Quand ils furent tous au pied de l'arbre, au sommet duquel Kantioli-le-Rat attendait toujours, tenant son régime d'amandes de palme, Koupou-Kala-le-Crabe cria : allons-y !
Alors Khatj-le-Chien attrapa Thile-le-Chacal, Thile mordit Sékheu-le-Coq, Sékheu piqua Makhe-la-Termite, Makhe entoura d'argile Khâla-l'Arc, Khâla lâcha Fêtt-la-Flèche, qui alla toucher Kantioli-le-Rat, et Kantioli laissa tomber le régime d'amandes sur Koupou-Kala-le-Crabe, qui, de ce jour-là, eut le dos aplati et marche depuis vers sa main droite et vers sa gauche, mais jamais plus droit devant lui.
- III -
Koupou-Kala-le-Crabe qui, une fois dans sa vie sortit en plein soleil, s'était juré de ne plus fréquenter ni les bêtes à poil ni le peuple à plumes. Il ne s'était jamais vanté de ta mésaventure qui lui aplatit le dos pour toujours, le jour où en compagnie de Kantioli-le-Rat, il avait voulu jouer à celui-ci un mauvais tour, un tour de Crabe. Non seulement à Kantioli, mais à d'autres aussi, à Fêtt-la-Flèche et à son père Khâta-l'Arc, à mère Makhe-le-Termite, à Sékheu-le-Coq, à Thile-le-Chacal. De cette équipée, seul Khatj-le-Chien était sorti sans dommage. Car Khatj-le-Chien, à condition qu'il ait pris un peu d'âge et reçu quelques coups en sa jeunesse, se montre le plus sage des sages parmi les bêtes. Khatj-le-Chien pouvait fréquenter sans pâtir quiconque. Cela, c'est Leuk-le-Lièvre qui l'affirmait, et si Leuk-le-Lièvre l'affirmait, on pouvait le croire sans peine, car il connaissait son monde.
Ni Kantioli-le-Rat, ni Khâla-l'Arc, ni Makhe-le-Termite, ni Sékheu-le-Coq, ni Thite-le-Chacal n'avaient soufflé mot de ce qui leur était arrivé.
L'eussent-ils crié à haute voix aux quatre vents du firmament que Ganar-la-Poule, qui pourtant souvent tend l'oreille en penchant la tête, ne l'eût pas entendu. La quête des grains épars au pied des mortiers est une besogne trop absorbante pour que l'on perde son temps à écouter d'autres rumeurs que le froissement des ailes de Sotjènete-la-Sauterelle aux coudes pointus, de Sochète fille unique et orpheline, cousine de N'Djérère-le-Criquet à la famille innombrable ; que l'on perde son temps à écouter d'autres rumeurs que le Kèt ! Kèt ! Kèt ! des mandibules de Makhe-le-Termite rongeant le toit des paillotes ou la paille des clôtures.
Rat s'était promis de n'avoir plus affaire qu'aux longs-museaux et au peuple des fouisseurs. Fêtt-ia-Flèche restait sur le dos de Khâla-l'Arc son père et ne faisait plus de commission pour personne.
A supposer que Ganar-la-Poule l'écoutât, mère Makhe-le-Termite ne se fût point aventurée certainement à venir ouvrir son cœur à Ganar, car elle n'avait pas une confiance des plus aveugles dans les yeux de celle-ci qui aurait pu - l'on ne sait jamais - la confondre avec un grain de riz mal décortiqué.
Trop imbu de son métier d'époux, et sachant assez bien ce qu'il faut dire et ce qu'on ne doit pas confier aux femmes, Sékheu-le-Coq ne s'était pas abaissé à conter à Ganar-la-Poule une histoire dans laquelle il n'avait pas tenu un rôle trop reluisant.