lazare. Devant les policiers, un des suspects a livré quelques détails sur l'histoire de la cité. « Rico était le chef. Quand il est mort, sa bande s'est scindée en deux : certains sont partis au bled, d'autres en prison. » Des plus « jeunes » auraient alors cherché à reprendre en main le trafic. En garde à vue, Issa a d'ailleurs lâché avoir voulu se lancer dans ce « business » avec un ami. « On a gêné ceux qui trafiquaient déjà. On s'est fait voler notre shit et on a arrêté », assure-t-il aux policiers. « On avait tapé des petits qui vendaient de la drogue en bas de chez nous », dit Djibril, pour expliquer qu'on ait pu vouloir l'abattre en représailles. Issa décrit la coexistence de trois bandes pour un même trafic : « Les mecs d'en bas, les mecs du 40 (NDLR : en référence à un bâtiment), et ceux de la montagne (qui habitent en haut du Clos). » Au juge qui cherche à comprendre l'origine du contentieux, Jérôme répond : « Ils se sont fait monter la tête par d'autres. A la base, je
n'ai rien contre eux. »
* Les prénoms ont été modifiés
Par Carole Sterlé et Julien Dumond
[ LE PARISIEN : Fait du jour ]