Dans cette réflexion, notre ambition n'est nullement de faire une étude exhaustive du mythe de l'ailleurs chez les Soninké. Ce sujet, il est vrai, peut faire l'objet d'une étude scientifique approfondie. Notre objectif, de fait, est de donner, d'une manière très concise, une idée, un aperçu sur la manière dont la communauté soninké de la Mauritanie, du Sénégal et du Mali conçoit la migration. Cette migration, comme nous allons le voir brièvement, est toujours accompagnée d'une sorte d'idéalisation du pays d'immigration qui fait que pour tout jeune homme soninké le voyage en Occident, en France ou en Espagne particulièrement, est synonyme de la réussite totale. Cette réflexion n'étant pas exhaustive, nous "conseillons" aux lecteurs qui veulent approfondir ce sujet la lecture de : Les Diasporas des travailleurs soninké (1848 – 1960) de François MANCHUELLE et Les Soninké en France de Mohammad TIMERA. Avant de présenter sommairement ce mythe de l'ailleurs chez les Soninké, un bref rappel historique des mouvements migratoires des Africains vers la métropole s'impose afin de mieux saisir le contexte dans lequel ce mythe a vu le jour.
La migration des Africains francophones vers la métropole s’est faite, au début, de deux ou trois manières. D’abord, ce furent les colonisés, contraints de participer à l’effort de guerre pendant les deux grands conflits mondiaux (1914-1918 et 1939-1945), qui étaient les premiers à venir en France pour combattre aux côtés de l’armée française. Entre 1914 et 1918 plus de 200000 « tirailleurs sénégalais », dont 30000 trouvèrent la mort, ont participé à la guerre aux côtés des troupes alliées. Un grand nombre de romans négro-africains francophones rendent comptent de la mobilisation de ces « tirailleurs sénégalais » dans une guerre qui leur était complètement étrangère. C’est le cas par exemple de O pays mon beau peuple du romancier sénégalais Sembene OUSMANE, Force Bonté du tirailleur Bakary DIALLO, L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou KANE, Morts pour la France de Doumbi FACOLY…
Ensuite, ce furent les ouvriers manuels qui, après les Deux Guerres mondiales, appelés par la métropole pour sa reconstruction, ont massivement émigrés en France. Gaston KELMAN dans son essai qui s’intitule Je suis noir et je n’aime pas le manioc écrit :
« La France, comme la majorité des pays européens, se trouve devant la nécessité de moderniser l’outil de production vieillissant [avait jugé qu’elle] n’a pas le moyen de se lancer dans un chamboulement coûteux et qu’elle gagnera à recourir à l’importation de la main d’œuvre [de ses] colonies d’Afrique. »
C’est ainsi que les Africains, à la recherche de meilleures conditions de vie, avaient décidé de quitter leurs familles pour aller travailler, dans des conditions déplorables, en Europe. Enfin, dans cette aventure européenne des Africains, il faudrait également signaler la présence des étudiants qui venaient ou qui viennent achever leur formation dans les universités et institutions françaises. Au départ, nous avons assisté à ce que les sociologues ont appelé « la migration des célibataires ou d’hommes seuls ». Ensuite, selon les mêmes sociologues, ce fut « le regroupement familial » à partir des années 1970. En 2004, 4,5 millions d'immigrés âgés de moins de 18 ans ou plus vivent en France métropolitaine ; ils représentent 9,6 % de la population du même âge contre 8,9 % en 1999[53]. « Alors que la population immigrée a longtemps été composée d'une majorité d'hommes venus en France pour travailler, les femmes, arrivées par le biais de regroupements familiaux, sont aussi désormais aussi nombreuses que les hommes (50,3 %).»
Les Soninké, comme la plupart des populations ouest africaines, furent parmi les premiers à avoir choisi l’émigration en Occident, en France et en Espagne particulièrement, comme une option de survie. Au sortir de la seconde guerre mondiale, pour des raisons économiques et de l’appel de la France à ses colonies pour sa reconstruction d’après –guerre, les jeunes et les moins jeunes de la communauté soninké du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie, qui avaient le goût de l’aventure "dans le sang", ont décidé d’aller chercher fortune ailleurs. Ce goût de l’aventure chez nos Soninké avait continué grandissant jusqu’au début des années 1970. De fait, ces années furent, dans les pays du Sahel, une dure période sécheresse et de famine. Pour sauver leurs familles de la misère sociale, économique ambiante, les jeunes soninké étaient comme condamnés d’abandonner champs et cultures pour aller "vendre" leur force de travail ou faire du commerce dans les grandes villes (Dakar, Nouakchott, Abidjan…). Les plus déterminés d’entre eux ont réussi à aller un peu plus loin, en Europe. Cette migration des jeunes soninké en Occident s’accompagna (s’accompagne encore) d’une sorte de mythe qui fait que tout immigrant soninké vivant en Europe est considéré au village comme un héros. Ce mythe fut (est) alimenté et entretenu à la fois par le migrant lui-même et son entourage direct ou indirect. Le migrant soninké, en effet, au retour de son aventure européenne pour des vacances de deux ou trois mois, par ses différents gestes, sa façon de s’habiller et les récits qu’il fait de son aventure, crée tout un mythe autour de sa personne, et par la même occasion, il donne sciemment ou non une image « paradisiaque » du pays d’immigration (France ou Espagne). Cette image est d’autant plus ancrée dans l’imaginaire des populations que tous les jeunes se sentent comme envahis d’un sentiment incontrôlable qui les fait rêver d’une Europe où ils pourraient facilement se faire beaucoup d’argent. Tout le monde, dans la communauté soninké, participe à ce mythe. Finalement, nous assistons dans notre communauté, comme d’ailleurs dans toutes les autres communautés ouest africaines, à une sorte de « société du paraître » pour ne pas dire d’ostentation où n’ont de valeur que les jeunes qui ont émigré en Europe. Ce mythe est tellement enraciné dans les mentalités que toute tentative de la combattre s’avère être vain dès le départ. Or, il est de la responsabilité de chacun (e) d’entre nous, Soninké ou non, de nous engager dans une vraie campagne de sensibilisation afin de combattre ce mythe qui fait, il est vrai, dans la communauté soninké plus de mal que de bien. Les jeunes doivent comprendre que l’image que l’on fait véhiculer de l’Europe n’est pas tout à fait exacte. Que l’Europe, tout comme l’Afrique, a ses pauvres.
SOUMARE Zakaria Demba
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