Par ISABELLE HANNE Toute l'actualité avec Libération
On entre au foyer David d’Angers (Paris, XIXe arr.) par un portail grand ouvert, au numéro 15 de la rue. Sur une banderole blanche, entortillée par le vent, on lit:«Impossible de déménager sans le relogement de tous les habitants. Association des Oubliés et des Rejetés du foyer David d’Angers». Des hommes font griller du maïs, jouent aux cartes dans une petite cour triangulaire. Boubacar Nanakassé arrive d’un pas traînant. Chemise, gourmette et portable à la main: Boubacar, c’est la figure respectée du foyer. Le président de l’Association des Oubliés et des Rejetés, qui regrouperait 116 hommes. Maliens, Sénégalais, Mauritaniens, avec ou sans papiers, ils se disent floués par l’Aftam, l’association gestionnaire du foyer. Ils refusent de partir sans une solution de relogement. L’expulsion devait avoir lieu le 7 octobre dernier. Finalement, ils ont obtenu un délai jusqu’au 22 octobre, date à laquelle la cour d’appel de Paris doit rendre son délibéré. «Ici, c’est une histoire compliquée», prévient Boubacar. Un euphémisme.
Le foyer David d’Angers a été créé en 1968 dans les murs d’une ancienne usine. «Ça a très vite été un dortoir-taudis, un endroit très vétuste», se souvient Sébastien Peigney, membre du Collectif pour l’Avenir des Foyers (Copaf). David d’Angers est aujourd’hui une «priorité» du Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, décidé par la Ville de Paris. Il doit être détruit, et remplacé par une résidence sociale. Finies les chambres collectives du foyer. Dans la future résidence, place aux studettes individuelles, qui accueilleront les mêmes travailleurs migrants. Mais aussi «d’autres populations en difficulté», explique Hassan Abrach, directeur opérationnel Ile-de-France de l’Aftam.
Avant de raser le bâtiment, tous les résidents reconnus comme officiels par l’Aftam ont été relogés en juillet dernier. Ils réintégreront la future résidence sociale une fois les travaux finis. A l’image de Cekou Cissé, relogé provisoirement dans un foyer du 12e arrondissement. Résident à David d’Angers depuis 1980, il affirme: «Il y a encore des anciens là-bas. Certains sont là depuis 10 ans! S’ils n’ont pas été relogés, c’est parce qu’ils ont, pour certains, d’énormes dettes de loyer. Ils n’ont plus de lit à leur nom, ni de quittances depuis des années.»Comme les autres foyers, David d’Angers est depuis sa création, un lieu privilégié pour les migrants fraîchement débarqués - «David d’Angers, c’est là où tu vas après Roissy», dit-on. Contrat de résident ou pas. Sylvain Lazarus, soutien de l’Association des Oubliés - par ailleurs membre d’un petit parti d’extrême gauche, l’Organisation politique - explique: «C’est un usage des foyers africains, ce principe de ne pas laisser ses frères ou ses cousins à la rue.»
Du coup, solidarité oblige, il y aurait au moins 20 000 suroccupants dans les foyers rien qu’en Ile-de-France. «Tout le monde le sait, du préfet au ministre», affirme Hassan Abrach, de l’Aftam. Un usage que les résidences sociales, parce qu’elles individualisent l’hébergement, rendent impossible. «Ces résidences, c’est la fin des foyers africains, prédit Sylvain Lazarus. Plus aucune pièce commune, les résidents n’ont plus le droit de recevoir… C’est juste un endroit pour dormir.»
Malgré les relogements des résidents officiels, le lieu ne s’est pas vidé. Il reste habité par les 116 «oubliés» du foyer, et n’a pas encore pu être démoli. Au rez-de-chaussée, une salle de prière. En sous-sol, une salle de réunion. Dans le petit hall d’entrée, on tombe nez à nez avec un véritable salon de coiffure. A 5 euros la coupe, beaucoup de gens extérieurs au foyer en profitent. Quelques pas plus loin, un, puis deux vendeurs - cigarettes, sodas, snacks. Tout au bout du couloir, la cuisine collective, vaste pièce rectangulaire. Deux à trois cuisinières, les seules femmes du bâtiment, viennent y travailler la journée. Le repas, toujours un plat de riz avec viande ou poisson, est à 1,70 euros. «Si t’as pas d’argent, un ami pourra te donner», dit Boubakar. Et là aussi, les clients ne sont pas tous du foyer. Une «véritable économie parallèle» que l’Aftam espère mettre à néant grâce à la nouvelle organisation de la résidence sociale.
Les locaux sont insalubres. Lino jaunâtre au sol, carrelages blancs, portes vertes, et néons blafards. Partout, une forte odeur d’urine et d’humidité. En témoignent les tâches brunâtres aux plafonds et aux murs. Dans les salles d’eau, lavabos et toilettes bouchés, plafonds défoncés, tuyaux qui pendouillent… Dans les chambres, les lits sont bien faits. En tout, «quinze chambres collectives de 6 lits», affirme Boubacar Nanakassé. Pourtant, selon Hassan Abrach, le foyer n’affiche que «61 hébergements officiels». Dans un foyer, quittances et lits ne correspondent pas toujours.
Chambre 14, une dizaine d’hommes se reposent. C’est dimanche. Assis devant la télé, Samba, un ancien du foyer relogé il y a quelques années avec sa famille, est venu «soutenir ses frères et ses cousins». Il témoigne:«J’ai toujours eu des papiers, mais dans ce foyer, je n’ai jamais eu de lit à mon nom. Quelqu’un de ma famille était rentré au pays, et il m’avait prêté son lit, qui est resté à son nom.» Un système de «remplaçants» largement répandu, qui complexifie la comptabilité des foyers. Pour l’Aftam, ces hommes sont des «occupants sans droit ni titre». Et ceux qui restent au foyer aujourd’hui «sont clairement des squatters.» Hassan Abrach estime qu’«à chaque opération de relogement, c’est la même chose. Systématiquement, des gens apparaissent pour tenter d’en profiter, ça fait appel d’air».
Dans leur combat pour le relogement, les membres de l’Association ont choisi de ne pas faire du cas par cas. Tout le monde dans le même sac, papiers ou pas. Alors, ils ont fait des lettres. A la mairie du XIXe, à la mairie de Paris. Ils ont pris trois avocates, organisé des manifestations. «Si on va à la rue, on va perdre notre emploi, avait anticipé Traoré Daoda, lors d’une réunion au foyer, début septembre. Nous ne sommes pas des délinquants, des provocateurs ou des squatters. Nous sommes des ouvriers, des travailleurs. Si on est là, c’est pour aider nos familles là-bas, en Afrique». Lassana Keïta, la trentaine, s’était mis debout: «Quitter ce foyer, ce sera un plaisir pour nous. Vous avez vu dans quoi on vit? Mais ici c’est quand même mieux que le trottoir.»
Va -t-on assister progressivement a la fin des foyers ?
Cela constituerait il un dangr ou une opportunite pour notre communaute ?
A vos claviers ...