HISTOIRE DE L'ESCLAVAGE ET DES LUTTES ANTI-ESCLAVAGISTES EN MAURITANIE
Par Prof. Saïdou Kane.
Quelques citations interessantes:
Il est donc temps de dépasser les clichés du schéma linéaire, inlassablement reproduit et fixé dans les esprits et les écrits récents, d'une suprématie presque "congénitale" du nomade sur le sédentaire, du Blanc sur le Noir. Ce schéma raciste et partisan est difficilement soutenable en Mauritanie. Ceci de l'empire du Ghana (VIIIe siècle) à la république du Fuuta (XVIIIe-XIXe siècle).Si les sédentaires noirs avaient toujours été soumis aux Maures, selon une certaine historiographie, donc dans une position très peu enviable d'éternels asservis, d'où viendrait alors l'adoption, puis l'assimilation, par le plus grand nombre de tribus mauresques, des patronymes tékrouriens (Pulaar, Wolof) et wagadou (Soninké)?
Je suis tenté pour ma part de répondre plus simplement qu'avant de porter l'habit arabe, plus valorisant après le XVIII ème siècle, le beydane trouvait plus gratifiant d'appartenir au moule culturel négro-africain, plutôt qu'à celui d'un Maghreb alors condescendant à son égard. Bien avant que l'idéologie récente de l'ultra-arabisme rejette cette négrité revendiquée, ou cette partie nègre dans le Maure qui fait de lui un métis dans tous les sens du terme, le regard du nomade beydane était davantage tourné vers les fastes des ensembles culturels, politiques et civilisationnels négro-africains du Moyen-Âge soudanais. En effet, les Idaw Aly, Tendagha, Ikoumleylin, Tadjidbit (Berbères), Oulad Ahmed Min Daman et les Ulad Daman (Arabes Hassan), etc... portent les noms totémiques négro-africains de Fall. Les Oulad deyman devinrent des Dieng. Les Oulad Biri (tribu du Président Mokhtar Ould Daddah) préfèrèrent pour eux le patronyme Diakhaté. LesTadjakant celui des Baby (c'est à dire Bah). Les Idag Jë devinrent des Dia. Les Laghlal, des Sibi (soninké), et j'en passe. Pourquoi ces tribus pourant assez puissantes adoptèrent-elles ces patronymes négro-africains ? Les Diagne restent attifés du superlatif de "maure" : "Diagne-Naar" (c'est-à-dire "Diagne le maure"), et sont wolof et pulaar. Et tous ces Halpulaar, Wolof, Soninké ou Bambara qui se cherchent, à juste titre, des ancêtres arabo-berbères, réels ou fictifs ? Les familles Kane, Wane, Sy, Ly, Hanne, comptent de nombreux Maures d'origine parmi elles. Que dire des Soninké devenus Hal-pulaar, Wolof et Maures (Laghlal) ? C'est de tous les côtés que la compénétration ethnique s'est opérée.
Al Oumari (14e siècle) signale la présence de nombreux esclaves blancs (turcs) achetés au Caire par Kankan Musa, empereur du Mali. Beaucoup de Hassan sont devenus racialement noirs : à l'Est (Hodh oriental), nous avons l'exemple des Oulad M'Bareck.
Al Idrissi, le célèbre auteur du Livre du Roi Roger de Sicile (12e siècle), nous dit que les populations de Barissa, Tékrour, Ghana, Ghiyaru (Noirs du sud et du sud-est de la Mauritanie et de l'ouest de l'actuel Mali) et les populations du désert (Berbères de Mauritanie du nord) réduisaient en esclavage les Lam Lam. Il ajoute : "les Lam Lam qui, par la grâce de Dieu, leur sont échus en partage".. Claude Meillassoux, citant J.M. Cuoq, fait aussi parler clairement le même Al idrissi : " La ville de Tékrour est le marché où les Maures échangent de la laine, du verre et du cuivre contre des esclaves et de l'or " [ 1998 : 45]. Mais, où les Maures prenaient-ils ces " esclaves " qu'ils échangeaient au Tékrour ? D'autres auteurs arabes ou arabisants dont Al Biruni(1050), As-Sharish (1223), Ibn Khaldûn (1375), Al-Maqhrizi signalent l'existence de caravanes venant du Tékrour pour le pèlerinage à la Mecque, avec leurs centaines ou leurs milliers d'esclaves. Une de ces caravanes partait aux lieux saints avec 1700 têtes d'esclaves. Ghana avait la réputation de posséder une puissante cavalerie et des milliers de fantassins pour faire la guerre aux populations et États voisins afin de satisfaire la demande saharienne d'esclaves et d'élargir ses assises territoriales, même si l'esclavage n'était pas forcément le ressort principal de sa puissance. Ghana prenait pourtant ses captifs parmi les populations qu'il razziait la plupart du temps, du côté du Mali actuel, chez les Bambara (les Amima de Az-Zuhri, 1154-1161).
C'est au tour des Manding de créer un nouvel empire au Soudan occidental, l'empire du Mali. La noblesse de cet État, à peine sortie de la tutelle de Ghana et du Sosso, n'hésitera pas à faire la guerre pour inonder le marché esclavagiste. L'empereur étant musulman, la justification est vite trouvée pour légitimer ses attaques contre ses voisins. Ils sont païens. Les soumettre au nom de la Jihâd relèverait de l'humanisme de croyants devant amener leurs autres "frères" à la découverte du vrai Dieu : " le roi fait la guerre contre les Nègres païens qui sont ses voisins ". Un globe-trotter comme Ibn Battûta (XIVe siècle), se rendant au Maroc, accompagnera une caravane qui " comptait six cents filles esclaves ".
Alors fantaisies et falsifications ??