Ziguinchor est un creuset culturel et artistique important. Le Touré Kunda, un groupe musical mythique, un des rares orchestres sénégalais à avoir décroché un disque d’or (avec Youssou Ndour et Coumba Gawlo Seck), symbolise, à merveille, la qualité de cette effervescence culturelle. Voyage au royaume d’enfance de ce groupe fortement attaché aux traditions et aux instruments musicaux de la Casamance naturelle. Le chaud quartier de Santhiaba, l’un des plus anciens de la ville est le fief des Touré Kunda.
La maison familiale, une grande bâtisse en réfection est l’œuvre du père, le regretté Daby Touré qui, en bon père de famille, accueillait tout le monde dans sa grande concession. C’est ainsi que son frère, Yaya Touré et sa petite famille, vivaient aussi sous son aile protectrice. Natifs de Ziguinchor et farouches gardiens des cultures du sud, les Touré Kunda sont pourtant originaires d’un village , à en croire un vieux sage de Santhiaba, du nom de Fassory Keita. Ce sont des Soninkés dont le père Daby, un cordonnier réputé pour la qualité de ses services, avait choisi de venir s’établir en Casamance afin de monnayer ses talents. L’histoire retient que les Soninkés qui ont rallié la Casamance, bien avant les indépendances, s’adonnaient au commerce de la cola et des pagnes teints à l’indigo.
Les frères Ismaël et Cheikhou Tidiane Touré, piliers du groupe de renommée planétaire, ont eu, durant leur tendre enfance, la chance de se ressourcer et d’aller ainsi apprendre le Coran en Mauritanie. Ils connaissaient parfaitement leurs racines. Le fils aîné, Amadou avait aussi eu le réflexe d’aller s’établir en Mauritanie avant de rallier la France à la fin des années soixante-dix. C’est ainsi que la belle aventure hexagonale du groupe a démarré avec un premier album produit à la fin des années soixante-dix. Un tube fortement influencé par des sonorités reggae. C’est ce qui explique d’ailleurs le look de Cheikhou Tidiane qui déambulait fièrement avec ses dreadlocks.
Des pagnes très prisés par les Diolas.
Selon des témoignages concordants, l’arrivée en 1981 de la gauche française au pouvoir, enthousiaste autour des idéaux du président François Mitterrand, a sonné comme un déclic dans la riche carrière des frères Touré. La première dame d’alors, Danielle Mitterrand et le ministre de la culture de l’époque, Jack Lang, ont été très tôt fascinés par la joie de vivre contagieuse, le talent et la verve des frères Touré. La réussite du Touré Kunda sur les plus grandes scènes du monde avec comme soubassement un ancrage dans la France d’obédience socialiste, était le symbole vivant de l’intégration réussie des migrants, théorisée à l’époque par le régime de François Mitterrand. Suite au décès d’Amadou, l’aîné de la famille, la dépouille mortelle fût transférée à Ziguinchor pour l’inhumation. L’impresario du groupe débarque en Casamance et fût impressionnée par la richesse culturelle des terroirs du sud. Il décide alors d’initier une grande tournée sénégalaise qui a abouti à l’enregistrement d’un double album. Il s’agit de « Live Paris-Ziguinchor et « Casamance au clair de lune ». Un succès musical fou à l’époque. Au final, le groupe a pu réaliser une discographie impressionnante avec des albums phares comme « Emma- 1980 », Mandinka Dong (1979), Sili Béto (1992) ou Mouslaï (1996).
On remarque que toute la Casamance se retrouve dans leur musique. Au-delà, c’est le Sénégal et l’Afrique entière qui se retrouvent dans leurs prestations. Mais les amis d’enfance des frères Touré sont formels. « Ces artistes au talent confirmé ont reçu une solide formation à Ziguinchor ; ils ont appris le théâtre, la danse et d’autres formes d’expression corporelle dans leur royaume d’enfance. D’où leur aisance et leur belle présence scénique». En réalité, tous les frères Touré : Amadou, Ismaël, Cheikhou Tidiane, Ousmane et même feu Hamidou, ont fourbi leurs armes dans des orchestres et clubs ziguinchorois comme l’Esperanza Jazz mais aussi la Stella et l’association culturelle la Fraternelle.
Creusets d’excellence
Des structures créées dans les années cinquante. Il s’agissait d’associations d’élèves et d’étudiants casamançais qui s’adonnaient à des activités culturelles, artistiques et sportives en organisant notamment des cours de vacances au profit de leurs jeunes frères de Ziguinchor.
