Ce texte est à lire! Il nourrit la réflexion...
Bosser comme un nègre

N. est venu nous visiter, comme on dit ici au Mali, il y a quelque temps. Il est arrivé fin mars, le 26 exactement, vers 21h. Le lendemain matin, en ville, N. est un peu hébété, terrassé par la chaleur. Tout le monde sait qu'au mois de mars ça commence à chauffer, on n'est pas loin des 40° à l'ombre et pourtant on n'est pas à Kayes (le chaudron du Mali). Un peu content qu'il était, de profiter de la clim' de la voiture. «Mais comment ils font ?» est sa première question quand il voit comment Bamako vit, comment Bamako bouge, comment Bamako travaille sous cette chaleur rendue plus difficile à supporter avec les gaz d'échappement. «Moi qui imaginais les gens allongés à l'ombre sous leur chapeau!» Effectivement, lors d'une première visite, Bamako surprend, c'est un peu comme une fourmillière où tout le monde s'affaire, mais surtout transporte, pousse, d'un bout à l'autre de la ville, tout le jour mais aussi tard le soir. La ville qui se construit, s'étend, grandit .....

Et pourtant, les clichés ont encore la vie dure et l'imaginaire d'une certaine tranche de la population europénne y trouve matière à plaisanterie ou à provocation inutile, voire de défoulement. «Pour une fois je me suis mis à travailler comme un nègre, je ne sais pas si les nègres ont toujours travaillé, mais enfin ...» disait l'autre jour le descendant du fondateur du groupe de parfumerie Jean-Paul Guerlain, travailleur de force, interrogé dans le journal de 13 heures de France 2.

Donc je connais la réponse maintenant. La réponse à la question de N. «Comment font-ils ?» Et bien les gens ici «bossent comme des nègres». C'est-à-dire qu'ils n'ont pas le choix sinon de bosser comme ça. C'est ça ou crever de faim, et c'est pour un salaire de vingt ou trente mille par mois, maximum, pas des euros, non, des Francs CFA. Et comme me le disait Souleymane, «c'est ça ou rester assis à la maison, tu n'as pas le choix». Il ne sagit pas ici de tomber dans l'angélisme, dans toute société on trouvera des parasites et des gens qui bossent "comme des fous", que ce soit un travail physique ou intellectuel. Il s'agit ici de dénoncer la stigmatisation d'une partie de la population mondiale du fait de sa couleur et de la persistance de clichés colonialistes.

Ils bossent «comme des nègres» et moi je «bossais comme un arabe» quand, étudiant, je payais mes études en travaillant l'été sur les chantiers, que ça foirait un peu et que le... de chef de chantier me le faisait savoir... avec toujours cette connotation raciste que les arabes savent pas bosser et que les nègres bossent comme des brutes, quand ils bossent.
En tout cas, c'est pas facile.