Les tirailleurs sénégalais aux origines de la force noire, les premières années du bataillon 1857-1880 par Guy THILMANS & Pierre ROSIERE éditions du musée historique du Sénégal(Gorée)Ifan CH. A. DIOP 2008
Genèse et constitution
L’histoire des Tirailleurs Sénégalais a suscité de nombreux articles et ouvrages qui insistent sur l’épopée qu’ont écrit, sur trois continents et pendant plus d’un siècle, ces soldats à la chéchia écarlate venus du cœur de l’Afrique noire. La présente étude concerne les vingt-cinq premières années de cette troupe, lorsqu’elle n’était constituée que de son premier bataillon et comprenait presque exclusivement des Sénégalais. Elle fait état de documents d’archives souvent inédites et abondamment illustrées.
Les auteurs exposent les circonstances, politiques et militaires, dans lesquelles ce corps créé en 1857 par un décret de Napoléon III, à la demande d’un gouverneur qui allait durablement marquer l’histoire coloniale, le (futur) général Faidherbe. Le recrutement des troupes a été un souci permanent et il a souvent fallu avoir recours à des captifs dont l’engagement permettait le rachat. La volonté de Faidherbe de faire des tirailleurs un corps autonome, doté d’un encadrement en partie indigène, a fini par l’emporter. A l’aube des années 1880, le bataillon doit être dédoublé : c’est le début d’une expansion qui aboutira en moins de deux décennies à la constitution de l’Afrique française occidentale et équatoriale.
Une deuxième partie traite de l’équipement des tirailleurs (uniforme, armement) et leur vie quotidienne, où n’est pas oublié le rôle par les épouses, les ‘Madame Tirailleur’ qui accompagnent leur mari jusqu’aux combats. La troisième partie est consacrée à quelques biographies d’officiers, ceux qui ont créé les tirailleurs et les rares officiers indigènes, parmi lesquels se distingue Mamadou Racine Sy, premier capitaine africain dans l’armée française.
Sous le Second Empire, la France entreprend une extension de ses possessions en Sénégambie, jusque-là réduite aux îles de Saint-Louis et de Gorée et à quelques comptoirs.
Rappelons que la structure administrative de la colonie a été modifiée en 1854. Une entité dénommée Gorée et Dépendances (Les Rivières du Sud) est placée sous l’autorité du commandement de la Division navale de l’Atlantique, alors que la colonie du Sénégal (Saint-Louis et le fleuve Sénégal) est maintenue sous l’autorité du gouverneur, en l’occurrence Faidherbe. Cette situation perdurera jusqu’en 1859, où aura lieu la réunification. Pendant cinq ans, les troupes de toutes les armées de ces deux colonies vont être administrées séparément.
En 1856, la garnison de Saint-Louis compte cinq compagnies d’infanterie marine. Toutes ces compagnies se trouvent au Sénégal depuis quatre ou cinq ans et doivent donc être incessamment relevées. S’y ajoute à leur suite la Compagnie indigène du Sénégal. Le complet réglementaire des compagnies d’infanterie de marine est de 115 hommes, celui de la compagnie indigène de 125.
Pour ce qui est de Gorée, sa première garnison comprend deux compagnies de marine du même régiment, mais elles sont arrivées depuis peu et ne seront donc relevées que fin 1860. Comme à Saint-Louis, une Compagnie indigène de Gorée s’y trouve.
La première partie du livre est consacrée à l’histoire des tirailleurs et notamment à l’œuvre de Faidherbe (1856-1865).
Faidherbe aime les Africains, nul ne peut le nier, selon les auteurs ; il a combattu avec les volontaires de Saint-Louis et les soldats de la compagnie indigène. Il est persuadé que ces hommes, si de bonnes conditions sont réunies, pourront être d’excellents soldats professionnels. Mais sait aussi qu’au Sénégal que ce métier est méprisé car il est l’apanage des castes inférieures. Seuls les spahis, parce que ce sont des cavaliers, attirent une certaine couche de la société africaine, notamment des vrais guerriers. Il est vrai qu’ils touchent la même solde que les cavaliers blancs, qu’ils portent le même uniforme et se servent du même armement.
Après les travaux d’une commission tenue en octobre 1846 et huit mois de gestation dans les bureaux du ministère, le décret qui crée le Bataillon des tirailleurs Sénégalais est signé à Plombières (station thermale des Vosges) par l’Empereur le 21 juillet 1856.
