Qui était vraiment Michel Germaneau et comment s’est-il retrouvé au Niger, à l'âge de 78 ans, pour mourir entre les mains d’une bande armée ? Bien des gens se sont manifestés pour parler de Michel depuis son enlèvement, mais ses amis intimes, à l’instar de l’homme qu’il était, sont des gens simples et discrets. Lorsqu’un vieil ami et collègue m’a demandé tout récemment si nous pouvions héberger le site de l’association de Michel, l’Enmilal, sur un des serveurs de notre entreprise, j’ai voulu comprendre. Au fil d’émouvants échanges avec ses parents, amis intimes de Michel depuis plus de 50 ans, j’ai découvert l’homme, sa modernité, son humilité, sa soif de vie et d’humanité. L’idée d’écrire un portrait qui lui rendrait justice était née.
Ce texte n’avait initialement pas vocation à servir de nécrologie. Sa rédaction avait commencé dans l’espoir. Le reprendre pour le mettre au passé a quelque chose d’irréel, tellement Michel incarnait, humblement mais sûrement, l’Homme Vivant.
Qui est Michel Germaneau ?
Le 23 avril, 48h après son enlèvement, la nouvelle tombe : « un touriste français de plus de 70 ans » vient d’être pris en otage dans le nord du Niger par l’Aqmi, branche maghrébine d’Al-Qa’ida. Au fil des jours les informations se font plus précises : il s’agit de Michel Germaneau, 78 ans, ingénieur électronicien en retraite, conseiller technique d’une association humanitaire, l’ENMILAL, résidant à Marcoussis, sans conjoint ni enfants.
La presse nous offrait alors le portrait succint d’un homme capturé en pleine « zone rouge », victime malgré lui d’enjeux géopolitiques complexes, trop complexes pour être évoqués au JT. Fait divers en zone de guerre.
Comment diable un retraité français avait-il pu finir entre les griffes d’une faction d’Al Qa’ida aux confins du Sahara? La France entière s’est posé la question. La réponse est celle de toute une vie.
L’homme de conviction : premier contact avec le Sahara
Ses amis de longue date se souviennent. C’était il y a 51 ans. Michel, leur nouveau collègue à la Compagnie des Machines Bull, était un garçon timide et réservé, d’une immense curiosité et d’une maturité peu commune. Il y a des coups de foudre en amitié, cette rencontre en fut un.
Michel n’avait pas 30 ans. Il revenait de loin.
Né en 1932 à Bazas, en Gironde, Michel, alors étudiant en électromécanique à Nantes, est appelé sous les drapeaux. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Il refuse de porter une arme et l’affirme haut et fort : il n’ira pas tuer ni mourir dans le Sahara pour une cause qu’il n’approuve pas. C’est contraint et forcé qu’il se retrouve sur le sol algérien. Qu’à cela ne tienne : il perd son fusil. Un geste grave. Forte tête. L’armée française le fait interner, à l’instar de tous ceux qui alors ont osé dire non. Il subit l'humiliation d’un traitement psychiatrique en milieu carcéral. On ne badine pas avec les intérêts supérieurs de la Nation.
Il faut le rappeler : sur près de 1,3 millions de jeunes Français ayant servi pendant la guerre d’Algérie, entre 1952 et 1963, il n’y eut qu’environ 15 000 « réfractaires » et moins de 2000 à se présenter devant les autorités militaires pour défendre leurs opinions droit dans les yeux. Grâce à leur courage et leur exemple, le statut d’objecteur de conscience sera adopté en 1963, après la guerre. Michel était de ceux-là.
L’ingénieur sans frontières
Dès sa plus tendre enfance Michel manifeste un talent de touche-à-tout de génie. Cette soif de comprendre le monde, de faire et d’être utile est le fil rouge de sa vie. Les hommes, leurs horizons et leurs machines sont son univers. Au début des années cinquante, la vingtaine à peine entamée, il profite d’une première occasion: ce sera la Turquie, à moto. Pendant deux mois, il sillonne le pays sur sa Monet-Goyon à la rencontre des habitants. Plus d’une fois il est amené à la réparer au milieu de nulle part, sauvé par son génie de la mécanique. L’intermède algérien met un brutal coup d’arrêt à ses aventures. Lorsqu’il entre à la Compagnie des Machines Bull en 1959, l’électromécanique et la mécanographie sont à leur apogée. Le rêve, pour un jeune ingénieur féru de systèmes complexes. Il s’y refera une santé.
De petite taille, sec et nerveux, Michel a toujours fait preuve d’une endurance physique et d’une force de caractère hors du commun. Grâce au Comité d’Entreprise de Bull, encouragés par ses nouveaux amis, il découvre le ski et la varappe. C’est le début d’une passion indéfectible pour la montagne. Les mois d’hiver, voilà longtemps qu’il les passait en Savoie dès les premières neiges, à Peisey-Nancroix, où il possèdait un petit appartement. L’hiver dernier il y skiait encore tous les jours.
