Des conseils des uns et des cancans des autres, Kantioli-le-Rat aurait peut-être tiré une leçon, à savoir : en matière de fréquentations, mieux vaut choisir ceux de sa race et de sa condition. Mais Rat était toujours trop pressé dans ses courses pour écouter et entendre quiconque, bien qu'il sût le plus souvent en quels lieux aller tout droit pour trouver sa nourriture.
Son allure fut cependant plus lente, moins franche et moins décidée ce jour où trouver à manger était devenu difficile et c'est pour cela qu'il s'arrêta en croisant Koupou-Kala-le-Crabe et salua celui-ci fort poliment :
- " Djâma n'ga fanane ? " (As-tu passé la nuit en paix ?) oncle Crabe ?
- " Djâma rek ! " (en paix seulement !)
Crabe, comme on peut le penser, ne disait pas tout à fait la vérité en rendant son salut. Mais allez donc vous servir d'une formule de politesse autre que celle que votre père et le père de votre père ont toujours employée. Lorsqu'on est bien élevé, répond-on que l'on va mal à quelqu'un qui s'inquiète de votre santé ? Cela ne s'est jamais entendu et ne s'entendra jamais tant qu'il y aura des gens qui ont reçu un semblant d'éducation. Serait-on à l'agonie que l'on doit toujours répondre, lorsque l'on a su un peu vivre, que l'on est en paix, en paix seulement. " Djâma rek ! " Que le corps est en paix, en paix seulement, " djâma rek ! ", le corps souffrirait-il de dix et sept maux ; que ta maison est en paix, en paix seulement, " djâma rek ' " n'y aurait-il rien à manger, et les femmes s'y disputeraient-elles de l'aube au crépuscule et bouderaient-elles du crépuscule à l'aurore.