Le comportement du musulman quand on lui fait du mal

Quelle est la personne qui n’a jamais été victime d’un préjudice ou d’une injustice en ce monde?

Ce sont des moments difficiles pour le croyant, car quel que soit le degré de notre foi, l'âme charnelle (nafs) nous pousse à réagir instinctivement à la façon des animaux qui mordent quand ils sont mordus, quitte à faire plus mal encore à l’agresseur que le mal que nous avons subi.

Pourtant, ceci est très éloigné du comportement du musulman tel qu’Allah éxalté nous l’a prescrit, et est loin de la pratique du Prophète salallahu ‘alaihi wa salam, qui a été envoyé pour nous montrer la perfection du comportement.

Nous allons inshallah essayer de dégager les caractères nobles que le musulman doit tenter d'appliquer dans ces situations, et à plus forte raison le soufi en quête d'excellence (ihsan).




L'enseignement du Coran et de la Sunnah


Allah exalté a dit dans Son Saint Coran :

"Elancez-vous vers un pardon ineffable de votre Maître, hâtez-vous vers un Paradis immense, aménagé aux dimensions des cieux et de la terre, réservé à ceux qui craignent Dieu, à ceux qui dispensent leurs richesses en aumône, qu'ils soient dans la gène ou l'abondance, qui savent dominer leur colère et pardonner à leur prochain. Dieu aime les âmes généreuses !"
(Coran, Sourate 3 - verset 133)

"… ils oublieront et ils pardonnerons. N’aimez vous pas quand Dieu vous pardonne ? Dieu est Celui qui pardonne. Il est très miséricordieux"
(Coran, Sourate 24 - verset 22)

"Pratique le pardon ; ordonne le bien ; écarte-toi des ignorants "
(Coran VII-199)

On rapporte que lorsque ce verset fut révélé au prophète (saws) il a interrogé l’Archange Gabriel (as) sur son interprétation. Gabriel lui dit : Attend que j’interroge Celui qui connaît toute chose (Allah exalté). Il alla, puis revint le voir et dit : Ô Mohamed Dieu t’ordonne de garder les liens avec celui qui rompt avec toi, de donner à celui qui te prive et de pardonner à celui qui te fait du tort !

On rapporte également que lorsque l’incisive du Prophète (saws) fut brisée, et sa tête fut blessée au court de la bataille d’Uhud, les compagnons furent très touchés. Ils lui ont proposé : Et si tu lançais des imprécations (malédiction) contre eux (les quraish) ! Il leur répondit :

« Je n’ai pas été envoyé pour maudire. Mais j’ai été envoyé comme un implorant et comme une miséricorde. Mon Dieu ! Dirige mon peuple car ils ne savent pas. »

De même on rapporte que ‘Umar (raa) a dit un jour au Prophète : « Par mon père et ma mère ! Ô Envoyé de Dieu ! Noé a jeté l’anathème sur son peuple en disant Mon Seigneur ! Ne laisse sur la terre aucun habitant qui soit au nombre des impies (Sourate 71 - verset 26) Si tu jette contre nous un semblable anathème nous périrons jusqu’au dernier. Pourtant ton dos a été foulé, ton visage ensanglanté et ton incisive brisée, mais tu n’as voulu dire que du bien. En effet tu as dit « Mon Dieu ! Pardonne à mon peuple car ils ne savent pas. »

De même Zayd Ibn Sa’na est venu le voir (avant d’embrasser l’islam) pour lui réclamer une dette. Il tira son habit au niveau du coude puis le saisi violement par les bords de ses vêtements et lui dit : Vous les descendants de ‘Abd-l-Muttalib vous retardez les paiements ! A ces mots ‘Umar le menaça et lui lança des propos très durs pendant que le Prophète saws, lui, souriait. Puis l’Envoyé de Dieu (saws) dit à ‘Umar : Nous avions davantage besoin, lui et moi, d’un autre conseil, ô ‘Umar ! : Que tu m’ordonnes de bien régler ma dette et que tu lui ordonnes de bien la réclamer. Et il ordonna à ‘Umar de régler sa dette et de lui donner en plus vingt boisseaux pour l’avoir effrayé. D’ailleurs cet épisode fut la cause de son entrée en islam.

(les hadith qui viennent d'être cité sont tirés du Kitab ach Chifa' du Qadhi 'Iyyad al Maliki)

Les références sont innombrables dans la tradition musulmane à ce sujet, mais ce qui vient d'être cité est suffisamment éminent pour nous éclairer sur le comportement que nous devons adopter quand quelqu’un nous fait du mal ou est injuste envers nous, qu’il s’agisse d’un frère musulman ou non d’ailleurs, comme le montrent les deux derniers exemples.



