Abdoulaye Camara, dit Diaby Doua est Soninké, originaire d'une petite ville proche de Kayes au Mali. A 14 ans, il apprend à chanter en s'accompagnant du molo, petit instrument monocorde fait d'une demi calebasse et d'un manche en bois. Il se l'est fabriqué lui-même et a appris en cachette de son père, un cultivateur qui refusait catégoriquement que son fils joue de la musique. A 20 ans, Diaby part chercher du travail au Sénégal puis en Gambie. En 1974, il s'expatrie en France, où il va vivre la vie des travailleurs émigrés.
En partant, Diaby a mis son molo dans son sac. Un soir du mois d'août où la chaleur lui rappelle le pays, il prend l'instrument et va s'asseoir en bas, dans la cour du foyer, où il se met à jouer. Au son du molo, Harouna-Sidibé s'approche. Lui aussi sait chanter ces vieux airs-là. Il a d'ailleurs emmené son karoni, une petite guitare à trois cordes. Et les voilà qui jouent ensemble. Des hommes s'approchent et hochent la tête, bercés par les chants du pays.
Soninké de Mauritanie, Goudja vit aussi dans un foyer. Sa rencontre avec Diaby et Harouna se fait au détour d'une conversation. Lui est un virtuose de la guitare, mais sur le mode traditionnel et ça l'amuse bien de se joindre aux deux autres. La musique vient éclairer leurs quotidiens de cuisinier, d'employé à la ville de Paris et d'ouvrier d'usine. Ils ne savent pas encore qu'ils deviendront le noyau du groupe Soninkara.
Leur musique attire de plus en plus de compatriotes. Pourquoi ne pas vraiment leur amener la fête, en ajoutant des percussions. Ils vont chercher des bons joueurs de djembé, de doudoumba et de tama. On est en 1983. Nous sommes allé voir les délégués de foyers en leur expliquant qu'on voulait faire partager notre musique. On leur proposait de venir jouer gratuitement les week-ends. Partout l'accueil était très chaleureux. On faisait la musique comme sur la place du village. C'était la fête , raconte Goudja.
Radio tam-tam s'y met : le groupe est demandé partout en France où il y a des Soninké. En 1988, Soninkara enregistre une cassette. Pour la première fois, les musiciens découvrent un studio. Pas question de faire les prises d'instruments l'une après l'autre. Ce sera comme sur scène, et que l'ingénieur du son se débrouille ! Et ça marche Sortie en 1990, la première cassette de Soninkara va se vendre à plus de 30 000 exemplaires dans les foyers.
Sans le savoir, nous sommes devenus des stars en Afrique Diaby s'en rend compte en rentrant au pays voir sa famille. La cassette a fait le tour de l'Afrique de l'Ouest : Mali, Sénégal, Côte d'Ivoire, Mauritanie. Les radios le réclament à Bamako, à Abidjan Il a du mal à le croire.
Aujourd'hui, Soninkara, qui compte neuf musiciens, a deux cassettes à son actif. Mamadou Konté, Soninké et ancien ouvrier émigré lui aussi, puis fondateur d'Africa Fête et actuel manager de Salif Keïta, a décidé de prendre en main ce groupe de travailleurs. Il compte bien les aider à grimper les échelons de la notoriété et à décrocher un contrat de disque.
François Bensignor,
source : Afromix