L’envoi des enfants Soninke nés en France aux villages pour les élever selon les standards du « pays Soninké » ou punir leurs frasques a été toujours prôné dans l’immigration Soninke. Pensez-vous que ces méthodes de nos parents constituent un bon rempart contre l’acculturation et la délinquance ? Tel était le sujet de l’émission Leminaxu Bera ( la voix des jeunes ) de la radio Soninkara.com ( dimanche 21 H hf).
Le Soninke, toujours prompt à abandonner sa langue et sa culture en terre d’immigration, reste néanmoins un être farouchement attaché à ses origines. Très chauvin, le Soninke vit dans une souffrance inouïe dès que sa progéniture épouse des codes culturels autre que les siens. Le Soninke pense que sa première richesse au monde constitue sa descendance. Il la veut bien exemplaire et modèle pour être bien vu dans son entourage.
Combien sont-ils ces parents Soninke qui aiment vanter le mérite de leurs enfants parce qu’ils maitrisent la langue de « Bah Madi Kama » ? Combien sont-ils ces parents Soninke qui aiment braquer les projecteurs sur leurs enfants parce qu’ils ont réussi à l’école française ou maitrisent le coran ? Combien sont-ils à valoriser leur éducation parce que leurs filles sont toutes mariées à des Soninke voire à la famille ? Nombreux sont ces parents qui aiment avoir une progéniture digne de ce nom pour montrer que leur immigration n’a pas été vaine… Ainsi, on comprend aisément pourquoi les parents Soninke sont soucieux du devenir de leurs enfants en immigration au point de prendre certaines décisions radicales. Dès lors, ils mettent en place tout un tas de stratagèmes pour éviter certains écueils à leurs enfants. L’un de ces subterfuges est d’envoyer l’enfant aux sources pour s’abreuver des réels codes de la société soninké ou d’une manière inavouée pour échapper à toute forme de délinquance en terre d’immigration.
L’éducation d’un enfant obéit à des règles. La première de ces règles est la présence des parents. L’enfant a besoin de cette présence pour apprendre les codes de la vie. Il en a besoin pour s’écarter de l’interdit et s’approcher du légal voire du licite. Quand il est abandonné à lui-même, il invente ses propres codes de conduite ou s’ouvre à l’extérieur pour en recevoir de manière directe ou indirecte. Cette situation d’abandon s’explique par plusieurs facteurs. Les pressions financières constituent la principale cause. Sollicités par la famille d’origine, acculés par l’organisation villageoise en France et les créanciers mensuels de la société de consommation, les parents Soninke deviennent « esclaves » du gain. Les uns accumulent deux boulots pour s’en sortir. Les autres s’adonnent à des travaux lucratifs très pénibles. Ainsi, ils sont peu présents à la maison. S’ils y sont, Morphée les terrasse à cause de l’accumulation de fatigue. Il devient difficile de trouver du temps à consacrer aux enfants pour parfaire leur éducation si l’on sait que les Week-end le foyer est leur destination favorite . La télévision, les jeux vidéo prennent le relai du père. Les mamans, souvent braves, se débrouillent tant bien que mal pour canaliser les enfants. A un certain âge, elles deviennent impuissantes et abandonnent la partie. Ainsi, certains enfants épousent des comportements qui les perdront.
Incapables de « formater » les enfants à leur image, plusieurs parents optent pour l’envoi des jeunes au village. Les uns le font pour prévenir une éducation à l’occidentale. En effet, beaucoup de parents confessent que l’administration française surprotège les enfants au point qu’ils se sentent désarmés face à ces derniers. Ils ne peuvent guère appliquer la rude éducation à l’africaine où le bâton prend le relai dès lors que l’enfant transgresse les règles et foule au pied les multiples mises en garde des parents.
