Au Sénégal, le mariage rime avec enfants. Ce qui fait que les femmes qui ne peuvent pas en avoir, font l'objet de toutes les formes de souffrances possibles de la part de leurs belles familles.
Ne concernant de manière apparente que l'homme et la femme, le mariage est quelque chose de beaucoup plus compliqué dans notre société. Elle est un contrat entre deux familles. Ce qui en fait un espace où le groupe agit de façon omniprésente. Qu'ils le veuillent ou non, les deux conjoints se voient obligés de faire avec toute une kyrielle de contraintes et d'attentes. Et l'une des premières exigences et des plus fortes de la famille des conjoints, c'est d'avoir un enfant. Un moment de bonheur tant attendu par toute la famille. Plus les deux conjoints le font vite, mieux ils rassurent toute la famille et soulagent surtout celle de la femme. Parce que même si les causes de l'impossibilité d'avoir un enfant peuvent provenir aussi bien de la femme que de l'homme, c'est généralement la femme qui est pointée du doigt face à un tel cas de figure. Une situation qui lui cause toutes sortes de souffrances. En plus de la douleur de rester sans enfant, elle se voit contrainte de faire avec un manque de respect, de considération, un mépris voire une marginalisation de sa belle famille. D'où son obsession à vaincre ce mal.
Au niveau du service de protection maternelle et infantile (Pmi) de la Médina, la stérilité figure en bonne place parmi les sujets de préoccupations qui y amènent les femmes.
Mme Diop: «Mes belles soeurs me font des coups bas. Elles ont même demandé à mon mari d'épouser une seconde femme»
La vingtaine, Mme Diop est de cette catégorie. Assise dans la salle d'attente, sachet de médicaments en main, le regard perdu dans des pensées, elle accepte de partager son calvaire. «Je me suis mariée il y a juste cinq ans et jusqu'à présent je n'ai pas eu d'enfant. C'est pourquoi je me suis dit qu'il vaut mieux venir me consulter et suivre un traitement». La paix, elle ne l'a connaît plus avec sa belle famille, parce que l'enfant tant désirée tarde à venir. «Je commence à avoir des problèmes avec ma belle famille. Ma belle mère est très compliquée. Tous les jours, elle me demande d'aller voir des marabouts. Car, elle pense que c'est à cause des «rab» (mauvais esprits)». Poursuivant avec émotion, elle soutient: «mes belles soeurs aussi me font des coups bas». Comme si elle était la principale responsable de l'impossibilité du couple d'avoir un enfant, elle raconte: «quand je me plains d'être fatiguée à cause des travaux domestiques, elles me jettent à la figure que si j'avais eu des enfants, je le serais moins». Selon Mme Diop, «elles ont même demandé à mon mari d'épouser une seconde femme. Parce qu'il est aîné de sa famille». Désespérée et résolue à s'extirper de cette situation objet de tous ses malheurs, elle confie: «j'ai consulté plusieurs tradipraticiens. Mais, il n'y a pas eu de changements. À ce moment, je tente la médecine moderne. Parce que la femme n'est pas considérée si elle n'a pas d'enfant». Des confidences qu'ont refusé de faire les autres femmes vivant pareilles situations. Un tour au marché de Castor a permis de croiser parmi les nombreuses femmes, une autre concernée ayant acceptée de s'ouvrir à nous.
«J'ai fait plus de dix ans de mariage sans avoir d'enfant, j'ai vécu toute sorte de maltraitance de la part de ma belle famille»
Elle s'appelle Adja Guèye. C'est une vendeuse de poisson frais. Devant son étal, elle confie: «j'ai fait plus de dix ans de mariage sans avoir d'enfant. Et j'ai vécu toute sorte de maltraitance de la part de ma belle famille. Elle me traite de tous les noms à cause de ma stérilité». Même si elle dit tenir le coup, elle avoue : «je passe tout mon temps à pleurer et à prier Dieu. Je ne suis pas respectée». Elle n'est pas seule dans sa souffrance. «Mon mari me soutient», indique-t-elle. Elle poursuit: «mon mari n'a pas les moyens. Quand il a sollicité ses frères pour mes soins médicaux, ils lui ont dit qu'il vaut mieux que je reste sans enfant comme il n'a pas de boulot»dit-elle. En bon croyant, elle explique: «je rends grâce à Dieu. Je vends des poissons pour aider mon mari. Et je continue à consulter des tradipraticiens. J'espère un jour avoir des enfants pour être en paix avec ma belle famille».
M. Diop: «je suis l’aîné de ma famille mais le moins respecté. Parce ma femme ne peut pas avoir d'enfant»
Son mari qui l'aide aussi dans la vente a préféré garder l'anonymat. Toutefois, il confie: «je suis l’aîné de ma famille mais le moins respecté. Parce ma femme ne peut pas avoir d'enfant. Et je n'ai pas les moyens pour la soigner comme il le faut. C'est une situation difficile». Le manque d'enfant ne le dérange aucunement car dit-il: «c'est la volonté divine. Je soutiens ma femme. Je ne compte pas prendre une autre femme. Je n'ai même pas les moyens. On continue à consulter les tradipraticiens».
