Sud Quotidien
CHRONIQUE DE L’IMPROVISTE
Par Henriette Niang Kandé
Cher Père Noël…
Voici venir Noël et son cortège de vœux et de cadeaux en tous genres. Je t’adresse cette année une lettre bien particulière car, malgré les doutes que j’ai pu avoir sur ton existence par le passé, je sens revenir en moi avec une force jusqu’alors inconnue, la foi que je croyais enfouie depuis que je me suis rendue compte que beaucoup de Sénégalais ne poursuivent plus de chimères et ne chevauchent plus de songes. Ils sont devenus très peu loquaces, mais ne pensent pas moins que quelques fois, ils doivent prendre la parole car quand l’injustice règne, garder le silence est un délit. Nous voulons être réconfortés, un tant soit peu.
Nous avons traversé l’année 2006, extra-ordinaire, dans une ambiance quelques fois surréaliste, avec des équipes gouvernementales sans grande inspiration, et des animateurs à bout de souffle en bout de course… Comme l’année qui s’achève. Maître lui, n’a pas changé de méthode. Il a fait ce qu’il sait le mieux : présider en suivant le sens du vent, jouer à la guest-star et poursuivre sa carrière de VRP de luxe. Il a goûté et apprécié au maximum l’usage du pouvoir. Il a adoré çà. Il est entré avec délice dans les institutions qu’il a tant décriées : les protocoles, les nominations, les médailles, les honoris « causeurs ». Rien que pour cette année, entre le 1er février et le 23 novembre, Maître a « validé » quatre remaniements/réaménagements, « proposés » par Monsieur Macky, qui a l’air depuis qu’il a été nommé Premier ministre, d’être étranger aux gouvernements dont il est le premier membre. Une partie de la troupe, luisante, lustrée, n’a jamais autant ressemblé à un « mbotaay» de gérants de tontines, expliquant aux personnels comment on réussit, quand on a la chance de trouver du travail et qu’on économise sur sa paie. L’autre partie est employée à l’invective, leur évangile fait des autres des parias, et Maître couvre cette prose, vulgaire dans son esprit comme dans sa forme. D’autres, qui n’ont pas trouvé de place, malgré d’innombrables appels du pied, profitent de l’oreille attentive de Maître, sensible à l’éloge et à la dithyrambe, pour lancer leur propre marque sur le marché. Ainsi voit-on fleurir de curieux OPNI (Objets politiques non-identifiés).
C’est ce qu’est devenue la République depuis bientôt sept ans : une maison folle. Avec des bruits de volière et les déménageurs à la porte, tandis que les enfants de l’Alternance, dehors, se mordent entre eux. Leur saga est une histoire dans laquelle, plus que par les idées, on s'impose avec les poings, le chantage et la ruse. L’évaluation des actes qu’ils ont posés en cette année qui s’achève, conclurait sûrement à un capital sympathie singulièrement rétréci, quelques mauvais souvenirs, des réformes sans lendemain et un vide étonnamment sidéral.
Contrairement à toi, Père Noël qui est le même depuis la nuit des temps, cent fois par jour, ils cessent d'être eux-mêmes pour se glisser dans la peau de personnages dont ils ne peuvent assumer ni les préoccupations, ni la signification. Ils sont la confusion incrustée dans le vécu. Ce n'est pas de l'action qu’ils nous montrent, mais le spectacle et le film de mirliton de la récitation d'une litanie qui semble n'être plus qu'une mauvaise déclinaison, où l'énumération des sujets les plus anodins masque mal une absence totale de la mention des vrais problèmes. Ce refus des questions les plus évidentes et, par conséquent les plus crues, leur renvoient des images de la réalité, qui sont contradictoires avec l'ambiance irréaliste qu’ils inventent pour se valoriser.
Quand un livre qu’ils n’ont pas écrit, paraît, ils se comportent comme à la fin d'une chasse, pendant la curée, où les chiens dévorent les entrailles de la bête tuée. Ils nous mettent des baillons dès qu’on s’intéresse de trop près aux grandes entailles faites dans Dakar, et qu’ils appellent les Grands Chantiers et qui font saliver tant de véreux. Par ailleurs, le Sénégal est devenu un pays, où, dorénavant le seul fait de dire ce que l’on pense est devenu la faute par excellence, une circonstance aggravante et même, dans certaines circonstances, un début de preuve. A coup sûr qu’ils n’ont pas lu Zola qui avait répliqué un jour à quelque détracteur: « Une République n'est forte que lorsqu'elle met la vérité sous la grande lumière du soleil ». !
Il y a urgence. Inégalités sociales, désordre moral, tentations liberticides n’ont jamais été aussi forts. Ni justice, ni dignité. Une dignité à l’heure où leur honneur, qui doit être leur dernière richesse, est sali et bafoué.