Les degrés d'excellence en la matière


Mais comme dans toute chose, il y a des degrés de perfection. Et ces degrés nous sont exposés de façon claire par les versets suivants, et qu’Allah nous en accorde la bonne compréhension :

Et qui profère plus belles paroles que celui qui appelle à Allah, fait bonne oeuvre et dit : "Je suis du nombre des Musulmans?"
La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse (le mal) par ce qui est meilleur; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux.
Mais ce privilège n'est donné qu'à ceux qui endurent et il n'est donné qu'au possesseur d'une grâce infinie.
Et si jamais le Diable t'incite (à agir autrement), alors cherche refuge auprès Allah; c'est Lui, vraiment l'Audient, l'Omniscient.
(Sourate 41 - versets 33 à 36)

En s’arrêtant sur ce verset, on constate que Allah a attribué ce comportement aux musulmans, mais l’a introduit d'abord en tant que « paroles ».

C’est-à-dire tout d’abord que c’est un rappel que nous devons nous faire régulièrement à nous-même, entre nous, et aussi aux autres. Toute personne qui a la foi dans les valeurs universelles ne peut que voir en cela un comportement d'excellence, et en être touché et édifié, comme le fut Za'id ibn Sa'na dans le récit que nous avons cité.

Parole également car même si nous en comprenons la sagesse, il s’agit d’une chose bien difficile à appliquer comme le montre la suite : il s’agit d’un privilège qu’Allah n’accorde pas à tous les croyants, mais seulement à ceux qui ont déjà mis en pratique une grande vertu qui est la patience.

A la lumière de tout cela, face à un mal, il y’a quatre façons de réagir: une mauvaise, et trois bonnes :

La première est de répondre au mal par le mal.

Cette une attitude s’appelle la vengeance. C'est un acte vil d’injustice et d’incompréhension du message Divin, une insufflation de Shaytan comme le dit le verset sus mentionné. La justice, même si elle ne donne pas une satisfaction pleine et imédiate au nafs, est bien meilleure comme nous l'enseigne Allah subhanahu : Que le ressentiment pour un peuple ne vous incite jamais à être injustes : la pratique de la justice vous rapproche de Dieu (Sourate 5 verset 8).

Dans ce cas de figure, personne n’est gagnant : la personne a engrangé une mauvaise action, et nous aussi, et nous aurons tous deux à y répondre devant Allah subhanahu.

La seconde est d’avoir recours à la loi.

C’est la manière des gens du commun. On dénonce alors la personne aux autorités compétentes et l’on se fait généralement restituer une partie du préjudice si tant est que cela est possible. Dans le meilleur des cas, il s’agit de la Shari’a, mais dans un autre contexte, il s’agit de la loi du pays dans lequel on vit. Recourir à la loi est une façon de se protéger et de protéger les autres de la fitna qui a été causé par la personne, et c’est une attitude conforme à la citoyenneté.

Il faut préciser qu'on confond souvent la shari’a avec la vengeance. Le talion qu’Allah a prescrit n’a rien à voir avec une justice qu’on appliquerait soi-même, les peines légales, même dans un pays islamique, sont appliquées par un juge au terme d’un procès en règle, et jamais ne sont appliquées par la personne qui a subit un tord.

Dans ce cas de figure, la justice est rendue, le préjudice effacé, et les balances sont remises à zero. Cette attitude est donc juste, mais pas la plus profitable.

La troisième est le fait de patienter.

C’est la manière des gens de l’élite. Il s’agit de remettre son affaire entre les mains d’Allah exalté, le Juste, le Miséricordieux, qui jugera entre Ses créatures en toute équité au Jour du Jugement. La patience ici signifie le fait de pardonner, de ne pas chercher de compensation ni d’attendre d’excuses de la part de la personne.

Bien sûr, les actes ne valant que par les intentions, il faut que ce soit vraiment par foi en la justice Divine, et non pas par faiblesse à appliquer la seconde solution. Et "En vérité, Allah est avec les patients" (Coran sourates 2 verset 153; et 8 verset 47).

Dans ce cas de figure, celui qui patiente est récompensé par Allah éxalté, et change le mal qu’on lui a fait en bien. Cette attitude est donc profitable pour celui qui a subi le préjudice.

La quatrième est le fait de répondre au mal par le bien.

