Critique du film "Shooting dogs" par Serge Farnel.
Critique tirée du deuxième numéro de la revue "La Nuit rwandaise" (La Nuit rwandaise)
Le film Shooting Dogs (Tuer les chiens) retrace les circonstances dans lesquelles, le 11 avril 1994, fut perpétré le massacre des Tutsi réfugiés au sein de l'Ecole technique officielle (ETO) de Kigali. Cet établissement, administré par des prêtres catholiques salésiens, était, au moment du déclenchement du génocide, placé sous la protection de soldats belges de la Minuar (force onusienne au Rwanda), ce qui explique l'afflux de Tutsi venus y trouver refuge dès le 7 avril. Quatre jours plus tard, les soldats belges, emboîtant le pas des soldats français venus évacuer les ressortissants occidentaux, quittèrent l'ETO sans préavis, abandonnant plus de deux mille réfugiés aux milices génocidaires qui n'attendaient que ce départ pour commencer le massacre.
Le producteur et coscénariste David Belton travaillait en 1994 à Kigali pour la BBC. Ce film répond à son besoin de « rendre hommage à tous ceux dont les télévisions du monde entier ont refusé de montrer la mort en direct sous des prétextes fallacieux ». Les personnages principaux sont un prêtre catholique, un jeune coopérant et le capitaine Luc Lemaire, chargé des soldats basés à l’ETO. Ces casques bleus faisaient partie du Kibat II du contingent belge. Malgré des efforts pour alerter l'opinion par le biais d'une équipe de la BBC alors présente sur les lieux, le coopérant allait bientôt devoir choisir entre mourir au côté des Tutsi ou profiter de l'évacuation offerte alors exclusivement aux Occidentaux.
Si ce film met en évidence l'impardonnable abandon des Tutsi par les forces de l'ONU totalement dépassées, on lui reprochera néanmoins, en ayant excessivement zoomé, aussi bien spatialement que temporellement, sur l'événement proprement dit de l'abandon des réfugiés, d'avoir fait l'impasse sur la présentation du mécanisme qui amena à ce massacre. Du processus de fomentation du génocide !
Contrairement aux forces françaises qui avaient anticipé la déroute des forces onusiennes, le contingent belge de l'ONU, traumatisé par le massacre de dix des leurs, a lui, au contraire, dû subir la situation.
Le frère Gaspard Nteziryay, qui a témoigné pour African Rights, estima ainsi que « les soldats belges montraient leur dégoût pour leur incapacité à nous protéger ou à se protéger eux-mêmes ». C'est également le témoignage de Vénuste, qui fit part à African Rights de son impression que les soldats belges avaient peur. Ces témoignages ne sauraient, en aucun cas, bien sûr, justifier qu'on abandonne ainsi qui que ce soit à des tueurs. Mais ils sont susceptibles d'expliquer en quoi les deux situations que furent celles des forces françaises et onusiennes, qu'on aurait pu, en première analyse, être tenté de comparer, étaient, en définitive, très loin d'être équivalentes.
L'abandon des réfugiés tutsi dans Shooting Dogs
La scène centrale du film est celle au cours de laquelle des camions français de l'opération Amaryllis pénètrent subitement dans le périmètre de l'ETO. Aucune coordination n'avait alors été établie avec la Minuar.
Face à l'impossibilité d'évacuer tout ce monde, le film nous montre le prêtre – personnage central de l’intrigue - interpeller le chef français de l'opération pour s'enquérir de la raison pour laquelle ce dernier n’est venu qu'avec deux camions, alors que le religieux n’ignorait pas, et le lui fit remarquer, que d'autres véhicules étaient disponibles à proximité de l'établissement. Il n'obtint aucune réponse de l’officier tricolore.
Le film montre ensuite les soldats faire monter les Blancs dans leurs véhicules – les Français et les ressortissants européens – tandis qu'ils en expulsent tous les Noirs.
