Cet article que j'ai trouvé sur Seneweb pose vraiment la question.
Il est un peu long, mais, les arguments développés sont assez solides, à mon avis.
Le seul point de désaccord, pour moi, c'est qu'il privilégie une langue nationale (le Woloff) au détriment des autres qui ont aussi le mérite d'exister. Et puis, l'auteur oublie aussi que certaines réalités sont exprimées dans d'autres langues mais inexistantes en Woloff.

Mais, l'analyse est vraiment intéressante à tel point qu'on peut se demander aujourd'hui, si réellement les pays africains n'ont pas été freinés dans leur développement à cause de l'utilisation des langues occidentales.

C'est effarant le fossé qui existe entre le peuple et les elites du peuple qui gouvernent à cause de la langue de communication utilisée.

Les gouvernants ne font pas non plus des efforts pour développer l'usage des langue nationales. On se souvient qu'Alpha Oumar Konaré avait essayé, mais, on lui a mis les bâtons dans les roues. Il a dû abandonner son projet ambitieux de développement des langues nationales. Le sabotage est venu de l'occident où des retraités sont venus en sous-marin pousser les enseignants à faire grève contre son projet ambitieux des langues nationales. Il a dû abdiquer.

J'aimerais bien avoir le point de vue du président Abdou Diouf sur cet article.

Commençons par le commencement, l’origine du mal : l’éducation

Nous ne serons ni les premiers ni les derniers à soulever les inconvénients d’une scolarisation en français des enfants sénégalais. Comme l’a récemment déploré Fary Silate Kâ, président de l’Académie Sénégalaise des Langues Nationales parlant d’un paradoxe, « seuls les pays africains noirs continuent encore d’envoyer leurs enfants à l’école dans une langue qu’ils ne parlent pas à la maison ». Imaginez la rupture, l’angoisse, la contrainte, la torture psychologique et le choc qu’implique pour un enfant de six ou sept ans l’idée même de devoir faire sa scolarité dans une langue qu’il n’a jamais appréhendée au paravent. L’échec reste le sort le plus envisageable pour cet enfant dont la rupture entre les deux instances principales de socialisation est déjà consommée avant coup par le simple fait que la continuité éducative pourtant nécessaire à sa réussite et qui devrait s’instaurer entre la famille et l’école est rendue impossible par une discontinuité voire une rupture langagière. A six ou sept ans, l’enfant sénégalais connais déjà à travers sa langue maternelle (et le wolof) les mots et les choses et commence à acquérir quelques notions élémentaires de mathématique. Ainsi, une scolarisation dans cette même langue serait pour lui une continuité permettant de consolider ces pré-acquis à travers l’apprentissage de l’écriture, de la lecture et surtout une stimulation de l’intelligence d’autant plus rapide que les théories acquises à l’école pourront être continuellement opérationnalisées dans le cadre familial. Cheikh Anta Diop soulignait déjà dans Nations nègres et culture la nécessité et l’importance d’une scolarisation des Africains en général dans une langue nationale en ces mots : « Il est plus efficace de développer une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue étrangère ; un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la connaissance. Très souvent l’expression étrangère est comme un revêtement étanche qui empêche notre esprit d’accéder au contenu des mots qui est la réalité. Le développement de la réflexion fait alors place à celui de la mémoire. Le jour même où le jeune Africain entre à l’école, il a suffisamment de sens logique pour saisir le brin de réalité contenu dans l’expression. […] Cependant, puisqu’on a choisi de lui enseigner cette réalité dans une langue étrangère, il lui faudra un minimum de 4 à 6 ans, au bout desquels il aura appris assez de vocabulaire et de grammaire, reçu, en un mot, un instrument d’acquisition de la connaissance, pour qu’on puisse lui enseigner cette parcelle de réalité. » (p. 405)