D’autre part, parce qu’ils ont loupé l’éducation des ainés, des parents optent radicalement pour l’envoi des plus jeunes au pays afin de ne pas vivre les mêmes déboires. Ainsi, filles et garçons se retrouvent au pays d’origine pour échapper aux turpitudes de la vie occidentale.
Souvent, certains parents, soumis à une pression énorme de la part de leurs parents du village, envoient à contrecœur leurs enfants au village. En effet, les parents du village pensent que l’occident n’est guère propice pour éduquer les enfants. Ils les prennent pour des asociaux. « Le mode de vie et les droits octroyés aux enfants amoindrissent le pouvoir des parents » disent-ils. Ainsi, ils prônent l’idée suivante : Hais l’enfant de tes yeux et chéris le de ton cœur. Ils demandent aux parents immigrés de se faire violence pour couper le cordon ombilical avec l’enfant dans l’optique d’avoir une progéniture bien éduquée. Par ce procédé, les grands-parents ne ménagent aucun effort pour récupérer leurs petits enfants nés en France. D’autre part, l’envoi des enfants au pays relève d’un certain « suivisme » pour ne pas dire d’un effet de mode. Les parents d’une même famille se concertent et envoient les enfants d’une même tranche d’âge au pays pour les « sociabiliser ». Pour eux, le village est l’endroit propice pour ouvrir les yeux des enfants, leur apprendre le vrai sens de la vie voire la quintessence de la vie en communauté.
Autrefois, l’éducation au village est l’affaire de tous. On est « enfant » du village avant d’être « enfant » d’un tel. Ainsi, disait un « forumiste » de Soninkara.com répondant au nom de Cheikhna WAGUE : « En Afrique, la rue forme les enfants, en Occident, elle les déforme! ». Précisons que l’Afrique symbolise ici « le village » et non la ville ou la capitale.
Au village, l’enfant est constamment sous surveillance. Qu’il joue ou qu’il se promène, des yeux scrutent ces faits et gestes. Le moindre faux pas est automatiquement réprimandé par un adulte. Si l’adulte était gentil, il sauvait l’enfant de la double peine en le corrigeant simplement. On parle de double peine quand l’adulte corrigeait puis ramenait l’enfant chez ses parents en faisant part de la bêtise commise. Dans la plupart des cas, ses parents lui infligeaient une nouvelle correction à défaut de demander à l’adulte de le rebattre comme un tam-tam. C’était l’époque où le mot famille n’était pas « un vain mot ». Oncles, tantes, frères, voisins étaient tous concernés. Il n’y avait aucune différence entre les enfants du voisinage. Ainsi, les enfants filaient droit et évitaient toute forme de bêtise. « Porté par les feux de la puberté, un enfant de la ma classe d’âge grillait tranquillement une cigarette Viking au coin de la rue. Un adulte d’un autre quartier le surprit. Pris en fragrant délit, il gouta aux délices d’une gifle herculéenne qui le fit tomber. Il fut pris par le col et trainé jusqu’à son domicile familial. Mis au parfum du forfait, sa mère et son oncle prirent le relai et firent passer un sale quart d’heure à l’apprenti fumeur. Ce dernier raconte aujourd’hui que cette correction fit le déclic pour ne plus s’essayer à la clope ». Une manière de dire que l’éducation au village est l’affaire de tous.