Le spectateur assiste ensuite à la prise de décision du chef du contingent belge de la Minuar de quitter l'ETO, invoquant pour cela des ordres émanant de l'ONU. En réalité, les Belges partirent de l'ETO dès l'évacuation, par les troupes françaises, du groupe d’expatriés qui se trouvaient dans l'enceinte de l'établissement. Quand bien même tenterait-on de pondérer leur responsabilité en faisant valoir qu'ils étaient, ce qui est vrai, submergés par une situation qui les dépassait, on n’envisage à aucun moment qu’ils seraient partis en abandonnant les ressortissants occidentaux !
Afin de prévenir tout mouvement de panique qui aurait compromis la fuite des troupes belges et françaises, le prêtre décida de réunir les Tutsi pour prier tandis que les ressortissants occidentaux s’éloignaient discrètement. Dans la réalité historique, la ruse fut plus hypocrite encore, puisqu’on invita les Tutsi à aller partager un repas à l'intérieur du bâtiment principal.
Les troupes ne parvinrent cependant pas à se montrer suffisamment discrètes pour s'enfuir sans que les Tutsi ne se rendent finalement compte du piège qui se refermait sur leurs existences. Des scènes d’affolement s'ensuivirent immédiatement, comme celle, insupportable, que nous relate le film, d'un Tutsi qui implore le chef du contingent belge de ne pas partir avant d'avoir au moins tué les enfants par balles, afin qu'ils n'aient pas à subir une mort indicible à coups de machettes.
Des Tutsi ont effectivement été filmés par des journalistes suppliant d'être ainsi abattus.
Autre scène dramatique du film de David Belton : celle tout à fait véridique dans laquelle on voit ces Tutsi tenter d'empêcher le départ des véhicules en s'allongeant devant leurs roues. Jean-Paul Biramvu – alors secrétaire général de la Collectivité rwandaise des Ligues et Associations des Droits de l’Homme (CLADHO) – en a témoigné pour African Rights, en décrivant le choc ressenti par les réfugiés tandis que le convoi belge s’éloignait. « Fous de désespoir », affirma-t-il, « certains jeunes gens se jetèrent devant le convoi ».
Rien n'y fit. Les Tutsi furent livrés aux grenades et aux machettes de leurs génocidaires qui encerclaient le périmètre de l'ETO, et au travers duquel les militaires français entraient et sortaient à leur guise.
La responsabilité du siège des Nations Unies
Il importe que le public sache que l'ONU avait refusé de tenir compte de la mise en garde faite, quelques mois avant la tragédie, par Roméo Dallaire – le commandant en chef de la Minuar –, de l'imminence d'un génocide alors en cours de planification. Il s'agit là probablement de l’un des manquements les plus graves à mettre au débit de l'Organisation des Nations Unies et de ses forces d’intervention depuis sa création. Shooting Dogs invite d’ailleurs le spectateur à se confronter à la responsabilité de l'ONU dans la gestion du massacre de l'ETO.
Rappelons qu'en 1994, l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali était Secrétaire général de l'ONU et Kofi Annan Sous-secrétaire général. En 1999, Kofi Annan, devenu depuis Secrétaire général, fit publier le résultat d'une enquête commanditée par ses soins afin d'analyser le comportement de l'organisation au Rwanda au cours du génocide. A l'époque où fut publié ce rapport, Boutros Boutros-Ghali avait pris la tête de l’Organisation internationale de la francophonie.
Le rapport commence par indiquer que Kofi Annan avait prié Dallaire, par un câble en date du 9 avril 1994, de « coopérer avec les commandants français et belge pour faciliter l’évacuation de leurs nationaux et des autres ressortissants étrangers demandant à être évacués. ». Ce câble précisait qu'il ne devait « ménager aucun effort pour ne pas compromettre (son) impartialité ni outrepasser (son) mandat », ajoutant qu'il pouvait « à (sa) discrétion le faire si cela était essentiel pour l’évacuation des ressortissants étrangers ».
Enfin, précisait le câble, « ceci ne devrait pas, je répète, ne devrait pas, englober la participation à d’éventuels combats, excepté en état de légitime défense ». Ces précisions, si elles sont susceptibles d'expliquer la raison pour laquelle les casques bleus décidèrent de ne pas faire front contre les miliciens hutu à l'ETO, ne sauraient, en revanche, éclairer la raison qui motiva l'abandon des réfugiés tutsi.