C’est la manière des gens de l’élite de l’élite. Dans ce cas de figure, non seulement le croyant s’en remet à la justice Divine, mais justement, il est pris de sollicitude pour l’avenir de la personne qui lui a fait du mal, car « ils ne savent pas ».

Il cherche alors le bien pour l’autre, et met sa fierté et sa crainte de la souffrance de côté. Aussi, il met en pratique le verset ci dessus, et répond au mal par le bien, montrant par là même à la personne le comportement exemplaire qui est la meilleure des prédications.

Il arrive alors, si Allah le veut, que la personne soit touchée par ce geste, et réfléchisse sur l’acte qu’il a commit, s’excuse, ou même prenne exemple et pratique cela à son tour. Dans ce cas de figure, si Allah le veut, la personne fautive change et s’amende, récoltant ainsi les bienfaits Divins.

On dit aussi que le minimum de bien que l'on puisse répondre à un mal consiste à prier en secret pour le bien de la personne et pour qu’elle comprenne sa faute pour pouvoir s'en repentir et en être pardonné.

Cette attitude est donc profitable pour celui qui a subi le préjudice autant que pour celui qui l’a causé.



L'éducation spirituelle


La réaction approprié face au préjudice est un thème que les maîtres spirituels de l'Islam n'ont bien sûr pas laissé de coté.

Muhyi ud din ibn ‘Arabi a dit :

Prie pour le bien de celui qui a été injuste envers toi, car celui-ci t'a préparé du bien pour ta vie future: si tu pouvais voir ce qu'il en est réellement, tu te rendrais compte que l'injuste t'a fait vraiment du bien pour la vie future. Alors, la récompense du bienfait ne doit être que le bienfait (cf. Coran 55, 60) (prie donc pour le bien de celui qui t'a réservé un bien); du reste, le bienfait dans la vie future est permanent.

Ne perds pas de vue cet aspect des choses, et ne sois pas trompé par le fait des dommages qui te résultent ici-bas par l'injustice dont tu es l'objet: il faut considérer cet inconvénient comme le médicament désagréable que doit absorber le malade parce que celui-ci sait quelle utilité il en tirera finalement. L'injuste joue un rôle équivalent: prie donc pour qu'il ait tout bien !

Il a dit également :

Quand tu te couches n'aie dans ton cœur rien de mauvais à l'égard de qui que ce soit, ni rancune, ni haine.

L’imam Tierno Bokar Salif a dit :

Le mal doit être combattu par les armes du bien et de l'amour. Quand l'amour détruit un mal, ce mal est tué pour toujours. La force brutale ne fait qu'enterrer provisoirement le mal qu'elle veut combattre et détruire. Or le mal est une semence tenace. Une fois enterrée, elle se développe en secret, germe et réapparaît plus vigoureuse encore.

Mais pour être capable de ces degrés d’excellence, l’âme doit être dominée et dressée à ne pas s’attarder sur les fautes des autres, même si elles sont à notre encontre, mais plutôt sur nos propres erreurs et imperfections. Il faut porter sur l’autre, ami ou ennemi, un regard de miséricorde et de tolérance, et rejeter les pulsions vengeresses tout en les redirigeant contre notre nafs qui est, comme le dit le Coran, "instigatrice de mal".

Et c’est là un des objectifs de l’éducation spirituelle et du compagnonnage avec un maître spirituel, dont l’un des rôles est de nous faire prendre conscience progressivement et avec subtilité que l’ennemi véritable n’est pas autre que nous-même.

Chaykh al Darqawi dit à ce sujet :

Un de nos frères se plaignit chez nous d'un oppresseur qui le persécutait. Nous lui répondîmes : " Si tu désires tuer celui qui t'opprime, alors tue ton ego (nafs), car en le tuant, tu tueras tous les oppresseurs."

Le maître Sidi Hamza al Qadiri al Budchichi a dit:

Chacun doit veiller sur son (propre) coeur. Toute suggestion (négative) devra être rejetée. Il faut rejeter ce qui est malsain en soi et tenter de s'ouvrir à toutes les Grâces Divines, à ce qui est positif et favorise le cheminement et la progression. Mais comment rejeter les suggestions négatives ? Lorsqu'on les sent arriver, il faut dire à son ego qu'il a tort et que c'est lui qui a tous les défauts et non les autres : " C'est moi qui suis en tort. Si je vois le défaut dans l'autre, c'est parce qu'il est en moi, sinon je ne l'aurais pas vu ! ".

Et c’est Allah qui accorde le succès dans la mise en pratique de tout cela.

Wa Allahu ‘alam.



Du site saveurs soufies