Voici un article que j'aimerai partager avec vous...
La France pas claire avec ses minorités
Véronique Soulé, source: Liberation.fr
Un phénomène Obama est-il possible en France ? Théoriquement oui. Dans les faits, il faudra probablement attendre un peu. La reproduction des élites reste en France largement consanguine. Malgré la démocratisation de l’enseignement, il vaut mieux être blanc, issu d’une bonne famille, fils ou petit-fils de polytechnicien - voire les deux - pour accéder au sommet.
Aujourd’hui plus de 63 % d’une classe d’âge décroche le bac, un assez bon résultat parmi les pays développés. Des jeunes d’origine étrangère se retrouvent ainsi sur les bancs de la fac. D’autres, brillants élèves, qui ont profité du dispositif «éducation prioritaire», intègrent Sciences Po. D’autres encore, qui ont bénéficié de tutorats d’élèves de grandes écoles, s’aventurent dans les classes préparatoires, considérées comme le sésame pour réussir. Ils reçoivent alors des bourses de l’Etat et, parfois, de grandes entreprises. Ils peuvent aussi faire leurs études en alternance, ce qui leur permet d’avoir un revenu. Enfin certaines grandes écoles ont des frais de scolarité calculés sur les revenus.
Mais cette démocratisation reste imparfaite. Les enfants de familles immigrées pâtissent de leurs origines sociales. Et l’école n’y peut pas grand-chose. Récemment un rapport du Cereq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), présidé par Jacques Delors, soulignait qu’ils représentaient 18 % des jeunes qui sortent chaque année sans qualification du système scolaire. Or la France est l’un des pays où le diplôme reste le plus valorisé, notamment pour trouver un emploi.
Collège ghetto. L’égalité des chances est un débat récurrent. Plus encore que ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy a choisi d’y répondre par la méritocratie : si tu es bon en classe, l’Etat t’aidera. Il a présenté l’abandon de la carte scolaire comme une mesure de «mixité sociale»: les élèves doués et travailleurs pourront quitter leur collège ghetto pour rejoindre un bon établissement. Pour la sociologue Agnès van Zanten, cela «va à l’encontre d’une démocratisation de masse», puisque les collèges ghettos, fuis par les meilleurs, sont abandonnés à leur sort. Dans les milieux favorisés, un élève peut être moyen dans le secondaire et se révéler en prépa. Pour les plus pauvres, c’est déconseillé.
Au sommet de l’échelle, les chances ne sont pas non plus tout à fait égales. Les statistiques ethniques étant interdites, il est impossible d’avoir des chiffres exacts. Mais sur les 80 admissibles ce mois-ci à l’ENA, les candidats issus d’une minorité visible se comptent sur les doigts d’une main. Les autres grandes écoles ne font guère mieux. Il faut dire que certaines, comme l’X, ont lancé leur programme d’ouverture sociale il y a deux ans : il faut donc attendre pour en mesurer les effets.
Frileux. Mais en France plus qu’ailleurs, le capital culturel pèse très lourd dans le cursus. Les concours d’entrée à Normale Sup comportent de redoutables épreuves de culture générale, difficiles pour des élèves venus des quartiers. Et les grandes écoles ne veulent surtout pas d’examens d’entrée séparés comme Sciences Po : une discrimination positive, selon elles, qui ne dit pas son mot.
Il y a enfin l’autocensure pratiquée par ces jeunes. Mieux vaut un IUT qui donne un travail plutôt que s’embarquer dans des prépas dont on voit mal l’issue, puis dans de longues études qui coûtent cher. Ceci explique que ces jeunes, à niveau égal au bac, choisissent moins les formations prestigieuses.
Mais après s’être battu plus que les autres pour faire des études poussées, il faut encore percer. La discrimination à l’embauche n’est pas un secret. Elle n’épargne pas les diplômés issus des minorités. Le monde politique, déjà frileux à l’égard des femmes, n’est guère plus ouvert. Si l’on n’est pas raciste en France, on est en tout cas des champions de «l’entresoi».