Le 12 avril, Boutros Boutros-Ghali rencontra Willy Claes, ministre belge des Affaires étrangères, qui l'informa – ce que nous savons grâce aux minutes de l’entrevue conservées par l’ONU –, avoir décidé de retirer ses troupes, précisant qu'il préférait qu'un tel retrait ne se fasse pas de façon isolée. Le lendemain, le Secrétaire général de l'ONU en informa le Conseil de sécurité qui prit la décision de réduire les effectifs de la Minuar à 270 personnes, après avoir toutefois pris connaissance du massacre de l'ETO.
Selon les règles de l’organisation, le Secrétaire général de l'ONU a la responsabilité de porter à l’attention du Conseil les questions sur lesquelles il y a lieu d’agir. Or, bien qu'absent de Manhattan pendant une bonne partie des cent jours que dura le génocide, le rapport indique que Boutros Boutros-Ghali fut tenu quotidiennement informé, par câbles, du déroulement des événements à Kigali. Ce n'est pourtant que le 29 avril qu'il alerta le Conseil de sécurité afin qu'il reconsidère le rôle de l’ONU sous un angle différent de celui de médiateur neutre, témoin d’un ethnocide.
Si l'on ajoute à cela le fait qu’il fallut plusieurs semaines pour que le Conseil de sécurité parvienne à un accord, ceci alors que le génocide, lui, ne s'accordait aucune pause, on comprend comment on a pu parvenir au massacre d'un million d'êtres humains.
Il n'est pas rare d’entendre des responsables politiques français accuser l’ONU d'avoir retiré les forces de la Minuar. Mais la France, membre permanent du Conseil de Sécurité, avait elle-même voté ce retrait !
Comme si cette infamie ne suffisait pas, l’Etat français a, par la suite, soutenu le maintien, à l’ONU, de la représentation du Gouvernement Intérimaire Rwandais, celui-là même qui coordonnait la perpétration du génocide. La France se heurta lors de cette démarche à l’avis d’autres membres temporaires du Conseil de Sécurité, tels la Nouvelle-Zélande ou la République Tchèque.
Quant à Boutros Boutros-Ghali, devenu Secrétaire général de l’ONU, qui doit ses nominations à la tête d’institutions internationales au soutien appuyé de la France, il n'est pas inutile de rappeler, dans le contexte des accusations portées à son encontre par des Etats membres du Conseil de sécurité, que lorsqu'il occupait le poste de ministre des Affaires étrangères d’Egypte, il avait favorisé la fourniture d’armes aux Forces Armées Rwandaises, livraisons dont le paiement avait notamment transité par le Crédit Lyonnais.
Abandon sans préavis
L’enquête de l'ONU qualifie ni plus ni moins d' « ignominieux » le départ soudain des soldats belges. C'est vers 14h que se sont retirées les troupes de la Minuar, qui avaient tout entrepris, jusqu'au dernier moment, pour cacher à leurs protégés qu’elles allaient les abandonner à leurs assassins. En plus de la démission de leur devoir, les soldats belges, en appliquant leur stratagème de dissimulation de leur objectif final, induisirent les réfugiés à n’imaginer aucune tactique qui leur aurait permis d'échapper au carnage auquel les soldats de l’ONU et les Français les savaient condamnés.
Le père Léon expliqua aux enquêteurs d'African Rights qu'il « prenait la soupe quand le signal de départ fut lancé vers midi. Alors », ajouta-t-il, « nous avons couru vers les véhicules. » Un autre témoin, Yves, est persuadé que les interahamwe avaient connaissance du retrait imminent de la Minuar ; il affirme avoir vu « derrière la clôture, les interahamwe (commencer) à siffler et à crier » aussitôt qu' « ils venaient d’apprendre que la Minuar allait se retirer. »
Assumpta confirme que les miliciens étaient prêts à attaquer. Elle raconte l’intolérable : les réfugiés ont entendu et vu les interahamwe pénétrer dans le périmètre de l’ETO par l’un de ses points d’accès, tandis que les casques bleus sortaient par un autre.
