Voilà un article qui aide à mieux comprendre la crise actuelle:
Les références à la crise de 1929 le prouvent : la planète financière est depuis quelques jours un bateau ivre dont plus personne ne tient le gouvernail. En une semaine, le gouvernement américain a pris deux décisions stupéfiantes : la nationalisation des géants du crédit hypothécaire, Fannie Mae et Freddie Mac, pour la bagatelle de 200 milliards de dollars, puis le lâchage aussi spectaculaire de la banque d'affaires Lehman Brothers et la nationalisation de l'assureur AIG.
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A moins de deux mois de l'élection présidentielle, la nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac était inattendue. Quelques jours auparavant, le secrétaire au Trésor, Hank Paulson, avait indiqué qu'il avait "un bazooka" dans la poche. Chacun en avait conclu qu'il ne souhaitait pas s'en servir. En faisant chuter ces titres en Bourse, les marchés en ont décidé autrement. Cette nationalisation n'est pas aussi illogique qu'elle en a l'air. Elle ne fait que confirmer qu'au royaume de la libre entreprise l'Etat est, contre toute attente, le garant en dernier ressort des crédits immobiliers.
Bien que cotés en Bourse, Fannie et Freddie disposent du statut extravagant de "government sponsored enterprises". A ce titre, elles bénéficient déjà de la garantie de l'Etat. Privatisation des gains et socialisation des pertes : qui dit mieux ? Comme le renflouement de la banque Bear Stearns en avril par le Trésor, la mise sous tutelle de Fannie Mae et Freddie Mac prouve qu'une parenthèse se ferme. Celle ouverte par la formule célèbre de Ronald Reagan en 1981 : "L'Etat n'est pas la solution, mais le problème." Malgré lui, George Bush a démontré plutôt l'inverse. Première leçon de la crise actuelle.
Quel que soit le futur hôte de la Maison Blanche, il devra repenser la réglementation du secteur financier. Au fil des semaines, la crise des subprimes est apparue comme le symptôme des excès de la finance. De l'attaché commercial chargé de vendre des crédits à la consommation à des Américains déjà surendettés au PDG de Wall Street, chacun semblait n'avoir qu'un objectif : s'en mettre plein les poches. Nommé en 2003 à la tête de la banque Merrill Lynch, Stanley O'Neil l'a menée au désastre au point que ce prestigieux établissement de Wall Street s'est fait racheter par Bank of America, dont le siège est au milieu des champs, en Caroline du Nord. Lors de son éviction en octobre 2007, cela ne l'a pas empêché d'empocher un chèque de 160 millions de dollars. Même chose pour Martin Sullivan, directeur général de l'assureur AIG, qui vient d'être nationalisé. Lors de son départ contraint et forcé, en juin, son conseil lui a octroyé 68 millions de dollars. A côté, le patron de Fannie Mae, qui, en juillet, s'est fait voter, alors que ses jours étaient comptés, un parachute doré de 14,1 millions de dollars, fait presque pitié.
Longtemps jugées excessives mais anecdotiques au vu des profits des établissements, ces rémunérations apparaissent aujourd'hui comme une des sources de la crise actuelle. "Les grandes banques d'affaires ont essayé à tout prix d'avoir des rendements très élevés pour justifier les rémunérations excessives des dirigeants. D'où le crédit de trop. Dans l'immobilier ou ailleurs", résume l'économiste Daniel Cohen. Au forum économique mondial de Davos, en janvier, le patron de la banque J.P. Morgan Chase, James Dimon, l'a reconnu : "Dans la finance actuelle, il faut être très courageux pour ne pas prendre un risque qui peut vous rapporter de l'argent." Comment justifier qu'en 2007, malgré la crise des subprimes, les primes accordées par les cinq premières banques américaines à leurs collaborateurs se soient élevées à 66 milliards de dollars ?
Au-delà du système de rémunération, c'est tout le fonctionnement du marché du crédit qui devra être repensé. Le transfert de créances à des investisseurs par le biais de la titrisation n'est pas condamnable en soi. Cette technique a participé à la croissance économique de ces dernières années. Mais quand l'outil devient tellement complexe qu'il accroît le risque au lieu de le réduire, le marché financier ne joue plus son rôle. Aujourd'hui, les autorités monétaires ne sont pas équipées pour contrôler de tels mouvements. Pour Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, il faut "un cadre plus solide pour la surveillance des règles prudentielles des banques d'investissement et des autres grands négociants de titres".
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"Nous traversons une crise mondiale en raison de déréglementations excessives", a renchéri Barney Frank, président (démocrate) de la commission des services financiers du Congrès. Davantage de régulation : c'est la deuxième leçon de la crise. Mais il faut se méfier des formules incantatoires. Pour être efficace, la régulation doit échapper à deux écueils : déboucher sur un excès de transparence qui augmenterait la volatilité - un peu comme les résultats trimestriels favorisent le court-termisme - ou sur une complexité accrue propice à encore plus d'innovations financières. Pour maintenant, nul n'a le remède miracle.
Une chose est sûre : les pouvoirs publics auront leur mot à dire. Il y a pourtant des limites à l'intervention publique. Il ne faut pas confondre bazooka et kalachnikov. L'Etat n'est pas disposé à jouer systématiquement les prêteurs en dernier ressort. Il n'en a pas les moyens financiers, et l'opinion ne le suivrait pas. Déjà, John McCain a jugé "nécessaire" mais "scandaleux" le sauvetage de Freddie Mac et Fannie Mae. La banque Lehman Brothers l'a appris à ses dépens.
Jusqu'à ces dernières semaines, les économistes (parfois salariés de banques) expliquaient que les grandes institutions financières étaient "too big to fail". Trop grosses pour échouer. Que leur faillite entraînerait une "crise systémique". Avaient-ils raison ? Hank Paulson semble en douter. A-t-il vraiment le choix ? On dit qu'une centaine de banques régionales sont en difficulté. Dans le cas de Lehman, le risque politique d'une intervention lui est apparu plus grand que le risque économique d'une non-intervention. En revanche, en sauvant AIG, quarante-huit heures plus tard, la Réserve fédérale (qui ne supervise pourtant pas les assurances) a montré que les autorités monétaires naviguent, elles aussi, à vue.
Too big to fail ? La conclusion de cette troisième leçon n'est pas écrite. Il faut espérer que l'histoire se termine bien, car, si l'on peut regretter les excès passés des banques, on aurait tort de se réjouir de leurs difficultés présentes. Tant il est vrai qu'on n'a jamais vu d'économie prospère reposer sur un système financier malade.
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