De plus en plus de Subsahariens sont agressés physiquement. Dernier en date, Amadou, un malien tué à coup de couteau devant une épicerie du quartier Takadoum, à Rabat. Son tort : ne pas vouloir laisser passer son tour à la caisse. Histoire de ces calvaires et témoignages de Pierre Delagrange et Marcel Amiyeto.





Lundi 14 Mai 2012, il est 9 heures du matin. Dans le quartier Takadoum de Rabat, les habitants sont sous le choc. À l’entrée de l’épicerie du coin, le corps d’un jeune homme baigne dans le sang. Visiblement, il est atteint de plusieurs coups à l’arme blanche. Une blessure au niveau haut de la côte gauche, semble indiquer le coup qui lui a ôté la vie. Amadouu, un ressortissant malien qui avait choisi le Maroc pour réaliser ses rêves, n’avait jamais imaginé qu’il y perdrait la vie. À l’origine de ce bain de sang, une simple altercation sur « à qui le tour » lors du passage à la caisse. Le jeune malien s’était rendu à l’épicerie pour acheter son petit déjeuner. Arrivé à la caisse, une dispute démarre entre lui et un jeune marocain. Chacun d’eux souhaitant passer en premier. Au fil des mots la tension monte et le premier coup de poignard part. S’en suivent d’autres. Ils ne s’arrêteront que lorsque Amadouu cessera de respirer.

Une violence ciblée

Marcel Amiyeto, porte-parole du Conseil des migrants subsahariens au Maroc, se souvient encore de ce jour-là. « Nous avons reçu la nouvelle comme un choc. Très vite, nous nous sommes rendus sur place pour essayer d’apporter notre aide. À notre arrivée, le quartier Takadoum s’était transformé en champ de bataille ». Devant l’épicerie, ceux qui sont venus secourir Amadou, des Subsahariens, se sont retrouvés face à un groupe de jeunes du quartier, décidés à épauler leur voisin et à débarrasser leur quartier, une fois pour toute de ces « intrus ».

D’un côté comme de l’autre, jets de pierres, bâtons et armes blanches viennent renforcer le corps à corps. Quelques minutes plus tard, un autre homme est poignardé. « Plus tard quand la police est arrivée, tous les Subsahariens ont été alignés sur un mur avant qu’un bus ne soit réquisitionné pour y transporter tout le monde, blessés y compris, au commissariat « Nahda ». De là, ils ont tous été reconduits aux frontières » affirme Marcel.

Deux semaines après, Amadou logeait encore à la morgue de Rabat. Son corps attendait toujours d’être autopsié pour déterminer les causes du décès. Si Amadou ne peut plus raconter lui-même son histoire, d’autres personnes, qui ont survécu, ont témoigné des calvaires qu’ils ont endurés. Ces témoignages, si bien gardés, nous avons pu, un à un, les visionner. « Nous avons près de 80 témoignages de Subsahariens qui ont été victimes de violences physiques. Ces déclarations sont appuyées de justificatifs ; de certificats médicaux, de photos et d’enregistrements vidéo » nous a révélé Pierre Delagrange, président du Collectif des communautés Subsahariennes. Et ce nombre de 80 témoignages ne concerne que le quartier Takadoum et seulement ceux qui ont eu le courage de témoigner. La peur des représailles en dissuade un bon nombre.

Un nouveau chapitre s’annonce

Les agressions physiques à l’encontre des Subsahariens ne sont pas réservés qu’à ce quartier uniquement. « « Douar Kouraa » et « Kamal Sabah » sont également peuplés de subsahariens qui sont agressés quotidiennement. Ces actes de violence sont commis dans des boutiques, dans la rue, devant et même dans les domiciles des victimes, au vu et au su de tout le monde. L’arme blanche est souvent utilisée. Certains sont régulièrement victimes de racket », nous certifie Pierre Delagrange. Les Subsahariennes n’échappent pas à cette violence. « Le collectif détient des témoignages de jeunes femmes qui ont été victimes de viols (individuels ou collectifs) dans différentes villes du pays comme Casablanca, Rabat, Oujda ou même Kénitra », poursuit Pierre.

L’histoire de cette minorité a été récemment alimentée par un autre chapitre. Les déclarations de Abdelhadi Khayrat, député de l’USFP, lors d’une audience des questions orales à la Chambre des députés, en mai dernier. À cette occasion, le député n’a pas hésité à faire l’amalgame entre les migrants et les terroristes formés en Libye après la chute du régime de Kaddhafi, représentant une menace pour le pays selon lui. « Notre sentiment d’insécurité s’est tout de suite renforcé après ces déclarations car elles alimentent des émotions négatives à notre égard. La majorité d’entre nous s’est installée au Maroc bien avant que ne se déclarent ces guerres » nous confie Marcel.

Pour le président du Collectif des communautés subsahariennes, Pierre Delagrange, cette inquiétude peut également, pour certains, être nourrie par la nature de leur condition au Maroc. Pour certains subsahariens qui vivent dans une situation irrégulière, la peur d’être reconduits aux frontières les empêche de recourir aux autorités quand ils sont victimes d’agressions . « Beaucoup de politiciens nous ont fait des promesses. Mais depuis que le PJD est au pouvoir, notre dossier est passé aux oubliettes » regrette Amiyeto. Une façon de dire que, comme Amadou, son espoir de vivre dans la dignité, raison pour laquelle il s’est réfugié au Maroc, a été poignardé. ◆



Source: Le Soir Echos