Le rapport d’African Rights précise que « les interahamwe envahirent l’ETO alors qu’on voyait encore le nuage de poussière soulevé au passage des véhicules utilisés par la Minuar et les soldats français. » Angélique, quant à elle, ne comprend pas pourquoi aucun préavis ne leur a été donné. « Si eux n’avaient pas d’autre alternative que de partir », s'insurge-t-elle, « pourquoi ne nous ont-ils pas au moins laissé un fusil pour nous défendre ? ».
Nombreux sont les civils tutsi qui furent tués dans les minutes qui suivirent le départ des militaires. Par balles, avec des grenades, des machettes, des massues, des lances, ou bien encore lapidés.
Une escorte jusqu'aux bases du FPR aurait pourtant suffi
Le rapport de l'ONU consigne qu' « en plaçant leur confiance dans la Minuar », certains réfugiés « se sont exposés à un danger accru lorsque les troupes des Nations Unies se sont retirées. »
Si certains Tutsi avaient envisagé de se rendre dans divers quartiers de Kigali contrôlés par le Front Patriotique Rwandais (FPR), ce qui était notamment le cas du stade d’Amahoro, ou des alentours du Conseil National du Développement (CND) à Remera, qui abritait, dans le cadre des accords d'Arusha, un bataillon de 600 soldats du FPR, nombreux sont ceux qui avaient pensé avoir plus de chance de survivre en demeurant sous la protection des casques bleus de l'ETO !
A l'ETO justement, où Vénuste, dans son témoignage à African Rights, affirme avoir proposé des solutions aux soldats de la Minuar, telle celle consistant à escorter les réfugiés jusque dans la zone contrôlée par le FPR à Remera : « Nous leur avons ensuite proposé », précise-t-il, « d’aller informer le FPR de notre présence à l’ETO. »
Spéciose Mukayiranga, la veuve de Fidèle Kanyabugoyi, co-fondateur de Kanyarwanda, une association de défense des droits de l’homme basée à Kigali, confirme les dires de Vénuste, faisant remarquer qu'ils auraient au moins pu, lorsqu'ils sont partis, « s’assurer que quelqu’un prenne notre sécurité en charge. Ils auraient au moins pu avertir le FPR qui était au CND. »
Apolline Uwantege, qui avait 16 ans au moment du génocide, a narré pour sa part les tentatives de certains réfugiés de s’enfuir de l’ETO pour gagner la zone contrôlée par le FPR : « On avait entendu dire que les Inkotanyi – dénomination populaire des combattants des FPR, littéralement, en kinyarwanda, ceux qui se battent avec acharnement – se trouvaient au stade Amahoro. On s’est dispersé hors de l’ETO tout en cherchant comment atteindre le stade. » Et de préciser que, pour le malheur de ceux qui avaient placé leur survie entre les mains des soldats de l’ONU, « les Hutu du quartier quadrillaient les lieux. »
Ceux qui réussirent à rejoindre le stade Amahoro, près de l’hôtel Chez Lando, racontent qu'ils furent gardés là-bas un temps, avant d'être transportés dans la ville de Kabuye, et enfin, à Byumba, dans un orphelinat.
Le rapport d'African Rights fait remarquer que « la plupart de ceux qui ont survécu ont été sauvés par les soldats du Front Patriotique Rwandais qui se battaient contre les Forces Armées Rwandaises pour gagner le contrôle de la région, une bataille finalement remportée par le FPR. African Rights d'ajouter qu' « il est pitoyable de réaliser que si les troupes de la Minuar étaient parties, ne serait-ce qu’un jour plus tard, beaucoup plus de personnes auraient pu être sauvées par le FPR ».