De ce fait, on aura beau nous agiter à la figure des taux de scolarisation hyperboliques, les taux d’achèvement restent des moindres, dus notamment à un échec scolaire palpable et d’autant plus frustrant qu’il concerne des enfants parfois très doués mais qui ont la malchance d’être scolarisés dans une langue qui ne leur est pas intelligible parce que jusque-là inconnue et dans une école complexée où la moindre maladresse dans l’usage du français – pourtant langue étrangère – est sujette à railleries. L’école se démarque ici de sa vocation première en dévalorisant à nos yeux notre propre identité culturelle, cherchant systématiquement à nous couper de celle-ci, en dressant entre notre « environnement » et nous-mêmes une langue forcée qui agit comme un filtre court-circuitant dès le bas âge toutes nos capacités créatives, imaginatives et donc intellectuelles. Sur ce point, l’échafaudage de l’entreprise coloniale française est loin d’être rouillé.



Mais la nécessité d’une “désofficialisation“ de la langue français ne repose pas uniquement sur des arguments pédagogiques, elle est aussi politique, culturelle, morale, économique, donc totale.



Un hymne, une devise, une constitution, des lois, … écrits et diffusés, chantés uniquement en français, une langue étrangère. Il s’agit là d’un paradoxe alarmant car devrait-on se demander sur quoi est bâtie notre nation et où va-t-elle – tant que nous en avons une – si ce qui était sensé nous unir, galvaniser nos cœurs, doper notre patriotisme et notre civisme arrive systématiquement à nous diviser, excluant même la majorité des Sénégalais de la citoyenneté qui, rappelons-le, est plus un sentiment qu’un simple statut juridique. Ne serait-ce que pour arriver à lire et à chanter l’hymne national de notre pays, il faut être doté d’un certain niveau de scolarisation et donc de familiarité avec la langue française. Ne parlons même pas de ce qui est d’en comprendre et d’en décoder les subtilités sémantiques et vérificatives directement inspirées du Surréalisme, ainsi que de sa rythmique empruntée à une chanson populaire française. Bref, pour être citoyens sénégalais il nous faut, avant tout, être hyper francophones et parfois même francophiles complexés, reléguant nos propres langues, cultures et identités aux rangs d’indésirables.



Ne soyons donc pas étonnés de ce désengagement politique et surtout du désintérêt à la chose publique que dénoncent sans cesse les instances nationales. Tant que les gouvernants s’adresseront aux gouvernés et à leurs représentants dans une langue autre que la leur, s’érigera toujours une barrière symbolique entre les uns et les autres, faisant du sénégalais un pseudo-citoyen désincarné, non représenté, ignorant et manipulable au grand bonheur de nos « gouverneurs noirs », « bounties » au service de l’occident. On ne devrait pas s’en plaindre si les messages et les programmes politiques ne sont ni lus, ni compris, ni assimilés par le paysan de Paataar, le pêcheur de Get Ndar ou l’artisan de Ngaay qui ne comprennent aucun mot d’une langue étrangère mais par contre manient un Wolof d’une beauté et d’une richesse extraordinaires. Ne leur reprochons pas – s’ils peuvent le faire – de voter non pas pour des idées, mais pour des hommes et surtout des hommes qui n’ont pas d’idées : ils n’auront pas pu lire leur programme politique, encore moins le comprendre. Cette distance symbolique entre gouvernés et gouvernants est d’autant plus renforcée qu’elle est intériorisée et que l’opinion collective évalue les compétences des présidents, des ministres, des députés, etc. par leur maîtrise du français et surtout par leur capacité à aligner toujours dans la même langue une syntaxe et une rhétorique à rendre jaloux un Molière ou un Ronsard. Que de complexes ! Imaginez Nicolas Sarkozy s’adresser à la nation française en Anglais ou en Wolof. Ne soyons pas fous, ce n’est même pas imaginable et pourtant la comparaison n’est pas audacieuse parce que tout simplement nous sommes une nation libre. Pourquoi donc les messages à la nation des chefs d’Etat africains (sénégalais) sont écrits et lus dans une langue étrangère (Français), ne sont pas traduits en langues nationales (Wolof), alors que rien ne les y oblige ? Tout ceci contribue à creuser et à entretenir la fracture sociale entre les individus et les institutions.