Au village, c’est la vie en communauté. Le petit fils d’immigré découvre un nouvel univers. Il baigne dans un nouvel environnement qui prône l’entraide, le partage et le respect. Dans les villages, malgré les retombées de l’émigration, toutes les familles s’adonnent à l’agriculture. Que l’on soit aisée ou pauvre, l’hivernage était une période propice pour remplir les greniers et soulager les parents vivant outre atlantique. Tous les bras valides de la maison participaient. Les hommes cultivaient le mil, le riz et le maïs. les femmes s’adonnaient à la culture de l’arachide. Tous les matins, hommes et femmes investissaient la brousse pour labourer. Il n’ y avait pas de place pour la fainéantise. Le rythme était infernal à tel point que les jeux vidéo et autres loisirs comme la télévision devenaient un luxe. Point de répit ! Quand les enfants nés en France arrivent au village, ils sont logés à la même enseigne. Ils cultivent la terre et sont contraints à participer à tous les travaux quotidiens de la famille. Ils regrettent souvent leur quotidien paradisiaque en Occident. Leurs yeux s’ouvrent. Ils comprennent le sens de l’immigration de leurs parents. Ces travaux champêtres chassent l’oisiveté du corps et de l’esprit de l’enfant. Il ne peut s’y soustraire. Plusieurs enfants, nés en France, s’adaptent très vite au point de devenir de véritables « guerriers ». Ils deviennent maitres dans l’art de dresser les ânes, les chevaux et autres animaux domestiques. Ils se consacrent à leur élevage en s’occupant quotidiennement de leur nourriture.
D’autres, plus téméraires, s’émancipent et deviennent de véritables « villageois ». Les activités du village n’ont plus de secret pour eux. Ils s’adonnent à la pêche, à la chasse et à la cueillette. Quant aux filles, elles s’adonneront à plusieurs activités comme le puisage d’eau, le linge et la vaisselle au marigot ou au fleuve… La cuisine n’aura plus de secret pour elles. Elles apprendront toutes les techniques pour cuisiner de succulents plats locaux. Volontaires, elles finissent par être de véritables femmes Soninke à l’image de leurs mères.
Dans certains villages, les infrastructures étaient absentes. Il n’y avait point d’électricité ou d’eau courante. Le confort était minimal. L’enfant est obligé de s’adapter. Comme tout être humain, il développera des stratégies pour dédramatiser les choses. Il saura plus tard apprécier les bonnes choses. Cette absence de confort lui apprend la relativisation. L’enfant côtoie la misère et les misérables. Il se départit de son manteau d’arrogance et de prétention.
Beaucoup découvriront le sens des liens de parenté. Ils apprendront les diverses ramifications familiales de leurs parents. Ils tissent des relations très étroites avec certains membres de cette grande famille au point qu’ils deviennent leurs confidents. Des liens d’amitié se créent. Ces gens leur apprendront beaucoup sur la vie au village. Ils découvriront des secrets de famille et comprendront les tares de la société Soninke. Ils comprendront les rouages de la vie de couple car, au village, les Soninke vivent dans de grandes concessions. On côtoie grands-mères, tantes, oncles et cousins. On voit, on analyse et on comprend. Tous les jours, on découvre une nouvelle facette du « Soninkaxu ». On comprend toutes les spécificités de la culture française.
Aujourd’hui, plusieurs Soninke se plaignent des enfants nés en France. « Quand on rend visite à la famille. Les enfants s’enferment dans leurs chambres après un bonjour furtif. Ils ne s’intéressent point aux visiteurs. Nous restons étrangers à leurs yeux », se plaint un auditeur. Vivre au village permet de connaitre sa famille dans le sens large du terme et d’huiler les relations afin que les esprits convergent de chaque côté.
Le renvoi au village permet aussi l’apprentissage du coran pour ne pas dire de la religion. Plusieurs parents envoient leurs enfants dans les écoles coraniques réputés dures et studieuses pour les former dans tous les sens du terme. Dans ces écoles, ils souffrent le martyr. Ils apprennent la persévérance, le respect et le sens de la vie en communauté. Point de pères, de mères ou de frères. Leurs camarades ne leur font aucun cadeau. C’est la loi du talion. C’est marche ou crève ! Plusieurs jeunes sortent aguerris de ces écoles et deviennent des êtres « tous terrains ». Beaucoup mémorrisent le coran en entier dans ces conditions difficiles. Ils se départissent de leurs tares et se rangent une fois en France.
