Burqa: «On ne libère pas les gens malgré eux»
INTERVIEW
Alors que le gouvernement s'interroge sur la nécessité de légiférer sur le port de la burqa, le sociologue Jean Bauberot, spécialiste des questions de laïcité, évoque la «croyance un peu jacobine selon laquelle l’Etat saurait ce qui est bon pour les citoyens».
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Recueilli par LAURE EQUY
Jean Bauberot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), est auteur de plusieurs ouvrages dont les Laïcités dans le monde (PUF, 2007). Alors qu'une soixantaine de députés de toutes tendances ont déposé, le 8 juin, une proposition de résolution pour créer une commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqa, il estime qu'il est moins question de la laïcité que de problèmes d'«ordre public», comme «la reconnaissance de l’identité de la personne que l’on a en face de soi».
Cinq ans après la loi interdisant les signes ostensibles d’appartenance religieuse à l’école, la question du port du voile intégral - niqab ou burqa - est aujourd’hui posée. Quels points communs entre ces deux débats?
Le débat n’est pas exactement le même: avec la loi de 2004, il portait essentiellement sur la signification du voile. Pour la burqa, peuvent aussi se poser des problèmes pratiques de reconnaissance de l’identité de la personne que l’on a en face de soi. Le point similaire est sans doute cette idée que l’Etat peut émanciper les individus malgré eux. Une croyance un peu jacobine selon laquelle l’Etat saurait ce qui est bon pour les citoyens.
Le port de la burqa dans la rue représente-t-il une atteinte à la laïcité?
L’exigence de laïcité n’est pas du tout la même à l’école ou dans la rue. Plus que de laïcité, il serait question d’ordre public dans un pays démocratique, lorsque la burqa ne permet pas de reconnaître la personne qui la porte. Elle peut alors rendre difficile l’acte social.
Mais il y a, aujourd’hui, une confusion sur la laïcité. Ses principes fondateurs, actés sous la IIIe République sont la liberté de conscience, l’égalité des citoyens devant la loi, la séparation du religieux et de l’espace public. Il s’agissait d’empêcher la domination du religieux, non son expression. On peut, bien sûr, regretter que des femmes portent la burqa mais on ne libère pas les gens malgré eux.
Les députés, derrière André Gerin (PCF), proposent d'abord la création d’une commission avant, éventuellement, de légiférer. Ne trouvez-vous pas cette démarche raisonnable?
Contrairement au voile, on ne dispose pas d’enquête sur le port de la burqa. Un débat serein, rationnel, suppose effectivement de la connaissance. Mais, depuis quelques jours, plusieurs personnes semblent trouver avant même d’avoir cherché! Evitons les déclarations à l’emporte pièce.
Une piste plausible est la co-existence de deux manières de porter la burqa: l’une subie, l’autre revendiquée. Or, je ne sais pas si le fait de voir plus de femmes en burqa dans la rue - à supposer que cette impression soit juste -, n’est pas lié au fait que celles-ci sortent davantage. C’est pourquoi, il faut être extrêment attentif et avoir toutes les données du problème: s’il y a une loi, ces femmes ne risquent-elles pas de rester recluses?
Pour l’une et l’autre de ces démarches, subie ou revendiquée, faut-il passer par une loi?
Dans le cas où le port de la burqa est subi, un dispositif d’aide sociale pour accompagner vers l’autonomie paraît peut-être plus approprié. Il s’agirait plutôt, a priori, d’un travail d’antenne.
Pour les femmes qui revendiquent le port de la burqa, je crois que c'est l’évolution du rapport actuel entre démocratie et islam qui peut modifier les choses. C’est moins un problème de laïcité que de sécularisation. Les changements internes à une religion sont liés à une dynamique sociale, à un climat général, pas à une approche autoritaire.
Si la burqa est une manière de retourner le «stigmate» (lire l’interview de Mohamed-Cherif Ferjani qui évoquait «un contexte» où certaines musulmanes «ont l’impression, à tort ou à raison, que l’islam est rejeté, diabolisé», ndlr), la façon la plus efficace est d’agir sur ce stigmate même, en accentuant par exemple la lutte contre les discriminations. Il faut, en tous cas, veiller à ne pas aggaver ce stigmate.
source: liberation.fr
Et la polemique enfle ....
La liberte d expression dans tout les sens en France c est deux poids deux mesures.
Quand regarderont-ils ce qu il se passe chez nos voisins UK, Ireland, Nordics ...