A la frontière de la musique africaine et des sonorités pop, Daby Touré nous entraîne dans un nouveau voyage universel avec son album «Lang(u)age». Sur ce quatrième disque, le Franco-Mauritanien chante aussi en français et nous rappellent les valeurs de fraternité.
Qu’il soit sur scène, à l’enregistrement d’une émission de télévision, ou assis à la table d’un café, Daby Touré ne quitte jamais son sourire.Un visage lumineux, une voix posée et un regard doux qui inspirent confiance dès la première seconde. Pas de jeu de questions/réponses sans âme, mais une véritable discussion.
De Nouakchott à Paris, en passant par New York, le chanteur est toujours à l’aise et curieux des autres. Un artiste d’ici et d’ailleurs qui rend hommage à son identité multiple dans un nouvel album intitulé Lang(u)age.
D’une langue à l’autre
«Ce titre était une façon d’insister sur le fait que les langues sont importantes. C’est le moyen que j’ai eu pour faire partie de communautés qui n’étaient pas les miennes, de communiquer avec les gens et de me faire comprendre», explique Daby qui parle et chante dans six langues: le français, l’anglais, le soninké, le wolof, le peul et l’hassania.
«Je passe de l’une à l’autre. Parfois, mon cerveau s’emmêle les pinceaux, je parle dans une langue et il y a un mot d’une autre qui arrive. Cela fait aussi partie de mon écriture. Parfois, j’ai un couplet en soninké, un refrain en anglais et je termine en wolof», ajoute-il, en rigolant.
Né il y a 41 ans à Boutilimit, une ville située en plein désert mauritanien, il n’a jamais cessé d’absorber des cultures différentes. Dès l’âge de trois ans, après le divorce de ses parents, il est balloté entre son pays d’origine et le Sénégal, au gré des foyers de ses oncles et tantes:
«Je me suis retrouvé livré à moi-même. J’avais du monde autour de moi, mais j’ai dû très tôt comprendre que je n’aurais pas papa, maman et un nid douillet, mais que je devais tout le temps essayer d’aller vers les autres.»
En écoutant la radio, Daby s’évade en découvrant des artistes anglophones (Bob Marley, Police, Stevie Wonder ou Michael Jackson).
Dans sa famille, la musique est omniprésente. Son père, Hamidou, est l’aîné des frères Touré Kunda, un célèbre groupe sénégalais. Il interdit pourtant à son fils de devenir musicien. C’est donc en cachette que Daby apprend à jouer de la guitare.
Mais en 1989, son destin bascule. Alors que le conflit interethnique entre le Sénégal et la Mauritanie fait rage, Hamidou Touré emmène les siens en France. C’est là que Daby développe sa passion. Très vite, il délaisse ses études pour former le duo Touré Touré avec son cousin Omar, avant de se lancer dans une carrière solo.
Sa musique, mélange de sonorités africaines et de rythmes folk est remarquée par les plus grands. En 2004, Peter Gabriel, ancien membre du groupe Genesis, lui demande d’assurer la première partie de ses concerts et le fait signer sur son prestigieux label Real World. Le succès est au rendez-vous. Trois albums naîtront de cette collaboration, Diam, Stereo Spirit et Call My Name.
Après trois ans d’absence, Daby a décidé de se réinventer. Sur son nouveau disque, les langues de son enfance sont toujours présentes, mais pour la première fois il s’exprime aussi en français.
«Durant les élections, j’ai été très touché de voir la tournure que cela a pris, de voir l’image qu’on a des étrangers, qu’on qualifie de "pas vraiment francais de souche". Tout ce discours m’a donné envie de me repositionner et de dire "Moi je suis aussi Français à ma manière". Je suis certes né sur le continent africain, mais la France a une histoire assez ancienne avec l’Afrique», explique-t-il.
Fier de ses multiples identités, le Franco-Mauritanien veut montrer que le mélange est possible:
«J’ai le cul entre deux chaises. Je ne sais pas qui je suis, mais je sais que j’ai les deux cultures en moi. C’est bon et riche d’avoir les deux. Il ne faut pas avoir peur, on peut vivre sereinement».
«On peut s’estimer différent et penser qu’on n’a pas les mêmes priorités, mais dans le fond, on reste des humains. On a les mêmes doutes, les mêmes peurs et les mêmes émotions. On est triste et content de la même manière. On a tout à gagner à s’écouter, à s’entendre et à partager», insiste cet ambassadeur de la diversité.
La terre, l’amour, la pluie
Même s’il s’est installé à Paris, l’auteur de Lang(u)age n’oublie pas non plus son continent d’origine. Il est particulièrement touché par les tensions au Mali, d’où est originaire son grand-père.
«Je suis vraiment très triste. En Afrique, depuis l’esclavage, on subit une violence terrible qu’on répercute sur nous-mêmes. On règle tout par la violence. On n’a pas pris le temps de faire notre deuil de cette histoire terrible et de la colonisation», constate-t-il.
Pour autant, le chanteur aux dreadlocks ne se sent pas l’âme d’un porte-parole de la cause africaine:
«Je ne suis pas Bob Marley ni Tiken Jah Fakoly. Je ne suis pas dans une démarche révolutionnaire. Dans mes chansons, j’essaye de garder une certaine poésie et de faire du bien aux gens».
Pour aider la terre de ses ancêtres, il est plus tenté par des actions humanitaires. Il aimerait un jour faire une tournée en Afrique.
«J’ai joué une fois en Mauritanie. C’était vraiment une expérience pas terrible car il n’y avait pas de matériel et c’était mal organisé. Si j’y retourne, je veux faire cela bien. J’ai envie de jouer et de construire une école à chaque concert. J’aimerais vraiment permettre à des gens de réaliser des projets», imagine-t-il les yeux plein d’espoirs.
«J’essaye juste de faire ce que je peux avec les moyens que j’ai. Avec la musique tu peux aider certaines personnes et faire changer une idée à un moment donné».
Que ce soit en français, en anglais, en soninké, en wolof, en peul ou en hassania, Daby propage un même message de paix. «La terre, l’amour, la pluie est mon lang(u)age», résume-t-il poétiquement dans l’une de ses nouvelles chansons.
Stéphanie Trouillard, Slateafrique.com