La France tirait les ficelles
Les militaires français qui dirigeaient de fait l'armée rwandaise, avaient choisi leur moment précis pour intervenir à l'ETO. C'est ainsi que l’armée française mit la force onusienne, responsable, en principe, de la protection des expatriés européens et des civils, devant le fait accompli. Le capitaine Luc Lemaire, de la force belge de l’ONU, à l’occurrence de l’arrivée des Français, requit et obtint de ses supérieurs l'autorisation de quitter l'ETO. Ayant, au préalable, reçu du Lieutenant-colonel Dewez l’ordre de se rendre à Gitarama afin d’évacuer des ressortissants belges, il profita de la sécurité offerte par l'escorte française pour évacuer son détachement et abandonner les civils sous sa protection à un massacre certain.
Les excellentes relations de l'armée française avec les génocidaires sont confirmées par de nombreux témoignages concordants rassemblés par African Rights. Notamment par le père Jean-Paul Lebel, qui a indiqué que les Français étaient venus car leurs relations avec les locaux étaient plutôt bonnes alors que les Belges « craignaient l’hostilité locale ».
Le rapport d'African Rights fait état de ce que « l’arrivée des soldats français, reconnaissables au drapeau sur leur uniforme et à leur béret rouge, fut une source de consternation pour les réfugiés. » Le constat précise que « leur appréhension alla croissant lorsqu’ils virent les soldats de la Minuar rassembler leurs affaires, démanteler les fusils des tranchées, démonter leur tente et regrouper tout leur matériel vers l’un des bâtiments principaux ».
Emmanuel Rugangura, lié au Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), fut l’un des seuls Rwandais évacués. Il raconte son transfert par les Français : « Les rues de Kicukiro étaient déjà jonchées de corps quand nous sommes partis. Alors que nous traversions, nous entendions crier “Vive la France !” parmi la foule (hutu) alignée aux bords des routes. » Il explique que son convoi fut ensuite dirigé vers le lycée français : « Lorsque nous sommes arrivés là, les soldats, probablement français, ne voulaient pas nous laisser entrer. Nous sommes restés à l’extérieur sous l’œil narquois des soldats qui gardaient l’entrée. Un peu plus loin, à l’entrée du centre sportif de Kigali, il y avait un barrage routier tenu par les interahamwe. Ils sont venus nous menacer et nous ont dit qu’ils allaient nous tuer pendant la nuit. »
Le soir venu, le soldat qui gardait l’entrée du collège leur a dit de « dégager ». Emmanuel lui répondit alors qu'il préférait être tué par une arme à feu plutôt qu’avec une machette. « Il (le soldat français) a éclaté de rire et est parti. C’était comme s’ils se moquaient de nous. ». Le témoin explique ensuite qu'ils n'eurent pas d’autre choix que de passer la nuit à l’extérieur : « On a profité de l’obscurité et de la pluie pour se glisser sous les véhicules du parking de l’école. Nous étions environ treize. Le jour suivant, une dizaine de camionnettes sont arrivées pour évacuer ceux qui avaient passé la nuit au lycée français. Nous ne faisions pas partie d’entre eux. » Emmanuel doit sa vie au représentant du PNUD qui vint à sa rescousse en véhicule blindé et à qui sa femme demanda alors la raison pour laquelle on refusait de les laisser entrer au lycée. La réponse du coopérant du PNUD fut que Boutros Boutros-Ghali n’avait pas encore donné la permission d’évacuer les locaux.
Le père Louis Peeters a affirmé que, étant donné que « les Français avaient une certaine influence sur la politique rwandaise, comme ils étaient présents au moment de l’évacuation, ils auraient facilement pu escorter les réfugiés jusqu’au stade Amahoro ».
Au lieu de cela, un témoignage tiré du livre Conspiracy to murder (Conspiration pour tuer) de Linda Melvern (Editions Verso, avril 2004, $ 25), nous indique que « les Français promirent aux gens qu'ils allaient rester. » Ce faisant, ils facilitèrent la fuite du contingent belge de la Minuar.
Saving a dog
Les Français n’ont évacué que des responsables politiques hutu proches du noyau dur génocidaire, au centre duquel œuvrait Agathe Habyarimana, la veuve du président tué le 6 avril, elle-même évacuée par le premier avion en partance de Kigali et reçue avec des fleurs offertes par l'Elysée à son arrivée à Paris.