C’étaient de véritables creusets d’excellence où les membres déclamaient, à l’envi, des chansons populaires tirées du riche répertoire local et de l’immense patrimoine immatériel de la Casamance naturelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Touré Kunda n’ont jamais hésité à puiser dans ce riche répertoire au plus fort de leur carrière professionnelle. Grâce à la Fraternelle, Ziguinchor baignait dans une folle ambiance avec, à la clé, une vie associative très dense. D’éminentes figures historiques de la région ont été identifiées parmi les plus grands animateurs de cette association. Il s’agit notamment de feu le PR Assane Seck, historien et ancien ministre, feu l’Amiral Faye Gassama de la marine nationale, l’Inspecteur d’académie Chérif Tounkara, l’actuel Pca de la caisse nationale du crédit agricole, Bassirou Faty, l’ex-DG du crédit agricole, Chamsidine Dieng, Atab Bodian (ex-Asecna), Pr Ameth Seydi de la Faculté des sciences de l’Ucad, l’opérateur économique et adjoint au maire de Ziguinchor, Samba Gakou, etc.
Toutes ces personnalités ont partagé d’intenses moments d’allégresse et de joie avec les célèbres frères Touré, dans leurs activités récréatives. Une anecdote assez rependue dans la ville dit d’ailleurs que les Touré Kunda ont appris à taper le Séwourouba, instrument musical typique mandingue lors de leur passage à la Fraternelle. A l’Esperanza Jazz, ils ont appris le théâtre et la musique. L’originalité du Touré Kunda résidait ainsi dans le fait que ses membres chantaient ayant, comme support, des langues locales : le Soninké, le créole, le Mandingue, le Diola, le Peulh, le Wolof, etc. Ils utilisaient, à profusion, les instruments locaux comme le balafon, l’ekontine ou le sabar. Ces instruments produisaient des sons originaux, des rythmes tellement endiablés qu’ils faisaient le bonheur de la danseuse du groupe, Seynabou Diop, une étudiante sénégalaise à l’époque établie en France. Question à mille balles : Qu’est devenu le Touré Kunda ? Aux dernières nouvelles, les frères n’étaient plus que deux à garder la maison à savoir Ismaël et Cheikhou Tidiane. Leur frère cadet Ousmane fait, lui, la navette entre Dakar et Paris.
Depuis plus de trois ans, le groupe de la famille Eléphant n’a pas sorti d’album. Même s’il a assuré, avec brio, un Play –back au port de Ziguinchor lors de la récente tournée économique du président de la République Macky Sall. Les deux frères Touré qui essaient de maintenir haut le flambeau, croulent sous le poids de l’âge en ayant entamé la soixantaine. Pour les Ziguinchorois, l’album « Fondinké » demeure le tube préféré. On a le loisir d’écouter les envolées lyriques des frères Touré qui chantent les louanges de valeureux fils de la ville comme Samba Gakou, Alassane Sarr, Tidiane Diallo, Yaya Mané, Silly Ly, feu Bass Camara, Bassirou Faty, l’ex arbitre international Oumar Diop, Johnny Camara ou encore l’oxydable Khassim Sané, plus connu sous le sobriquet de « Whisky ». Le tube Fondinké symbolise, à merveille, l’ancrage du groupe mythique dans son terroir et l’amour viscéral que ses membres éprouvent pour la ville de Ziguinchor. Mais il faut faire remarquer que le Touré Kunda a su marcher, avec intelligence, sur les pas de groupe précurseurs comme l’Ucas Band de Sédhiou ou le Wato Sita. L’Ucas Band de Sédhiou a remporté trois trophées de suite lors des fameuses semaines nationales de la jeunesse. C’est, à la suite de ces performances, qu’elle a été classée hors concours.
Quant au Wato Sita, dont le nom originel est : les ambassadeurs de Bigolo ; il s’agit d’u groupe présenté entre 1960 et 1970 comme le précurseur de la musique tradi–moderne en Casamance. C’était une bande de copains, partis à Dakar pour poursuivre leurs études supérieures. Ils ont créé le groupe dans une chambre de l’université de Dakar sous la houlette d’Ousmane Sow Huchard, alias Soleya Mama. Selon certaines indiscrétions, le Touré Kunda s’est beaucoup inspiré du style du Wato Sita en puisant, à suffisance, dans son riche répertoire. En dernière instance, selon Yaya Mané, un des amis d’enfance des frères Touré, cela traduit l’unité culturelle qui a toujours caractérisé Ziguinchor. Cette interaction religieuse et ethnique a produit un métissage culturel spécifique à ce terroir.
Par Mamadou Lamine DIATTA, lesoleil.sn