1998 : l'éclatement d'une famille
En se prononçant rapidement, et en des termes plus ou moins clairs, pour ou contre l'idée d'un avenir des Bleus sans Laurent Blanc à leur tête, les ex de 1998 ont ouvert un feuilleton qu'ils vont avoir du mal à clore. La façon dont Lilian Thuram tente, ce vendredi, d'adoucir sa position initiale en est la démonstration.
Dans le tumulte provoqué par l'affaire des quotas, Bixente Lizarazu a eu hier sur RTL une formule assez juste au sujet de l'éclatement du groupe des "ex de 1998" : "S'il y a des fissures, on va considérer que c'est la vie". Si nul ne sait encore quelle conséquence finale aura cette histoire, elle aura au moins mis en scène la dissolution du lien invisible qui semblait unir pour toujours les champions du monde de 1998. Bien sûr, elle n'a pas tout révélé d'un coup au grand public. On se souvient de l'émotion suscitée par les passages de l'autobiographie d'Emmanuel Petit dans laquelle il prenait ses distances avec l'icone Zidane. Mais les divisions de la famille est devenu un feuilleton dans le feuilleton, qui s'étale ce matin en une de L'Equipe, dont la page 2 confronte explicitement Lilian Thuram et Christophe Dugarry comme deux adversaires, un pro, un anti.
Cet article est le prolongement d'une série de sorties médiatiques dont nous allons proposer ici une lecture commune : les prises de position pro-Blanc de Bixente Lizarazu sur RTL, la cri du coeur de Christophe Dugarry mercedi sur Canal+, la position ferme de Patrick Vieira hier dans Le Monde et les rétro-pédalages de Lilian Thuram. Rétro-pédalage? Si le terme peut sembler excessif, nous allons tenter de l'expliquer. Il nous semble adapté et il symbolise toute la sensibilité du sujet.
Si le feuilleton 98 commence à faire la "une", c'est moins parce qu'il casse un mythe que parce que les champions du monde ont été les premiers, sans vraiment s'en rendre compte, à attiser l'idée d'un départ de Laurent Blanc de la sélection. Les révélations de Médiapart se suffisent à elles-mêmes pour fragiliser la maison fédédérale et ses cadres, c'est entendu. Le "ton" du site d'information est clairement à charge, notamment contre Laurent Blanc, tout le monde l'a compris. Mais l'hypothèse d'un départ de Laurent Blanc, contraint et forcé, n'a été clairement brandie à ce jour que par les ex de 1998.
- Lilian Thuram dans Mediapart, l'autre jour : "Il faut renvoyer les personnes qui ont tenu ces propos. La binationalité est un alibi. Ils savaient qu'ils faisaient quelque chose d'illégal. Nous sommes dans une situation claire et nette de discrimination. Il faut dire stop."
- Christophe Dugarry, alors que l'hypothèse de la démission n'avait jamais été évoquée autrement que comme une rumeur : "Je suis inquiet aujourd'hui de voir Laurent Blanc éventuellement s'en aller. On le met en difficulté en pensant à le virer, mais il peut aussi démissionner. J'ai peur qu'il en ait marre. J'espère qu'il n'est pas trop tard."
- Patrick Vieira dans Le Monde : "Je suis surpris du degré de ses commentaires. (...) C'est scandaleux! Ce sont des propos graves. (...) On peut me dire ce que l'on veut, mais personne n'a été piégé lors de cette réunion. On n'a forcé personne à tenir ces propos, Il aurait été plus logique de suspendre tous ceux qui, comme (Blaquart), ont eu les mêmes paroles. Ce n'est pas à moi de dire qui doit partir, mais j'aurais du mal à comprendre comment ces dirigeants-là, qui étaient présents à la réunion, pourraient rester à leur poste. Si ces gens-là restent, c'est la porte ouverte à toutes les discriminations."
- Emmanuel Petit, hier sur RTL : "Cette fédération française de football ne mérite pas un garçon comme Laurent Blanc à sa tête".
"S'il explique..."
Le rétropédalage de Thuram dans L'Equipe s'inscrit dans cette escalade de la peur, peur du vide qui pourrait se créer en cas de départ du sélectionneur. Alors que tous les grands médias ne gardent bien d'égratigner la posture du "président", alors que Chantal Jouanno a dressé assez vite un cordon sanitaire autour du sélectionneur, dans la foulée du président de la FFF, alors que l'Elysée, disait L'Equipe jeudi, serait décidé à soutenir Laurent Blanc, et alors même que l'intéressé n'a pas encore été auditionné, il a fallu que les ex de 1998 soient consultés sur le sujet pour que l'affaire des quotas deviennent l'affaire Blanc.
Thuram, qui disait mercredi ne pas envisager le maintien des protagonistes du 8 novembre 2010, explique désormais qu'il s'agit d'un "simple" problème de communication. A la question, la FFF est-elle raciste, l'ancien défenseur des Bleus répond : "Non". Au sujet de son ancien coéquipier, Thuram dévoile le contenu de leur conversation téléphonique durant laquelle Blanc lui a prouvé "sa sincérité". (...) "Lors de cette réunion, il a dit que cela ne le dérangerait pas d'avoir onze blacks dans son équipe. S'il était raciste, il n'aurait pas dit ça." Blanc va-t-il démissionner ? Thuram élude mais "s'il s'explique, simplement, l'affaire s'arrête là pour lui."
Peut-être a-t-il été sensible à la révélation de Christophe Dugarry sur l'après-France-Brésil du 12 juillet 1998, dans le vestiaire, qui constitue à nos yeux le temps fort de ces 48 dernières heures : "On a la coupe, on est en train de faire des photos entre nous […]. Et là j'entends Lilian Thuram, et je ne suis pas le seul Frank Leboeuf aussi, dire : 'Allez les Blacks on fait une photo tous ensemble. […] Et il y a Frank Leboeuf qui relève et lui dit : Lilian qu'est ce que tu dis là ? Imagine si nous, on avait dit allez les blancs on fait une photo tous ensemble. Comment tu aurais réagi ?' Ça c'est des propos discriminatoires et à aucun moment nous les avons mal interprétés et à aucun moment nous avons pu nous imaginer que Lilian Thuram pouvait être un facho ou être raciste."
Ce matin, on voit poindre le bout du tunnel en écoutant Marcel Desailly, lâchant dans L'Equpe qu'il préfère "protéger son ami" qu'entrer dans cette querelle qui pourrait lui aussi le toucher de près ; on se souvient d'un sourire de Blanc, sur le plateau du CFC, quant au volume physique de l'ex-joueur de Milan et Chelsea, complémentaire de l'intelligence de jeu qu'il était censé lui-même incarner. Ce silence protecteur était, semble-t-il, le pacte qu'avaient passé les champions du monde ces douze dernières années. C'est à tort ou à raison l'image que les monde du foot avait d'eux, n'hésitant pas, à d'autres moments, à parler de "lobby" pour désigner des présumées actions unitaires, notamment sous l'ère Domenech. Eux avaient tous juré ne distiller leurs commentaires qu'en solo et l'épisode actuel tend à leur donner raison. Le manque d'unité aurait pu n'apparaître qu'en pointillés avec un peu de concertation.
Il nous vient aussi à l'esprit que le feuilleton France 1998 est en train d'occuper une bonne partie de l'espace alors qu'il se joue sans les personnages principaux. Didier Deschamps n'a lâché que quelques phrases très neutres. Aimé Jacquet a réussi à slalomer entre les difficultés en épargnant Blanc. Zinédine Zidane garde à cette heure un silence qui dit tout de la sensibilité du sujet. (CR)