Par Elodie RAZY.
Résumé. Dans cet article, l’expérience et la notion de « retour » sont explorées à la lumière de l’exemple soninké. Après une brève revue de la littérature et une étude des déclinaisons actuelles du retour, l’analyse du séjour au village d’une mère puis de son fils adolescent permettra de mieux appréhender les phénomènes de circulation en réfléchissant sur les questions de statut et d’identité.
Mots clés. circulation, retour, Mali, France, migration, femme, adolescent, Soninké
Lorsqu’on est villageois, quitter le pays Soninké n’implique pas de rupture définitive. Bien au contraire, dans la mesure où l’on « part pour rester »1, tout départ implique nécessairement un retour, des retours. Dans cette perspective et sur la base d’extraits de récits de vie, des éléments de réponse seront apportés aux questions suivantes : Quels sont les lieux et les moments impliqués dans ce processus ? Quel est le rôle de l’âge et du sexe dans les modalités et les implications de ce dernier ? Qu’est-ce qui se joue pour les acteurs à cette occasion ? Plus globalement, l’attention sera portée sur le retour à la fois comme expérience à définir et à circonscrire, mais également comme notion. Cette dernière permet-elle de mieux appréhender certains processus liés aux phénomènes de circulation des personnes ?
Dans un premier temps, le peu de place accordé au retour soninké des femmes et des enfants2 dans la littérature sera souligné. L’intérêt a en effet été porté sur les hommes : rotation des forces de travail, projet de réinstallation dans le pays d’origine ou expulsion des « sans-papiers ». Ensuite, seront présentées les déclinaisons actuelles du retour soninké dues aux évolutions de la législation sur les migrations d’une part et à la plus grande visibilité des nouveaux acteurs du regroupement familial (femmes et enfants) d’autre part. Enfin, le thème sera plus particulièrement approfondi à partir de l’expérience d’une mère et de son fils partis au village pendant les vacances d’été.
1. La littérature anthropologique sur le « retour soninké »
Depuis les débuts de l’étude des migrations soninké une place a été faite (consulter entre autres : Barou, 1978 ; Quiminal, 1991, 1995 et 1997 ; Timera, 1996), en filigrane, aux « retours » des hommes vivant en foyers, tant ceux-ci étaient constitutifs des dynamiques migratoires basées sur le principe de la rotation. Jusqu’à la fermeture des frontières (en 1974), les hommes rentraient et séjournaient régulièrement au village : les uns pour se marier, les autres pour passer du temps auprès de leur(s) femme(s) et de leurs enfants. Ils étaient alors remplacés par un parent sur leur lieu de travail en France le temps de leur absence.
Avec le durcissement des lois sur l’immigration, les séjours en France se sont allongés tant il devenait de plus en plus difficile de regagner le sol français après l’avoir quitté. Les séjours au village se sont donc espacés pour nombre d’hommes. Concernant cette période, peu de place a été accordée à l’analyse des raisons, des modalités de ces retours et à leurs conséquences sur place.
Au fil des ans et des développements économiques, politiques et juridiques relatifs aux questions de l’immigration, les retours contraints (expulsion des sans-papiers) et volontaires des migrants (assortis ou non d’une aide à projet par l’OMI [Office des migrations internationales]) se sont multipliés, rencontrant parfois des désirs individuels ou des actions d’associations villageoises et suscitant un intérêt grandissant dans la communauté scientifique (Cf. l’atelier de recherche international pluridisciplinaire organisé au CEPED les 5 et 6 avril 2004 intitulé « Les migrations internationales de retour dans la perspective des pays du sud »). En 2002, la revue Hommes et Migrations consacrait un numéro aux « Retours d’en France » dont trois contributions éclairaient certains aspects du cas soninké : une revue des retours (Quiminal, 2002), le retour des morts (Petit 2002) et les retours « financés » (Daum, 2002)3.
Au sein de la population d’hommes relativement homogène des premiers temps de l’immigration, une certaine diversité commençait déjà à se profiler qui allait s’intensifier dans les années 1980-90. En effet, les mesures de regroupement familial ont vu la migration dite de travail se coupler d’une migration dite familiale actuellement en pleine mutation, sans que la première soit devenue caduque pour autant. Bien que le fonctionnement du « système » de rotation ait été mis à mal par les nouvelles législations en vigueur, certains hommes ont continué à vivre sur ce mode (séjour de travail en France/retour régulier au pays). Ces hommes, faussement appelés « célibataires » en France, évoquent toujours le bien-être de se retrouver parmi les siens, mais également la difficulté de ne pas vivre au quotidien avec sa famille, de ne pas voir grandir ses enfants qui ne les reconnaissent pas toujours lorsqu’ils reviennent. Les questions financières sont également au coeur de leurs retours, tout comme certains conflits familiaux et villageois qu’ils vivent à distance lorsqu’ils sont en France. Certains vivent mal ce qu’ils perçoivent comme un décalage grandissant entre eux et « ceux du village ». Pour eux, le séjour au pays est à la fois source d’apaisement et de tension.