Situation transitoire ou début d’un cycle économique défavorable pour le Sénégal ? Telle était la question en début 2007 à la suite des mauvaises performances macroéconomiques du pays en 2006, largement en deçà de la moyenne des dix dernières années, avec un taux de croissance de 2,3 % et une forte dégradation des déficits public et extérieur.
L’interrogation était d’autant plus justifiée que les signaux émis par le marché mondial des matières premières, en particulier celui du pétrole, laissaient anticiper, à l’évidence, une persistance des tensions sur les prix dans le secteur de l’énergie.
C’est dans ce contexte que le Sénégal avait entamé l’année 2007, avec comme principaux défis le rétablissement en urgence des équilibres macroéconomiques et une réduction des risques budgétaires liés à la crise énergétique, aux difficultés des Industries chimiques du Sénégal (ICS) et aux grands chantiers d’infrastructures.
Ainsi, 2007 constituait une année charnière devant permettre une analyse plus tranchée de l’évolution récente de la situation économique du Sénégal et de ses éventuels impacts sur les conditions de vie des populations.
Aujourd’hui, on est tenté de qualifier la situation macroéconomique de 2006 de transitoire (au moins, du point de vue des équilibres macroéconomiques).
En effet, d’après les dernières données statistiques disponibles, bien que provisoires, la croissance économique aurait rebondi, se situant autour de 4.8 % en 2007, et serait ainsi repassée au-dessus du taux de croissance démographique, avec une amélioration significative des déficits public et courant.
Dans le même temps, les secteurs de l’énergie et de la chimie ont connu des développements favorables dans le courant de l’année.
Croissance porteuse d’inégalité
Au-delà de ce diagnostic général, il serait cependant très risqué de conjuguer résultats macroéconomiques et performances sociales en raison de l’élasticité de la pauvreté par rapport à la croissance économique.
En effet, l’année 2007 est caractérisée par deux faits marquants.
Le premier est que la croissance économique a été porteuse d’inégalités qui constituent autant de problèmes pour le maintien d’une performance économique et d’une stabilité sociale à moyen terme. La première source d’inégalité trouve son origine dans la mauvaise campagne agricole qui avait déjà enregistré une forte baisse en 2006 (-5,4 %) et a continué sa chute en 2007 (-4,2 %), ramenant le poids économique du secteur primaire à 13 % contre un poids démographique de plus de 60 %. La baisse de la production de céréales s’est poursuivie et la production des cultures de rente, comme l’arachide, a fortement diminué.
La deuxième source d’inégalité réside dans la concentration de la croissance économique dans deux secteurs, minimisant les synergies et traduisant le rôle prépondérant joué par l’agglomération de Dakar. En effet, la croissance du PIB a été une fois de plus portée par le secteur du bâtiment et des travaux publics ainsi que par le secteur des services, notamment les télécommunications.
La situation très difficile, voire quasi-désespérée, qui caractérise aujourd’hui le monde rural, invite à s’interroger sur les conséquences de ces inégalités à moyen terme. De fait, même s’il est impossible d’en définir le timing et les modalités, un ajustement (ordonné ou désordonné) s’opèrera, quoi qu’il en soit.
En d’autres termes, Dakar ne peut être un îlot de prospérité tandis que l’indigence règne dans le monde rural. L’expérience internationale rappelle qu’une transition devra s’exercer.
Le succès de cette transition exigera une meilleure maîtrise des flux migratoires en concordance avec les capacités d’absorption des villes (habitat, assainissement et autres infrastructures) et une promotion de secteurs d’activité générateurs d’emplois décents, sans omettre une organisation du secteur informel qui constitue, pour le moment, le principal réceptacle des migrants.
Pour sa réussite, cette transition imposera également un renforcement de la politique agricole, accompagné d’une promotion énergique des activités non agricoles en milieu rural aux fins de diversifier les sources de revenu, d’améliorer les conditions de vie et de ralentir le rythme de dépeuplement des villages.
La présente hausse des prix des produits céréaliers constitue pourtant pour le moyen terme, une redistribution des opportunités en faveurs du secteur agricole et rural que le Sénégal se doit de saisir par une politique d’investissement et d’incitation.
Dans les marchés du Sénégal (ici celui de Kermel à Dakar), les prix augmentent
Inflation record
L’autre fait marquant de l’actualité économique 2007 a, sans aucun doute, été le niveau des prix.
Il convient cependant de préciser que cette situation n’est pas spécifique au Sénégal et affecte principalement tous les pays importateurs nets de produits énergétiques et céréaliers.
Au Sénégal, l’inflation est estimée, sur les douze mois de l’année 2007, à 5,9 %, un niveau jamais atteint depuis la dévaluation.
Non seulement l’inflation a franchi un seuil record sur plus d’une décennie, mais les plus fortes hausses de prix ont porté sur les produits de grande consommation.