Un détachement de tirailleurs algériens est venu combattre au Sénégal au cours du premier trimestre de l’année 1861. Fin novembre 1863, attaquant inconsidérément les forces de Lat Dior, le capitaine Lorans est tué à Ngolgol avec plus d’une centaine des siens. A cette nouvelle, Faidherbe demande en toute hâte au ministre des secours immédiats, dont trois compagnies de tirailleurs algériens, avec un chef de bataillon. Une quinzaine de jours plus tard, Pinet-Laprade a défait l’armée du Damel et Faidherbe écrit au ministre : ’Je n’ai plus besoin de renforts.’
‘Un manteau avec capuchon sur le modèle des zouaves’
La deuxième partie traite de la vie militaire. Les auteurs examinent minutieusement l’équipement des tirailleurs (uniforme et chaussures) et la vie quotidienne.
Pour la tenue, la condition essentielle était la culotte turque. Les Musulmans ne seraient pas engagés s’ils avaient dû porter le pantalon ; Bouët, gouverneur en 1842-1844, avait remarqué la tenue zouave lors de son passage en Algérie. Les uniformes sont confectionnés en métropole par les soins du maître tailleur des zouaves. Mais le havresac [sac au dos] en peau de bouc, type sénégalais est de fabrication locale. L’uniforme comportera une chéchia avec gland et (en grande tenue) un turban de toile blanche, un manteau avec capuchon sur le modèle des zouaves, une veste turque en drap bleu roi bordée de jaune, deux pantalons turcs en cotonnade bleue, un pantalon turc en toile blanche, une ceinture en laine rouge. L’habillement comporte en outre deux chemises sans col, deux paires de souliers, deux paires de guêtres blanches, une paire de jambière en cuir jaune, buffleterie noire.
Dès le départ, Faidherbe a souhaité que les tirailleurs soient armés de fusils doubles [à double canon]. Ce type de fusil est une exception dans l’armement réglementaire français ; il permet d’avoir un second coup disponible face à des adversaires armés le plus souvent de fusils de chasse à deux coups. Les tirailleurs ont droit à la ration indigène. Des lits à leur usage ont été façonnés de façon à répondre aux habitudes des Noirs, dont le lit est composé ordinairement de traverses plus ou moins rapprochées et sur lesquelles sont étendues des nattes. Chaque homme reçoit une natte et une couverture.
Des impressions d’ensemble ont été portées sur les tirailleurs. Les difficultés du recrutement, dans ces derniers temps ont conduit à accepter des hommes laissant à désirer sous le rapport de la taille, de la constitution et de conduite (Pinet-Laprade, 1867).
Les indigènes de la Sénégambie ont trois qualités militaires : la bravoure, l’agilité, la sobriété. Ils se font bravement tuer pour sauver un chef bien-aimé (Pinet-Laprade).
Les tirailleurs n’ont pas d’esprit de corps parce qu’ils se fréquentent peu, la plupart logeant en famille et non à la caserne (Reboul, 1869). Des réflexions ont porté sur la qualité de l’encadrement européen. La troisième partie du livre est consacrée à l’étude des hommes : les créateurs (le général Faidherbe, le général Faron) et les officiers indigènes (le lieutenant Yoro Coumba, le capitaine Mamadou Racine Sy).
Louis Léon César Faidherbe, né à Lille et polytechnicien, a servi à la Guadeloupe et en Algérie. Il est nommé en 1854 gouverneur du Sénégal à l’âge de 36 ans. Son intégration dans le milieu sénégalais est illustrée par le surnom Ndiaye et par la naissance en 1857 d’un fils, fruit de ses amours avec une jeune Soninké (Diocouda Sidibé)
Si Faidherbe a eu l’idée de former ce corps - son nom reste légitimement attaché à sa création - c’est Joseph Faron qui va faire en peu de temps que des troupes noires bien encadrées constituent une force militaire sur qui la France va pouvoir compter. Onze officiers indigènes parmi lesquels figurent Léon Sidiya Diop et Louis Faidherbe, le fils du gouverneur, sont entrés en fonction avant 1881. De longs développements seront consacrés à la carrière de deux Toucouleurs comme le lieutenant Yoro Coumba et le capitaine Mamadou Racine Sy.
Ce livre contient des renseignements fort utiles pour les chercheurs africains qui s’intéressent à l’histoire militaire coloniale. Il appelle de sérieuses critiques. Ses auteurs ont gardé un silence étrange sur l’ouvrage d’Abdoulaye Ly : Les mercenaires noirs, publié aux éditions Présence africaine.
Amady Aly DIENG
Source : Walf