Il restera chez son premier employeur jusqu’en 1963, date symbolique marquant l’arrivée d’IBM en Europe grâce à la technologie des ordinateurs à transistors et bande magnétique. La Compagnie des Machines Bull doit s’adapter. L’informatique moderne frustre ce génie de la mécanique : il s’y refuse et rejoint la Compagnie des Signaux et d’Entreprises Electriques – aujourd’hui la CS Communication et Systèmes. Tous les éléments sont réunis pour satisfaire ses passions.Tahiti, Brésil, Gabon, Bengladesh, les postes à l’étranger se succèdent pour cet homme au tempérament nomade, toujours curieux des cultures locales, doté d’une grande capacité d’adaptation, plus à l’aise chez l’habitant que dans les grands hotels et les résidences pour expatriés. Envoyé aux quatre coins du monde, il relèvera tous les défis, travaillant sur des projets tel que le pharaonique réseau ferroviaire Transgabonais.
Le dilemme de la retraite
Mis en pré-retraite forcée en 1990, pas question pour Michel de se tourner les pouces. Il n’a plus les moyens de voyager aussi loin, aussi longtemps qu’auparavant. Voyager en simple touriste ? Très peu pour lui. S’installer devant la télévision ? Pas davantage: il n’a jamais supporté. L’existence en pantoufles ce n’est pas son truc.
Qu’à cela ne tienne, sa vision de la vie est en elle-même tout un voyage, son inventivité est intacte, ses mains sont toujours vaillantes : entre deux séjours en montagne, il se lance dans la réalisation d’un impressionnant planisphère en marqueterie, dont il apprendra seul les techniques. Les outils qu’il désire n’existent pas dans la panoplie traditionnelle de l’ébéniste? Il ira les chercher dans le domaine du modélisme, sur les conseils de ses amis. Son planisphère terminé, il se passionne pour ce nouvel univers et son premier achat est un hélicoptère d’1m50 d’envergure. Tant qu’à faire, pour ce surdoué de la mécanique, autant choisir ce qu’il y a de plus fascinant et de plus complexe. Mais le faire voler, c’est une autre paire de manche. Après plusieurs essais destructeurs il se résoud à acheter un ordinateur pour s'exercer au pilotage avec un simulateur de vol… et tombe amoureux de l’informatique, à la stupéfaction de son entourage. Têtu, mais pas borné. Il n’aura de cesse de se perfectionner au point de dépasser le savoir de ses amis informaticiens de la première heure. Les voyages lui manquent, malgré tout. S’il satisfait son tempérament hyperactif, son appétit d’horizons est frustré. La mécanique, céleste cette fois, lui donnera l’occasion de renouer avec ses instincts de bourlingueur.
Retour au Sahara
Le Sahara se retrouve sur sa route en 2006, à l’occasion d’un voyage organisé pour l’observation d’une éclipse de soleil en mars de la même année, aux confins du Niger et de l’Algérie. Le petit groupe de français a pour guide Abidine Ouaghi, un Targui originaire de la région de Tamanrasset.
Touché par l’esprit de solidarité des Touareg, chez qui l’inventivité rivalise avec la générosité, Michel se lie d’amitié avec son guide. Il découvre la réalité et les besoins des habitants du désert. L’idée de créer une petite ONG, l’ENMILAL (« entraide » en Tamachek), pour améliorer les conditions de vie du village tout en donnant un cadre légal à leurs activités, est née. Il sollicite ses amis les plus proches. Michel passera dès lors plusieurs mois par an dans le Sahara en compagnie de son ami Abidine Ouaghi, devenu président de l'association ENMILAL au Niger. C’est sans prétention – son association n’avait pas de site Internet , ce sont ses proches qui en ont créé un récemment – qu’il s’attèle à la tâche. Membre très actif de l'association, il conseille pour la construction de l'école, installe un ordinateur en formant Abidine pour faciliter les échanges avec ENMILAL France, réalise l'étude des panneaux solaires pour la future construction du dispensaire. Apprendre et partager, encore et toujours. Michel, qui n’a pas d’enfant, considère Abidine Ouaghi comme son fils adoptif. Là bas, il est chez lui : Abidine, Dina pour les intimes, lui a construit de ses mains une pièce supplémentaire pour l’accueillir. Au fil des ans, le vieux sage français aux mains d’or a gagné l’estime et le cœur des nomades. Il est heureux. La boucle est bouclée.
La suite est connue : son dernier séjour lui aura été fatal. Terrible ironie de l’histoire, il mourra dans les sables de ce Sahara où il avait refusé de se battre 50 ans plus tôt, victime malgré lui d’une situation géopolitique inextricable et pourrissante, issue de la colonisation.
L’ENMILAL est son œuvre et lui survit : www.enmilal.org
Le mot de la fin est pour ses amis très chers :
« Hommage de tes vieux amis
Michel, toi qui était si discret et réservé, te voilà sous les feux de l'actualité.
Tu avais obstinément refusé d'aller combattre en Algérie et te voilà exécuté
tout près, au Sahel, victime d'une guerrilla qui ne te concerne même pas.
Tu étais à nos côtés à notre mariage.
Notre amitié profonde et sincère a traversé un demi-siècle
Michel , nous t'aimons , tu nous manqueras beaucoup.
Dina, nous ne te connaissons pas mais nous partageons ton chagrin.
Michel te considérait comme son fils et les nombreux séjours qu'il
faisait dans ta famille le rendait heureux.
Si vous souhaitez rendre un dernier hommage à notre ami, vous pouvez
faire un don à son association ENMILAL pour laquelle il se dévouait tant
plutôt que des fleurs qui fanent si vite.
Nous pensons que c'est ce que Michel aurait souhaité. »
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