19-04-2010
Après la restitution des travaux des Assises nationales, le 24 mai 2009, le Comité scientifique passe à la seconde phase : la traduction de la Charte de gouvernance démocratique dans les six langues nationales, précisément en Joola, mandinka, pulaar, serrer, Soninké, wolof. C’était, ce weekend, au cours d’un séminaire de validation des versions en langues nationales de ladite Charte.
Venu présider la cérémonie d’ouverture, Amadou Moctar Mbow, président des Assises nationale pense que le travail répond à un «souci d’efficacité certes, mais aussi à un besoin d’équité» vis-à-vis des populations. «Dans un pays où la partie importante de la population ne maîtrise pas la langue officielle, explique M. Mbow, il est indispensable, pour asseoir la démocratie participative, que les citoyens puissent fonder leurs choix sur une connaissance précise des enjeux qui engagent leur avenir.» Ainsi, poursuit l’ancien Directeur général de l’Unesco, «ces populations doivent pouvoir exprimer leur point de vue sur les orientations majeures qui concernent leur vie quotidienne et en suivre, en toute connaissance de cause, la mise en œuvre». Pour le président des Assises, «la démocratie participative n’a de sens que si le citoyen se sent pleinement responsable», car étant «associé à tout processus qui vise à changer sa condition».
Toutefois, la tâche n’aura pas été facile. La transcription littérale de certains mots ou termes a été une véritable équation pour les séminaristes. C’est le cas du mot «Laïcité» dont la signification n’existe dans aucune langue nationale ; ou encore le mot «Etat» dont la traduction en wolof «Gngi gnou denka dialbi (ceux à qui on a confié le pouvoir) a suscité la polémique. En effet, le Pr Bouba Diop, membre du groupe Wolof, estime que c’est l’acception la plus appropriée que celle de «Nguur» qui renvoie plutôt à la «Nguruu» (monarchie).
Un point de vue auquel s’oppose le Pr Yéro Sylla, coordonnateur de l’équipe de traduction. Ce dernier soutient que le mot «Nguur» est «admis» par les linguistes ; donc, c’est l’acception la plus fidèle dans la langue de Kocc Barma.
Conscient de la «complexité» de la tâche, le Pr Abdoulaye Bara Diop, président de la commission scientifique, invite les différents groupes, à «ne pas remettre en cause les idées de la Charte». «Nous n’avons pas de problème de termes, mais un problème de compréhension», admet l’ancien directeur de l’Ifan. Il faut autant que possible traduire les mots en langues nationales.» Avant de poursuivre : «C’est l’usage qui va sanctionner le travail» de la commission scientifique. Les groupes ont jusqu’à la semaine prochaine pour finaliser leurs travaux.
MISE EN GARDE
La rencontre a été l’occasion, pour le Pr Bara Diop, venu présider la cérémonie de clôture, de donner son idée sur l’état d’avancement du pays. Ce «vieux chercheur de 80 ans» pense qu’avec les Assises nationales, le pays est au «tournant» de son histoire. En effet, constate l’ancien directeur de l’Ifan, «50 ans après notre Indépendance, le Sénégal fait partie des 20 pays les plus pauvres du monde avec au moins 50% des populations qui vivent sous le seuil de pauvreté». Et d’ajouter : «l’Etat prétend avoir investi 40% du budget dans l’Education, alors qu’il y a une déperdition scolaire ; le 1/3 des élèves n’arrive même pas au niveau secondaire.» C’est pourquoi il appelle les intellectuels à la mobilisation. «Ce qui nous lie, indique-t-il, c’est un contrat moral autour de nos institutions. Nous devons avoir des institutions solides ; nous ne devons pas les manipuler pour des intérêts claniques ou familiaux.» La voix étreinte, le cœur gros, le président de la commission scientifique met en garde : «Nos egos ne sont pas importants. Nous allons disparaître un jour, mais le Sénégal va rester.»
Par Daouda GBAYA (gbaya@lequotidien.sn)