Les Soninké seraient, d'après les sources historiques et la tradition orale, originaires du Wagadu (I), aux confins du désert du Sahara et de la vallée du Fleuve.
L'existence des Soninké est déjà attestée au temps de l'Empire du Ghana (VIIIe XIIIe s.) dont ils seraient les fondateurs et souverains notamment à travers les dynasties des Siise (Cissé) et des Tounkara. Dans tous les récits historiques, l'Empire du Ghana se confond avec le Wagadu dont l'histoire de la dislocation est encore enseignée dans les cases par les grands mères aux petits enfants.
Ils sont encore aujourd'hui remarquablement unis autour d'une langue, d'une culture et de croyances largement homogènes à travers tout l'espace qu'ils occupent. Mieux, les Soninké semblent cultiver une résistance linguistique et culturelle remarquable, même là où ils sont une minorité isolée dans un autre environnement linguistique et culturel.
L'origine du mot soninké
Les Soninké n'ont pas d'autres appellations pour eux mêmes que le mot « soninké > utilisé tant pour désigner l'ethnie que la langue. Contrairement à l'usage consacré « Soninké » est le singulier du mot « Soninko » (au pluriel).
Les Soninké sont appelés aussi Sarakhollé ou Sara kolé par les autres populations voisines de l'espace soudanais. Ce mot « sarakhollé » est attesté dans des documents portugais et espagnols dès la fin du xve siècle et au début du xvie siècle et, à partir du xviie, les Français reprennent cette appellation à leur compte.
Il est impossible aux Soninké de fournir une explication satisfaisante sur leur ethnonyme. Certains chercheurs, suivant en cela une certaine tradition orale, ont voulu faire du mot « soninké » un toponyme. Comme pour Malinké (habitant du Mali), Khassonké (habitant du Khasso), etc, Soninké serait simplement habitant du Soni. Mais ni dans la légende du Wagadu, ni dans les fouilles archéologiques et encore moins dans les sources arabes anciennes, portugaises et espagnoles, il n'est fait mention d'un endroit, d'une ville, d'un village de ce nom. Voilà pourquoi il est difficile de valider cette hypothèse de toponymie pour le mot « soninké » .
Quant à l'appellation Sarakhollé, deux interprétations s'opposent la première, défendue par A. BATHILY (2) dans sa thèse de doctorat, attribue le mot à l'expression wolof « Serxolle » qui signifie « Crier en faisant claquer la langue dans la bouche ». Ainsi ce serait par référence à la difficulté du Soninké et à la tonalité étrangère (étrange) de cette langue que les Wolof l'assimilèrent à un cri. Les premiers explorateurs venus des côtes vers l'hinterland adoptèrent naturellement l'appellation de leurs informateurs et guides wolof la deuxième interprétation du mot « sarakhollé » fait des Soninké des populations d'ascendance blanche. Elle repose sur une explication linguistique qui dériverait « sarakhollé » de « sere » personne en soninké et « xulle » = blanc (en soninké également). Ainsi Sarakhollé ne serait qu'un avatar de « Serexulle » ou personne blanche.
Cette hypothèse s'oppose à la fois aux sources écrites (arabes, portugaises, espagnoles, etc.) et à la tradition orale dominante transmise par les griots aux familles. Les plus chauds partisans de cette interprétation sont les élites maraboutiques et leurs clients qui cherchent une ascendance arabo musulmane pour se légitimer.
Le problème des origines est toujours délicat surtout quand il s'agit de cultures fondées sur l'oralité. Néanmoins, il est admis aujourd'hui que les Soninké occupent un espace sensiblement pareil à celui qu'ils occupaient déjà aux Xn xIIIe siècles.
Localisation ancienne et actuelle des Soninké
Les Soninké se localisaient anciennement dans le Wagadu ou le Ghana des Tarikh arabo- musulmans. Le Wagadu avait comme capitale Kumbi qui se situait aux confins du Sahara, à l'intersection du pays noir et du Maghreb.
Selon YACOUT « Gâna est une grande ville située à l'extrémité méridionale du Maghreb et contiguë aux pays des nègres. C'est le lieu dé réunion des commerçants, qui, de cette cité, pénètrent dans les déserts conduisant aux régions d'où vient la poudre d'or. Si Gâna n'existait pas l'accès de ces régions ne serait pas possible, elle se trouve placée en effet au point de séparation de la Berbérie d'avec le pays nègre » (3). Ghana, Wagadu, Kumbi se disent indistinctement pour désigner le foyer originel des Soninké.
D'après les fouilles archéologiques (4) effectuées à Kumbi, cette ville de Wagadu était certainement entre 800 et 1200 de notre ère la plus grande agglomération du Sud du Sahara. Sa population comptait entre 15 000 et 20 000 personnes. .