Évacuant les uns, les assassins menacés par l’avance du Front patriotique rwandais, et abandonnant les autres, les civils tutsi à leurs bourreaux, les dirigeants français ont ainsi fait la preuve de leur connivence avec les assassins.
Boniface Ngurinzira, un politicien en tête des listes des génocidaires parmi les personnes à éliminer, avait été amené, avant le 7 avril, à l’ETO, par les casques bleus. Il eut beau supplier les militaires français de l’emmener avec eux, ces derniers lui refusèrent cette faveur. Il fut l’une des victimes du massacre de l’ETO. Aujourd'hui, une Rwandaise a demandé réparation, par voie juridique, du fait qu'il fut abandonné, avec sa famille, par les soldats de l'ONU.
Ces mêmes soldats qui reçurent l'ordre de tirer sur les chiens qui, se nourrissant des cadavres du génocide, commençaient à poser un problème sanitaire. On dit qu'ils commençaient à s'habituer au goût de la chair humaine… Le film Shooting Dogs montre que les soldats de l'ONU préférèrent tirer sur ces chiens plutôt que d’appliquer leur doctrine de légitime défense. Pourquoi ont-ils refusé de tirer sur les piranhas que constituaient les milices interahamwe, dont le nom, signifiant « ceux qui frappent ensemble », rappelle précisément leur mode de prédation ?
Les amis des bêtes ont pu être rassurés en apprenant par l'émission TV BBC/Arte que l'opération Amaryllis avait réussi à procéder à l'évacuation... du chien de l’ambassade de France !
Par-delà l'horreur
L'argument défendu par le Quai d'Orsay, selon lequel les Français ne peuvent pas avoir participé au génocide, dans la mesure où il n'y aurait alors eu, au Rwanda, de soldats français que ceux participant à l'opération Amaryllis, et qu’il ne s’en trouvait pas dans ce pays avant le génocide, procède d’une imposture intellectuelle, dont il importe de remarquer la nature hautement criminelle. Le Quai d'Orsay a pris le parti de leurrer à tout prix l'opinion internationale afin qu’elle ne puisse jamais percevoir le mécanisme par lequel la France fut partie prenante de ce génocide.
La demande exprimée par l'ex-ministre français des Affaires Etrangères, Michel Barnier, à son homologue rwandais, Charles Murigande, consistait en fait à obtenir que ne soit accordée à la France qu’une part artificiellement minorée dans le génocide des Tutsi. Une portion de culpabilité que l’Etat français aimerait, on le comprendrait à moins, partager à part égale avec la communauté internationale. A l'instar des miliciens génocidaires qui fuirent en se diluant dans l'exode collectif couvert par l'imposture à dénomination humanitaire Turquoise, c'est la France officielle qui organise sa propre évasion, tentant de se fondre dans une contrition collective, comme si un Etat démocratique européen pouvait disparaître dans une foule anonyme.
Une France officielle qui pourrait faire usage du film Shooting Dogs, qui a, malgré ses nombreuses qualités, cédé quelque peu à la tentation artistique de renvoyer le spectateur à une culpabilité collective, nous rendant tous responsables de l’abandon des Rwandais à leur sort. Ceci, quand bien même les maîtres d'œuvre associés à ce génocide, dont certains militaires et politiques français, sont pourtant aujourd'hui on ne peut plus clairement identifiés.
Le réalisateur Michael Caton-Jones a lui-même déclaré que la fiction lui avait permis de sensibiliser principalement le spectateur à « l'horreur de ce moment ».
Faire comprendre l'horreur par l'émotion est une chose. Mais encore faut-il donner au spectateur les clés qui lui permettent de comprendre que, derrière l'horreur des génocides organisés, se trouvent invariablement les concepteurs de ces tragédies. C’est en démontrant les responsabilités au-delà du doute raisonnable qu seront donnés les moyens à la société civile de traduire les coupables du génocide des Tutsi – tous les coupables, quels que soient leurs fonctions, leur nationalité et le lieu géographique où ils vivent – devant la justice des hommes.
(Source Menapress)