Parlant de l’argument culturel et donc identitaire, les linguistes se sont mis d’accord depuis fort longtemps qu’une langue est toujours le reflet mécanique et structurel de la culture à laquelle elle correspond. En effet, l’hypothèse Sapir-Whorf de la relativité linguistique, pour résumer, reconnaît qu’il y a autant de visions du monde qu’il ya de langues. Par exemple un même mot, traduit d’une langue à une autre peut désigner la même réalité sans avoir la même signification symbolique. De la même façon qu’il n’existe pas de mots français pour désigner certaines de nos réalités les plus basiques. Dans ce cas précis, que gagnerions-nous à nous porter garants du rayonnement international du Français, une langue dans laquelle notre identité de Nègre n’a jamais été autant insultée ? Hormis les définitions de noir et de nègre dans les dictionnaires français, en attestent les sens des expressions comme « bête noire », « magie noire », « journée noire », « colère noire », « pensées noires », « parler petit nègre » et tant d’autres qui sont à l’origine du complexe d’infériorité que nourrissent certains d’entre nous parce que, à force de se regarder dans un miroir déformant, on finit par se croire laid. L’Afrique est devenue le continent francophone par excellence parce qu’on n’a jamais cessé de nous faire croire que c’est seulement avec l’usage du français que nous accéderons à l’universel. Si par universel on entend toujours occidental, alors pourquoi y prétendre dès lors que nous en sommes déjà disqualifiés par notre essence ?



Le bénéfice moral que nous aurons donc à adopter une de nos langues (le Wolof) comme langue de scolarisation, langue officielle à la place du Français, sera de nous réconcilier avec notre propre identité, de nous débarrasser enfin de nos démons historiques dont les spectres hantent toujours notre fierté, inhibant nos consciences dans une sorte d’éternelle schizophrénie culturelle. La domination d’un peuple par un autre se manifestant essentiellement par la privation d’une langue puis l’imposition d’une autre, l’abandon du Français au profit d’une de nos langues nous permettra ainsi, quand nous regarderons dans le rétroviseur de notre histoire, de voir plus loin qu’un passé enchaîné. Mais cela ne va pas sans un travail de recherche et d’investigation de longue haleine dans lequel il sera essentiellement question de reconstituer notre glorieux passé – celui du peuple Nègre – pour le raconter nous-mêmes à nos descendants, dans notre propre langue.



Sans pour autant étaler la farandole d’arguments d’ordre économique et non moins culturels que nous avons identifiés, nous pouvons certainement dire qu’il est également d’une évidence à crever l’œil qu’une économie de l’Afrique de l’humilité, de la spiritualité, de l’humanisme, du respect et de l’universalisme, ne peut en aucun cas avoir comme socle une ou des langues étrangères reflets de cultures ouvertement, historiquement et génétiquement ancrées dans un matérialisme pathologique.



En voici peut-être quelques raisons, mais l’abandon par les Africains des langues occidentales sera probablement le premier pas dans cette longue marche vers l’unité et la renaissance africaines dont les prémisses ont voulu être hâtées par l’érection d’une statue superfétatoire, œuvre d’un mégalomane ayant toujours voulu marquer son temps en vain.



Il est donc temps de créer nous-mêmes, pour reprendre les propos de Jean Philippe Omotunde, « les conditions de notre propre développement sur nos valeurs civilisationnelles en tenant compte de nos propres réalités culturelles et de notre savoir spirituel. Je pense que c’est cela le plus important. Il ne s’agit pas de faire la guerre à l’autre, il s’agit tout simplement de redevenir ce que nous avons toujours été, c'est-à-dire des Africains. »



Et c’est à cette seule et unique condition que l’on pourra s’ouvrir ensuite aux autres et que la mondialisation ne nous paraitra pas comme l’imposition à peine voilée d’une autre culture ou la subordination à une vision hégémonique du monde selon laquelle toute forme d’échange ne fait que nous perdre.



Ousseynou Ngom,
Source: Seneweb