Pendant sept ans, son casier judiciaire a porté mention de condamnations dont les auteurs étaient... des homonymes. Il vient d'être officiellement blanchi des délits qu'il n'avait pas commis.
Il cherche et cherche encore dans son épaisse documentation la trace écrite qui confirme le moindre de ses dires. Il a besoin de convaincre son interlocuteur. Moussa Traoré veut recouvrer son honneur. Pendant sept ans, son casier judiciaire a porté mention de condamnations dont les auteurs étaient... des homonymes. Il vient d'être officiellement blanchi des délits qu'il n'avait pas commis. Mais ce Malien de 29 ans qui a fondé une famille à Magny-les-Hameaux (Yvelines) n'entend pas en rester là. Il brandit la missive de la chancellerie qui l'innocente d'une formule laconique : « Je vous confirme qu'à ce jour aucune condamnation n'est plus inscrite à votre casier judiciaire. » Ça ne lui suffit pas. « Une formule détournée pour effacer sept ans de galère... Je suis en train de voir des avocats pour attaquer l'Etat français. Je ne demande pas la pitié, juste que l'Etat reconnaisse son erreur. »
Moussa découvre sa situation de repris de justice alors qu'il postule à un emploi d'agent de sécurité. Le poste lui est refusé : il aurait écopé, entre 2000 et 2002, de trois condamnations, dont une de dix mois de prison pour escroquerie. Il tombe des nues. « Je n'ai jamais été en garde à vue, jamais été en prison de ma vie... » Sur deux de ses condamnations, l'identité est certes la même, mais les dates de naissance, les parents et les domiciles ne correspondent pas. De plus, au moment des faits, Moussa se trouvait en vacances au Mali comme son passeport en atteste.
« Dès qu'il se levait, il ne pensait qu'à établir son innocence »
En fait, ce grand échalas de 1,81 m pour 67 kg souffre de porter un patronyme aussi répandu dans son pays que Dupont en France. Et de nombreux enfants de sa génération ont été prénommés comme lui, en hommage à l'ancien président de la République du Mali, Moussa Traoré. « Quand j'ai été voir les gendarmes, ils m'ont dit que 16 Moussa Traoré étaient connus de la justice française », raconte celui qui est arrivé dans l'Hexagone en 1999 pour faire ses études. Moussa a souvent fait les frais de ce patronyme qu'il refuse de changer, « c'est le mien, celui que mes parents m'ont transmis ». Un jour, il se promène aux Halles, près de la fontaine des Innocents. Contrôle de routine de la police. Le Malien décline son identité. « Un agent a crié : Il a commis un crime !, c'est devenu musclé. Je ne comprenais pas. J'avais mon ticket de métro et mes papiers... » Les policiers l'ont confondu avec un homonyme fiché au grand banditisme. Il faudra deux heures au poste pour lever la confusion.
Ses condamnations vont empoisonner la vie du faux coupable. Ce sont d'abord les titres de séjour limités à trois mois renouvelables. « Tous les autres étudiants étrangers avaient leurs papiers sauf moi. » Il épouse une Française, Olivia, lui fait deux enfants, mais se voit refuser des titres de longue durée. Sa première carte de résident, valable dix ans, lui a été accordée... mercredi dernier. Il l'exhibe fièrement tandis que sa femme pousse un soupir de soulagement, leur dernier-né dans les bras.
Pis, les tentatives de Moussa Traoré pour trouver un emploi dans la fonction publique se soldent par une fin de non-recevoir. Un stage à la Banque de France, un CDD à la Poste avec promesse d'embauche. « Ils m'avaient fait visiter le centre de tri, expliqué les horaires et mon travail. Deux jours avant de commencer, le poste était supprimé. » Lui qui s'est impliqué dans le milieu associatif, donnant des cours de soutien scolaire aux enfants défavorisés, envisage de devenir animateur en centre de loisirs. Trois jours avant de débuter, la mairie de Trappes l'appelle : « Il y a un problème. Je ne peux pas vous prendre. » Moussa ne comprend pas, jusqu'à ce que le refus pour devenir agent de sécurité soit motivé par les condamnations. « On a commencé à s'inquiéter. Qu'est-ce qui se passe sur ce casier ? » se souvient son épouse.
« Il était marqué au fer rouge, dans l'incapacité de nourrir sa famille »
C'est le début d'un périple d'un tribunal à l'autre à travers l'Ile-de-France pour, preuves à l'appui, faire annuler ses condamnations. « Il n'avait plus le moral, ajoute Olivia. Il ne cherchait plus à travailler. Dès qu'il se levait, il ne pensait qu'à établir son innocence. » Même ceux qui veulent l'aider rencontrent des difficultés. Ainsi Jacques Lollioz, le maire (PS) de Magny-les-Hameaux qui l'a assisté dans ses démarches : « Je voulais l'embaucher, j'ai découvert que ce n'était pas possible en raison de son casier chargé. Il était marqué au fer rouge, dans l'incapacité de nourrir sa famille. »
Moussa, titulaire d'une licence de droit, le vit très mal : « Mon père a été un des premiers ingénieurs en génie atomique au Mali. Aujourd'hui, ma famille ne comprend pas pourquoi j'ai échoué. C'est humiliant. Pourtant, je ne suis pas un immigré clandestin. Je suis venu en France régulièrement. »
Maintenant que la justice a reconnu son erreur, il espère reprendre sa vie à l'endroit. Il s'apprête à intégrer une école pour devenir éducateur spécialisé. Ça a été moins une. « En juin, j'avais été reçu à l'écrit et à l'oral, mais ils m'avaient dit que ce n'était pas la peine de me présenter en septembre si mon casier judiciaire était encore sale. »
source : le parisien