DOCTEUR ATAB BADJI, GYNECOLOGUE : «L'homme peut aussi être à l'origine de la stérilité du couple»
Le fait d'indexer toujours la femme quand le couple n'arrive pas à avoir d'enfant et une réaction très facile aux yeux du gynécologue Atab Badji. «L'homme peut être aussi à l'origine de la stérilité du couple», précise-t-il. Selon lui, «il peut avoir un problème de sperme. C'est le cas où c'est pauvre en spermatozoïdes où qu'ils sont de mauvaise qualité».
Sur les causes de stérilité de la femme, il explique: «Elles sont généralement de deux types. Premièrement ça peut être un problème de trompes. C'est quand la femme a les deux trompes bouchées. La deuxième cause, c'est quand la femme a un problème d'ovulation. C'est-à-dire que les ovaires ne fonctionnent pas normalement. Ce sont des cas que certaines femmes présentent. Et c'est ce qu'on appelle la dystrophie ovarienne». Des complications qui sont selon A. Badji, liées à une mauvaise hygiène de vie. Il cite comme exemples, «la négligence des infections. C'est-à-dire les pertes blanches et autres».
La stérilité est loin d'être une fatalité explique Dr Badji. Elle peut être guérie en suivant un traitement. C'est pourquoi il conseille: «la conséquence à long terme des infections, c'est le bouchage des trompes qui peut causer une stérilité. Il y a aussi la malformation de l'utérus ou les fibromes». A l'endroit des femmes, il martèle: «la mesure la plus importante, c'est de ne jamais négliger les pertes blanches et tout ce qui est infection génitale». C'est pourquoi il soutient, «il faut aussi avoir d'habitude de compter le cycle menstruel pour pouvoir repérer leur date d'ovulation aussi».
OUSTAZ ASSANE SECK : «L'islam interdit qu'on maltraite la femme parce qu'elle n'a pas d'enfant»
Oustaz Assane Seck dénonce Les souffrances faites aux femmes qui n'ont pas d'enfant. «L'islam interdit qu'on maltraite la femme parce qu'elle n'a pas d'enfant». Selon lui, cette situation peut être une volonté divine ou une maladie. «Parce que c'est Dieu qui décide de donner à qui il veut des enfants pour des causes que Lui Seul sait. L'autre raison c'est la maladie», relève-t-il. «Dans le Coran, Dieu a créé des couples qui ne peuvent pas avoir d'enfants» soutient-il. «Même la position que la femme prend quant elle entretient des rapports sexuels avec son mari peut l'empêcher de tomber enceinte. Ce sont des facteurs à prendre en considération» indique-t-il. Toutefois, se référant au Saint Coran, il dit: «si la femme est sûre que son mari est malade, la religion lui permet de demander le divorce. Le mari peut prendre une autre épouse parce que l'enfant fait partie des objectifs du mariage. Mais, ce qui est déconseillé c'est de mépriser la femme qui est stérile». Conseillant ces dernières de ne pas aller chez les marabouts, il explique: «Il ne faut pas aller vers eux parce que beaucoup d'entre-eux sont des charlatans. Dans la vie, tout est possible. Si vous prenez le cas du prophète Ibrahim, quand Dieu lui donnait un enfant, il avait plus de 100 ans». «Il y a des prières dans le Coran qui peuvent aider la femme à avoir des enfants. Si la femme croit en Dieu, elle pourra un jour avoir un enfant».
SERIGNE MOR MBAYE, PSYCHOLOGUE : «La stigmatisation et l'exclusion peuvent conduire à la dépression»
Les problèmes de toutes sortes que subissent les femmes qui ne peuvent pas avoir d'enfants ont des conséquences sur le plan individuel. «La stigmatisation et l'exclusion de la femme ayant des difficultés de procréer peuvent conduire à la dépression», constate le psychologue Serigne Mor Mbaye. Il y a également des maladies psychosomatiques et le déséquilibre psychique.
Ces manières de faire agissent également sur l'équilibre du groupe. «Dès l'instant où le couple n'a pas d'enfant, il y a une menace sur le lien conjugal. Alors que parfois on ne peut même pas prouver que ce sont les femmes qui ne peuvent pas faire d'enfant», souligne-t-il. Et plus grave, «lorsque les processus médicaux prouvent que c'est elle qui a des difficultés à procréer, l'homme a tendance à se retirer» dénonce le psychologue.
Si de telles réactions se font dans la famille parce que la femme ne peut pas avoir d’enfants, c'est parce que précise Serigne Mor Mbaye, «la problématique majeure, c'est que le mariage est encore sous le sceau de la procréation. Le ménage n'existe que par les enfants». Mieux indique-t-il, «dans le contexte sénégalais, il faut passer rapidement du couple à la famille. Rester un couple sans enfant est un drame». Et dans ces situations la femme souffre plus, parce que «l'homme est toujours perçu comme quelqu'un pouvant avoir une alternative».
Et pourtant précise le psychologue, la femme est la plupart des cas accusée à tort. «Souvent l'homme refuse d'aller en consultation. Alors qu'il y en beaucoup qui souffre d'azoospermie. C'est un sentiment de peur qui l'empêche d'y aller».
Ce dont les femmes qui ont des difficultés à procréer ont le plus besoin, c'est tout simplement d'un «soutien psychothérapique visant à les aider à assumer la situation et à gérer la relation conjugale» soutient Serigne Mor Mbaye. Car martèle-t-il, la posture dépressive qui guette la femme a des conséquences sur l'équilibre du couple. «Elle n'est pas favorable au maintien du lien. Elle pousse un peu l'homme à l'extérieur», note-t-il.
Awa DABO (Stagiaire)