La faute de Maamadi ou la légende de la décadence du Ghana Wagadu
Il est difficile de parler des Soninké sans évoquer la légende de la décadence du Wagadu ou la légende du Biida dont il existe plusieurs versions. Les Soninké vivaient au Wagadu où il tombait des pluies abondantes et où ils ramassaient, à même le sol, des pépites d'or. Cette prospérité, les Soninké la devait au Wagadu Biida, le Serpent du Wagadu, protecteur providentiel mais cruel. Le Biida était au fond du puits de Kumbi et chaque année (ou tous les 7 ans), il exigeait, en récompense des bienfaits prodigués, une jeune vierge issue des plus grandes familles. Il en fut ainsi pendant longtemps jusqu'au jour où le sort désigna Siya Yatabéré, l'élue de coeur de Maamadi Sehedunxote (Maamadi le taciturne).
Quand Maamadi vint un soir chez sa bien aimée, il la trouva en pleurs et il lui demanda la raison de son tourment pour y mettre fin. Siya Yatabéré expliqua alors à Maamadi, qu'elle avait été désignée pour être offerte en sacrifice au Biida le lendemain. Le jeune homme la consola en lui armant qu'elle ne serait pas mangée par le Biida.
Le jour venu, il était aux premiers rangs autour du puits de Wagadu, à côté de Siya Yatabéré. Personne ne s'étonna de le trouver armé et monté sur son étalon et y vit une façon pour lui d'encourager son amie qui ne devait en aucun cas manifester sa peur. Mais Maamadi avait résolu de tuer le Biida protecteur pour l'empêcher de dévorer Siya Yatabéré. Le Biida sortait toujours trois fois du puits avant de prendre la sacrifiée. II en fut ainsi jusqu'à la troisième apparition qui vit le ciel s'assombrir, le tonnerre gronder et le vent se déchainer. Maamadi fonça alors sur le Biida et avec son sabre lui trancha la tête. Tour à tour six autres têtes surgirent et furent aussitôt coupées. De la septième tête sabrée du Biida s'éleva cette prédiction « Vous avez rompu un pacte de sang instauré par Dinka. Avec ma fin commence une période de calamité pour vous. Pendant sept ans, sept terribles années, pendant sept mois et sept jours, sept terribles jours, il ne pleuvra pas dans tout le Wagadu et plus une pépite d'or ne sera ramassée par vos femmes et vos enfants ».
L'assistance pourchassa Maamadi qui réussit à se réfugier chez sa mère. Celle ci promit aux poursuivants de son fils de nourrir hommes et bêtes du Wagadu pendant les sept ans de malheur prévus par le Biida mais au bout de sept ans le pacte ne tenant plus, les Soninké se dispersèrent. Ce mythe fondateur explique que la conscience collective soninké trouve son implantation à la décadence du Wagadu.
La zone occupée actuellement par les Soninké s'étend d'est en ouest sur 800 km depuis la moyenne vallée du Sénégal jusqu'au delta inférieur du Niger. Les Soninké sont principalement établis au Mali, en Mauritanie, en Gambie et au Sénégal. On en trouve quelques communautés dispersées en Guinée Conakry et en Guinée Bissau. Les Soninké en se dispersant après la décadence du Ghana, suite à l'invasion almoravide du XI ème siècle et par la conquête de Sumaoro Kante du Sooso, ont occupé quasiment les zones immédiatement attenantes. Aujourd'hui encore, les zones d'implantation massives des Soninké avoisinent l'ancien Ghana Wagadu et le Mande (Est du Sénégal, Ouest du Mali, Mauritanie).
La langue des Soninké
Les Soninké parlent le soninké qui se range dans la famille des langues du mandé, au côté du banmana, du mandinka ou malinke, du jaaxanke, du xaasonke. Cette appartenance au groupe mandé n'implique pas que les Soninké en comprennent ou en parlent toutes les langues (5). Même s'il y a des variantes lexicales selon les régions et l'environnement, les différents groupes soninké se comprennent ; la structure de la langue ainsi que les termes et concepts fondamentaux demeurent pareils.
Soninke, Sarakholle ou Sarakole.
Appellations moins courantes : Galambo, Ceddo pour les Haal Pulaaren, Maraka pour les Bambara.
Localisation : Gambie ; Mali ; Mauritanie ;Sénégal (le Fouta et le Damga, les départements de Bakel et de Matam, la Casamance).
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(2) Bathily (A.), Guerriers tributaires et marchands : le Gajaaga (ou Galam) le pays de l'or : le développement et !a régression d'une formation économique et sociale sénégalaise. Thèse de doctorat d'État en Histoire. Faculté des Lettres, Université de Dakar, 1985.
(3) cité par DELAFOSSE (M.), Haut Sénégal Niger (Soudan français). Série d'études publiées sous !a direction de M. de Gouverneur Closes, Ed. Larose, Paris, 1912, vol. 2, pp.15 16.
(4) MAUNY (R.) Tableau géographique de l'ouest africain au Moyen Âge d'après des sources écrites, la tradition et l'archéologie, Dakar. Mémoire de l'IFAN, 1961.
(5) BATHILY (A.), Op. cit., p.50.
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Extrait de "Cérémonies et rites chez les soninké, M. DRAME, in Peuples du Sénégal, 1996, ed.Sepia : 62-96"
Autorisation : Editions Sépia.