Cultivateurs – éleveurs
29-06-2010

Dans le dossier n°06/RP/2009 pendant devant le tribunal régional du Guidimakha (Selibaby), le juge déclare «qu’un dromadaire gras, bien portant ne peut mourir naturellement». La problématique des cultivateurs et éleveurs ou le sempiternel conflit entre deux dépendants du fruit de la terre et de la pluie est de plus en plus récurrente. Le dromadaire, cet animal d’endurance et d’une belle histoire, a une autre image au Guidimakha. Cette créature citée dans le Coran comme l’un des miracles du TOUT PUISSANT constitue une source d’arnaque contre les paisibles paysans de cette région. Le dromadaire symbolise dans cette région agropastorale, la haine, le rançonnage et le rejet de l’autre. Cet animal constitue aujourd’hui une source de revenus pour certaines des nos autorités locales. A cause de lui, les paysans sont terrorisés, arnaqués et jetés en prison. Depuis quand cela dure? Comment les autorités régionales résolvent ces conflits latents? Il y a-t-il une possible solution définitive à ce phénomène à caractère répétitif ? L’affaire des villages d’Oloumboni, de Diaguily ou d’Artoumo, c’est le récit des affaires qui se succèdent et qui se ressemblent d’une population perdue laissée à elle-même.

Le 17 janvier 2009, Nalla Demba Cissokho constata la présence d’un cadavre de dromadaire dans le champ de son voisin Boubou Dramane Traoré. Une fois de retour au village, il informa son voisin de sa découverte. Après la prière du crépuscule, les deux cultivateurs partent voir le chef du village pour l’informer. Sur ordre de ce dernier, les deux cultivateurs vont informer le poste de police de Diaguily. Avec les deux villageois, les policiers se rendent sur le lieu, accompagnés de l’infirmier qui est en poste dans ce village. Le village n’a pas de vétérinaire. Apres constatation sur le lieu, le poste de police de Diaguily saisit le commissariat de Gouraye qui dressa un procès-verbal avant de renvoyer l’affaire devant le parquet de Selibaby. Le 26 janvier 2009, le dossier a été classé sans suite pour insuffisance de preuves. La vie carcérale Le 15 février 2009, la partie civile déposa une plainte chez le juge d’instruction de Selibaby contre les deux cultivateurs. Le juge déclarant recevable cette plainte, Mr Babah Ould Mohamed Vall, déclasse l’affaire pour ouvrir une nouvelle enquête. Le juge se déplaça sur le lieu pour constater de visu les os d’un dromadaire mort depuis le 17 janvier. Le 17 mars soit 2 mois après la découverte du cadavre, le juge ordonna deux mandants d’amener contre les deux cultivateurs, assortis de deux mandats de dépôt en date du 23 mars 2009. Une vie carcérale de plus d’une semaine commença pour nos deux pauvres cultivateurs. Le juge conditionna la liberté provisoire des deux désormais prisonniers au paiement d’une caution de 360.000 UM. Car, pour le juge «un dromadaire gras, bien portant ne peut mourir naturellement». Sur ce, l’un des prévenus lui répondit ainsi «Mr le président, il y a quelques semaines, j’étais avec un cousin au village autour d’un verre de thé; on s’est quitté aux environs de 00 heure. On me réveilla vers 3 heures du matin pour m’informer qu’il n’est plus. Il était en bonne santé, plus portant et plus costaud que tous ceux qui sont ici présents dans cette salle. Alors qui l’a tué…, sanglots à la gorge? Voulez-vous dire Mr le Président que sa mort n’est pas une mort naturelle?». Rien n’y fait, le juge ne veut rien comprendre et les paysans sont envoyés en prison. Des exceptions Les deux cultivateurs ne recouvriront leur liberté qu’auprès de la Cour d’Appel de Kiffa qui a annulé l’ordonnance du juge d’instruction de Selibaby sans que les cultivateurs ne déboursent une Ouguiya. Le 24 Mai 2010, l’audience s’est ouverte en présence des deux prévenus. Pour la première fois, une dame s’est présentée comme étant la propriétaire du dromadaire en question. Même si le premier plaignant était un certain Beddy Ould Hamoudy devant qui le commissariat de Gouraye avait dressé son procès-verbal. C’est ainsi que l’avocat des accusés interpella le président de la Cour pour soulever cette exception qui entoure ce dossier à savoir le dromadaire appartient à qui finalement : Beddy qui s’est volatilisé dans la nature ou cette femme ici présente. Sur ce, le président de la Cour demanda à la dame des éclaircissements sur ces questions. Celle-ci déclare devant la Cour que «le dromadaire appartient à mon enfant orphelin et mineur». Le juge demande à la femme si, après la mort du père de l’enfant, on a procédé au partage de l’héritage et si elle détient un document attestant ce fait. La bonne dame dit au juge qu’elle n’a pas apporté le document avec elle. Et le juge de demander si elle dispose d’un acte lui attribuant la responsabilité exclusive de l’enfant mineur? La dame répond par l’affirmative et dit n’avoir pas l’acte sur elle et que cet acte existe. Le juge renvoya l’audience au 24 Juin 2010, non sans demander à la dame de se présenter avec les documents à l’audience. Avant la date fixée, par le président de la Cour, les deux cultivateurs ont été convoqués pour complément d’enquête par le même juge. Un seul cultivateur (Boubou Dramane Traoré) a pu se rendre à la convocation sans la présence de leur avocat. L’accusé s’est présenté devant le juge en présence de la plaignante et de deux frères de cette dernière. Le juge reconsidéra totalement le dossier et commença une nouvelle instruction. Et le 24 Juin 2010, les deux cultivateurs se présentent au tribunal de Selibaby pour l’audience. Le juge dira aux prévenus que comme Nalla, du nom de l’un des cultivateurs, ne s’étant pas présenté pour complément d’enquête, l’audience ne pouvait avoir lieu. Et ce dernier doit revenir le 5 juillet 2010 pour complément d’enquête.… Voici le calvaire des cultivateurs du Guidimakha qui n’ont plus le courage de protéger leurs cultures des dromadaires qui errent dans toute la région sans berger, et dévastent tout sur leur passage. Aucun village n’est épargné et le même sort est réservé à tous : débourser l’argent si par malheur un droamadire a la délicatesse de mourir à côté de chez vous.Après Oulomboni où le juge demanda 240.000 ouguiyas, Diaguily 360.000, voilà qu’une vieille femme du village d’Artoumo est conduite à Selibaby, accusée d’avoir tué un dromadaire. Triste et pauvre Guidimakha qui regrette déjà d’avoir voté pour le Président des pauvres. Car la population assiste chaque jour à une épreuve de nature à l’enfoncer dans la déchéance et la misère.

Seydi Moussa Camara - La Nouvelles Expression