Griots et tam-tams en tête, le gendre avec ses amis, les amis de ses amis et les amis de leurs amis partirent au premier chant du coq de Keur-M'Bott leur village, pour être à Keur-Calao avant leur lever du soleil. Ils y furent de bonne heure, et décidés à abattre une besogne digne d'eux, s'en allèrent tout droit au champ de Calao-le-vieux. Les tam-tams bourdonnaient, et les chants qu'ils rythmaient rendaient agréable le travail. Tam-tams et chants réveillèrent ceux du village, et le premier de tous, le Griot de Calao-le-vieux, qui alla dire à son Maître :
- Maître, je crois bien que votre festin est prêt.
Calao-le-vieux, sa progéniture, ses amis et leur progéniture s'avancèrent lentement vers le champ qu'ils entourèrent de tous côtés ; puis ils bondirent sur les laborieux crapauds occupés à arracher les mauvaises herbes et à retourner la terre- Griots, musiciens et chanteurs ayant été happés les premiers, les tam-tams et les voix se turent et l'on n'entendit plus, un long temps, que le clap-clap des becs qui se fermaient, s'ouvraient et se refermaient.
Sautillant, bondissant, boitant, les pauvres crapauds cherchaient à s'enfuir, pour finir dans la nuit noire des ventres des Calaos.
Seuls, trois d'entre eux, dont l'arrière-arrière-grand-père de l'arrière-arrière-grand-père de Mamou-Mamatt-M'Bott, l'arrière-grand-père des grands-parents de M'Bott-le-Crapaud, purent se sauver et vinrent raconter à Keur-M'Bott leur triste et tragique équipée.
Cette histoire du clan faisait partie de l'enseignement des jeunes crapauds ; mais seulement quand ils étaient sortis de leur première jeunesse. Voilà pourquoi M'Bott-le-Crapaud, trop jeune encore aux yeux de ses parents, ne la connaissait pas encore.
Voilà aussi pourquoi, certainement, à part Bagg-le-Lézard et, Djanne-le-Serpent, il aimait à lier conversation avec n'importe qui ; avec tous ceux qu'il rencontrait ou qu'il rattrapait sur le chemin du marigot ; et il y rencontrait et y croisait beaucoup de monde. Tout ce qui vole, rampe ou marche se rendait en effet au marigot, plus ou moins tôt dans la journée, plus ou moins tard dans la nuit. De ceux qu'il y trouvait ou qu'il croisait sur son chemin, il en était de polis et d'aimables, de bourrus et de grognons ; M'Bott-le-Crapaud saluait chacun et conversait avec certains. C'est ainsi qu'un jour, en le quittant, Yambe-l'Abeille lui dit :
- M'Bott, viens donc un jour jusqu'à la maison partager mon repas.
M'Bott ne se fit pas répéter deux fois l'invitation, car il avait entendu dire que Yambe-l'Abeille savait préparer un mets qu'aucun être au monde ne savait faire.
- Demain si tu veux, si cela ne te gêne pas, accepta-t-il.
- Entendu, à demain !