Les pirogues de l’espoir et de la mort ont vogué cette année pour ramener le désespoir, la désillusion, le deuil. A leurs bords étaient des jeunes qui n’ont qu’un seul souci : réussir. Au prix de leurs vies. Et l’eldorado, pour ces jeunes, a un nom : Espagne.
C’était par une matinée de brume épaisse. La faiblesse des lueurs que laissent apparaître les rares rayons solaires, plongent la baie de Nouakchott dans la pénombre. Les rares pêcheurs, qui ont osé affronter le froid de canard, qui règne durant cette période, se trouvent subitement stupéfaits. Les flux et reflux de la mer viennent de charrier les corps de jeunes hommes. Les populations mauritaniennes venaient de découvrir, avec stupeur, le phénomène de l’émigration clandestine. Ce «suicide organisé des jeunes» allait prendre de plus en plus d’ampleur avec son lot de morts jonchant les plages.
Au point que d’aucuns affirment que le phénomène de l’émigration est le plus grand scandale des dernières décennies de l’histoire du Sénégal, voire de l’Afrique. Alors, les questions fusent : Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les jeunes tentent-ils l’émigration de cette manière ? Autant de questions qui trouvent des réponses faciles.
En effet, pour les gens avertis, l’émigration clandestine des jeunes n’est que la résultante des frustrations, des dures conditions sociales que ces derniers n’ont cessé d’endurer, depuis 2000, avec l’avènement de l’Alternance. Les autorités qui ont failli à leur promesse de leur trouver un emploi comme elles s’y étaient engagées, tentent de se justifier en soutenant que ce sont les conséquences d’une gestion catastrophique pendant 40 ans du régime socialiste.
Pas d’emplois, le cœur meurtri, la rage et l’amertume sont les sentiments les mieux partagés chez ces jeunes qui étaient au-devant de la scène, il y a six années pour un changement de régime, prennent le large avec un seul mot d’ordre : «Réussir ou mourir». «Barça ou Barsax» est, désormais, le leitmotiv de ces écorchés vifs. Avec un vif espoir que, désormais, leur avenir sera meilleur, dans un Sénégal prospère. Mais, une fois l’euphorie estompée, place sera faite à la désillusion, qui va gagner les rangs des jeunes.
Le psychologue Mamadou Mbodji s’est fait une religion à propos de l’émigration clandestine. Il reste d’avis que ne pas assister les candidats malheureux à cette aventure est «une bombe à retardement». «Ne pas leur offrir une assistance psychologique, c’est en faire des bombes à retardement, indépendamment du fait que ce sont des jeunes qui, de toute façon, repartiront, au risque d’être expulsé ou de revenir, de faire demi-tour», lance-t-il encore.
D’autant que ces candidats malheureux à l’émigration clandestine sont loin d’être «normaux». M. Mbodji reste formel, à ce sujet en indiquant : «Quoi qu’il en soit, c’est des bombes ambulantes, des bombes humaines à retardement. Car, tôt ou tard, tout ce désarroi, toute cette frustration, toute cette hargne, toute cette colère, accumulés, devra sortir, d’une manière ou d’une autre».
«Est-ce qu’on va en faire, maintenant de nouveaux délinquants ? Est-ce que ce sont des gens qui vont se constituer en gang ?», s’est demandé le psychologue avant d’avouer : «Je ne sais pas. Tous les sentiments mobilisés par cette aventure chez ces jeunes devront s’exprimer, tôt ou tard.» Surtout dans un contexte où les industries censées les employer, ferment à un rythme effréné, augmentant ainsi, le lot de chômeurs. Les grèves s’amplifient, le front social bouillonne et n’épargne aucun secteur économique et social.
L’alternative, qui se dessine pour cette jeunesse, pour le moment, est de tenter l’émigration en se jetant dans le ventre de l’Atlantique. L’Espagne est, désormais, le nouvel Eldorado des jeunes Sénégalais et de la sous-région. Et la mer, continue de charrier les corps à force de trop en engloutir, et les larmes d’inonder les foyers sénégalais.
Mais, l’avis constant de Mamadou Mbodji demeure. Il faut «leur offrir un cadre d’assistance psychologique, une écoute psychologique, c’est d’abord permettre à ces jeunes de rebondir, désamorcer la bombe humaine qu’ils constituent pour la société.»
Source : Le Quotidien