C’est ainsi que de décembre 2006 à décembre 2007, le prix du lait a augmenté de 42 %, celui de l’huile végétale locale de 29 %, celui de la farine de blé et de ses produits dérivés de 16 à 27 %, tandis que le prix moyen des céréales non transformées croissait de 12 %.
Cette manifestation de la hausse des prix des céréales de base sur le marché mondial a rendu la situation plus complexe. Les gouvernements ont été ainsi amenés à traiter simultanément le choc pétrolier et la hausse des prix des céréales.
Toutefois, et cela mérite d’être souligné, la gestion de ces hausses de prix et les mécanismes par lesquels ils se diffusent dans l’économie sénégalaise sont distincts pour ces deux catégories de produits à deux titres :
Premièrement, le niveau de libéralisation est différent pour ces deux catégories de produits. En effet, contrairement à ce qui se passe dans le secteur énergétique où les prix sont régulés et où l’État décide de répercuter ou non les hausses et les baisses sur les populations, dans le secteur des produits alimentaires la gestion des prix est largement libéralisée et les agents économiques ont la latitude d’augmenter ou de baisser les prix en fonction des coûts qu’ils supportent. Cela veut dire le comportement des agents économiques présents dans ces secteurs ont un impact sur l’efficacité des mesures que pourraient prendre les autorités publiques. Par exemple, une mesure d’allègement de la fiscalité peut ne pas avoir les effets escomptes.
Deuxièmement, le niveau de ciblage des groupes et ménages vulnérables est différent. En effet, les ménages les plus pauvres, particulièrement ceux vivant en milieu rural, ne consacrent qu’une très faible part de leurs dépenses à l’électricité et au gaz, alors qu’une grande partie de leur budget est absorbée par les dépenses en produits alimentaires de base.
Pour atténuer cette hausse des prix des produits alimentaires de base, l’État sénégalais a pris des mesures d’allégement de la fiscalité sur certaines denrées. Rien ne prouve, cependant à ce jour, que ces mesures aient, d’une manière générale, permis un ralentissement de la hausse des prix payés par les consommateurs.
Favoriser la concurrence
Mieux vaudrait que le gouvernement renforce la concurrence par une diminution du protectionnisme dans certains secteurs et se donne les moyens de surveiller les marges afin de dissuader les abus dans les secteurs et localités où la concurrence est limitée.
L’amoindrissement du protectionnisme aurait un effet réducteur sur les prix payés par les consommateurs car il soumettrait les compagnies nationales à la concurrence des importations, et, ce, dans des secteurs caractérisés par une situation de quasi-monopole et faiblement générateurs d’emplois au Sénégal.
Les premiers résultats du Programme de comparaison internationale (PCI Afrique) ont montré qu’au Sénégal, les prix des produits alimentaires sont de 24 % supérieurs à la moyenne africaine et sont les plus élevés de la sous-région (CEDEAO), hormis le Nigéria et le Cap Vert.
De même, l’analyse comparative des prix entre 5 régions du pays (Dakar, Diourbel, Kaolack, Kolda et St Louis), réalisée, toujours dans le cadre du PCI Afrique par le gouvernement, révèle que la cherté de la vie à Kaolack est de 11 % moindre à celle de Dakar, du fait, en partie, de la proximité de cette région avec la Gambie et de la concurrence des importations en provenance de ce pays.
Par ailleurs, l’analyse de l’indice des prix, suivant la nomenclature secondaire, montre que l’augmentation cumulée de l’indice des prix des produits locaux s’est élevée à 26 % de janvier 2000 à décembre 2007, tandis que l’indice des prix des produits importés n’a connu une hausse que de 6 % sur la même période.
Malgré l’envolée des prix des produits pétroliers et des céréales importés, les prix des produits locaux ont subi une majoration encore plus forte en 2007, avec un bond de 6,3 % contre 4,6 % pour les produits importés. Ce constat doit forcément conduire les autorités à examiner en détail les facteurs internes contribuant à la hausse des prix.
La correction de ces facteurs, dont certains n’iront pas sans susciter une résistance de la part des groupes bénéficiaires, est incontournable compte tenu des perspectives peu favorables sur le marché des matières premières. De surcroît, les solutions de court terme, inefficaces pour l’instant, risquent de ne pas être soutenables à moyen terme.
L’État a déjà amorcé la mise en œuvre d’actions allant dans le sens d’une compression des facteurs de production, notamment celles faisant l’objet d’un consensus comme la réduction du coût de l’énergie avec les investissements en cours ainsi que l’amélioration de la mobilité urbaine et rurale avec la mise à niveau des infrastructures routières.
Les actions plus délicates, susceptibles d’avoir un impact à court terme sur les prix, telles que la réduction du protectionnisme dans certains secteurs clés comme le celui du sucre et de l’huile végétale, l’amélioration de la gouvernance des entreprises et le renforcement de la transparence, sont à la traîne pour le moment ou sont reléguées au second plan, au profit de groupe de pression et au grand détriment des consommateurs.
Par Mamadou Ndione – Économiste résident
Source : http://web.worldbank.org