Et non Père Noël, tu ne te trompes ni d’époque, ni de pays. On est bien au Sénégal, en 2006... Alors je te préviens, « Petit Papa Noël, quand tu descendras du ciel » :
- munis toi de bougies, parce que tu auras de grandes chances de nous trouver dans le noir ;
– quand tu traverseras Dakar, ne t’étonne pas. Avant, on avait une ville, maintenant c’est un souk. Ne t’attarde pas plus longtemps, tu risques d’être agressé par des bandes de voyous ;
- dans tes discussions, ne dis pas que tu connais quelqu’un qui construit des pirogues. Tu seras assailli par des quartiers entiers qui rêvent d’aller vivre ailleurs, en traversant la mer ;
- heureusement que tu es tiré par un traîneau, sans quoi, tu risques de ne pouvoir te procurer du carburant. Mais attention aux clandestins, qui pourraient t’emprunter ton traîneau, puisque même le train d’atterrissage des avions ne les dissuade pas quand ils veulent prendre le large ;
- si on ne te sert pas de chocolat chaud, ne le prends pas mal, il y a pénurie de gaz et de charbon de bois ;
- aux enfants que tu rencontreras, ne leur demande pas s’ils ont bien travaillé à l’école. Leurs maîtres déroulent leur dixième plan d’action depuis l’année scolaire passée, et Maître a opposé un niet catégorique à leurs revendications ;
- si tu as la chance de regarder la télévision parce que c’est le quart d’heure d’électricité, je t’en prie, envoie à la direction générale, une once d’imagination pour stimuler leur créativité. Le feuilleton « Wade and the Family Show » a tellement été rediffusé, qu’il est devenu exsangue ;
- ne tombe pas de nues, quand dans leurs discours tu entendras parler de parité et de « question genre ». Après de mâles convictions (« Elle ne lorgne pas mon fauteuil»), les gens qui nous gouvernent sont devenus brusquement moins misogynes ;
- si tu cherches les enfants de ceux qui avaient perdu leurs maisons l’hivernage dernier, va tout droit. Exactement aux mêmes endroits. Ils n’ont pas bougé des camps de sinistrés. Quoi ? On t’avait dit que c’était provisoire, en te présentant le plan Jaxaay ? Oui mais c’est ce qu’ils leur ont fait croire, donc, ils vivent dans l’éternelle permanence du provisoire ;
- ne pose pas de question sur le fichier électoral. Il est en train de se promener, dans une clé Usb, entre la Cena et le ministère de l’Intérieur ;
- tu ne rencontreras pas le train des Industries chimiques du Sénégal, elles ne produisent presque plus rien ;
- en allant à Rufisque, tu n’apercevras pas la torche de la Sar, elle n’a plus rien à raffiner ;
- quand tu seras dans les campagnes, les paysans se présenteront à toi, la mine déconfite et te montreront les bons impayés qui leur sont restés sur les bras depuis trois ans.
Père Noël, l’année prochaine, quand tu reviendras, les élections présidentielle et législatives se seront déjà tenues, (enfin ils disent qu’elles seront organisées à date). Pour le moment, la campagne électorale qui n’est pas encore officielle, a des allures bizarres et offre, par sa nature particulière, un cadre, une unité de lieu, de temps et d'action, des personnages qui s'affrontent, des rebondissements, voire des revirements. Cet épisode essentiel, qui rythme, consacre et condense la vie politique d’un Etat, est en train de prendre, dans notre pays, un singulier tournant. Il n'est pas ordinaire d'entendre la politique ailleurs que dans les lieux où il est convenu qu'elle s'énonce. Ce n'est pas de l'anarchie mais une incohérence générale!La télévision nationale nous a gratifiés d’images d’un meeting organisé par « Horizon 2007 », qui s’est tenu à Brescia en Italie, sous la présidence des officiels de l’Anoci : Karim Wade, Abdoulaye Baldé et Cheikh Diallo, qui selon Wal Fadjri a revêtu des habits d’un sapeur-pompier, quand les militants se crêpaient le chignon à propos de 25 000 euros, que Messieurs Wade et Baldé ont offerts pour les besoins de la « réélection de Maître Abdoulaye Wade au premier tour ».
Très cher Père Noël, nous te conjurons d’éloigner de nous, tous ces gros nuages qui s’amoncellent au-dessus de nos têtes et qui noircissent au fur et à mesure que nous approchons du 25 février 2007. Aide-nous à nous élancer loin de ceux qui s’attardent en bâillant aux corneilles et se bombant la poitrine sur le rivage. Et merci enfin de calmer ces gens qui espèrent nos voix mais refusent nos droits. Ils sont si différents des Rois Mages : Gaspard, Melchior et Balthazar, heureux d’offrir de l’or, de la myrrhe et de l’encens, après avoir suivi l’Etoile du Berger, qui lui, en était vraiment un, n’avait pas perdu le nord et les a conduits à bon port.
Voilà, Père Noël ! J’espère ne pas avoir été trop longue. Je ne voudrais pas t’importuner davantage. Je sais que tu es très sollicité en ce moment. Je te souhaite donc bon courage pour tes livraisons de la nuit du 24 au 25, ainsi qu’une bonne année de repos. Travailler un jour par an ! Quel pied !
Henriette Niang Kandé