Toutefois, envoyer un enfant au pays pour le punir n’est guère la solution idoine. C’est une façon inavouée de fuir ses responsabilités de parents. Le milieu détermine l’homme. C’est une évidence. Toutefois, malgré toutes les difficultés en France, des parents réussissent impeccablement l’éducation de leurs enfants. Ces parents ont simplement pris le taureau par les cornes pour apprendre à leurs enfants les codes de la vie et la culture Soninke. Leurs enfants restent scolarisés et ambitieux et demeurent attachés à la culture de leurs parents. En somme, nul besoin de faire des kilomètres pour apprendre le « Soninkaxu » et pour intégrer les codes de l’éducation à la Soninke. Si le Soninke éduque ses enfants à l’occidentale, nulle doute qu’ils seront de petits « toubabs ». Si le père de famille met l’appât du gain au-dessus de l’éducation de ses enfants, il a mille chances de les voir partir en vrille. C’est une question de dosage. L’immigré est venu chercher sa subsistance mais il ne doit pas oublier que l’éducation et l’épanouissement de sa famille restent une priorité. Nul besoin de jouer au père fouettard. Il faut chérir l’enfant qu’il le faut et le reprendre à juste titre. Il faut un savant dosage entre la carotte et le « courant kathié » ( fouet à base de fil électrique).
De plus, il y a un âge pour parfaire l’éducation d’un enfant. Donc, il faut bien juger la pertinence de l’l’expédition au village. A un certain âge, la partie est perdue d’avance. « Le fer se bat chaud », dit-on. Après 15 ans, le bled constitue un terreau fertile pour l’égarement de l’enfant. Il trouvera sur place d’autres jeunes de la même tranche qui influeront sur sa mentalité. Il apprendra plus de vices que de vertus. Les jeunes sont abandonnés à eux-mêmes dans nos villages. Ils ne sont plus sollicités pour les travaux champêtres et autres durs labeurs comme les précédentes générations. Ils dévissent à longueur de journée autour du thé car les villages vivent dans l’opulence. Plus besoin de s’adonner à la terre pour vivre.
La nuit, c’est la pagaille dans les chambres de jeunes. Ça fume ! ça se touche et ça couche ! C’est tout. Le taux de pères et de mères célibataires explose. Toutes les familles sont concernées. Les maisons des marabouts et autres notabilités, autrefois réputées exemplaires, sont les plus touchées. Faire un enfant hors mariage n’est plus une honte. Autrefois, un jeune qui fait un enfant hors mariage quitte le village et n’y retourne qu’après plusieurs années pour se faire oublier. Aujourd’hui, les jeunes se vantent d’avoir mis enceinte plusieurs filles du village. Le mariage est loin d’être une priorité. Ils déflorent, dévergondent les filles et les transforment en « poules pondeuses ». Les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Maitres du village, ils installent un climat de désobéissance et de pagaille. Dès lors, a qui envoie-t-on ces enfants nés en France dans les villages ? De plus, aujourd’hui, plusieurs grands-parents ont quitté ce monde. Les oncles sont les premiers candidats à l’émigration. Les femmes ne veulent plus vivre au village et se ruent vers les capitales. Les valeurs s’enterrent avec les vieilles personnes.
Qui est là pour éduquer ? La rue… Malheureusement, elle n’est plus ce qu’elle était. Elle déforme plus qu’elle ne forme de nos jours. Les villages sont à l’image des capitales africaines. Les valeurs s’envolent. Les vices s’installent. Dans certaines bourgades comme Bakel, les jeunes connaissent plus la route des bars que les chemins qui mènent à la mosquée. Nonobstant, le « fou du village » reste plus docile que le « fou de France ». Quand l’enfant prend des chemins tortueux au bled, il y a tout un tas de stratagèmes pour le ramener à la raison. Aussi fou soit-il, il y a toujours un membre de la famille pour le dresser ! Au village, chaque enfant à son « calmant ». En France, si le père et la mère n’y arrive pas. C’est la catastrophe !
Samba KOITA dit Makalou, www.soninkara.com