Le chanteur et guitariste sénégalo mauritanien a de qui tenir. Le fils de l’un des Frères Touré continue de marcher sur les traces de ses illustres devanciers. Après avoir longtemps cheminé avec un de ses cousins au sein du groupe les Touré Touré, il a choisi d’évoluer en solitaire. Une manière de faire étalage de tout son immense talent et surtout de pouvoir donner libre cour à son impressionnant bagage technique. Ce guitariste chanteur de génie est régulièrement sollicité par ses pairs africains. Il a participé à plusieurs albums d’éminents artistes africains. Cet ami de Diogal Sakho partage avec ce dernier un éclectisme musical qui a fini de le hisser au rang de l’un des plus prometteurs talents de la musique africaine. Au cours d’un récent séjour dakarois nous l’avons rencontré pour faire plus ample connaissance avec cette nouvelle étoile .Pour cette semaine, le Messager vous entraine dans l’univers métissé de ce futur Grand de la Musique mondiale.
Un perfectionnisme poussé à l’extrême pour ne pas décevoir
« La plus belle prouesse technologique jamais réalisée, c’est l’homme» nous dit Daby Touré qui met ses convictions en pratique sur My Life, un second album que l’on qualifiera par défaut de « pop folk africain » et sur lequel il exécute seul toutes les parties vocales et instrumentales. « Je n’aime pas être assisté. Si l’on veut être original, laisser sa marque, mieux vaut faire les choses soi-même. On m’a proposé des producteurs dont Brian Eno. Au début j’étais curieux. J’ai écouté quelques démos, mais je trouvais que ça me ramenait à une certaine normalité. J’avais le sentiment de rentrer dans le rang. » Outre les instruments, Daby aura donc pris en charge les arrangements et la réalisation de ces 12 nouvelles chansons, dont il est évidemment l’auteur et le compositeur. « J’ai été épaulé par l’ingénieur du son Ben Finley et sur certains titres par Bob Cook, le producteur du premier Ben Harper. Sinon, je suis dans tous les processus, du mixage au mastering.» Il n’ y a sans doute que le ménage et la cuisine que Daby ait négligé pendant ces semaines de l’été 2006 où il a tenté cette traversée en solitaire dans les studios Real World de Bath, au beau milieu d’un océan de verdure anglaise qui moutonne aussi loin que porte le regard. La vérité est qu’entreprendre une telle odyssée, surtout lorsque l’essentiel des tâches vous incombe, nécessite du courage et beaucoup de poigne pour maintenir le cap. Si le courage en musique signifie le refus de céder à la facilité, une méfiance à l’égard de certitudes fondées sur des dons artistiques précoces et un solide background familial, alors Daby n’en manque pas. « J’ai toujours senti le besoin de changer d’instrument, et ce dès l’époque où j’ai commencé la musique avec mes cousins en Afrique. Je jouais de la guitare et soudain j’avais envie de me mettre au chant ou à la basse. Ce qui m’intéresse dans cette démarche, c’est de pouvoir assumer tous les points de vue que propose une chanson. Sur ce disque, pour la première fois, je joue de la batterie ainsi que toutes les percussions. » Le plus étonnant dans cette approche résolument conquérante, c’est qu’elle ne s’embarrasse d’aucune vanité. Ainsi les percussions dont il parle ne sont souvent que le tapotement de ses doigts sur la caisse d’une guitare acoustique.
Une enfance bercée par un patchwork musical
Quant aux nouvelles sonorités introduites sur certaines chansons, il ne s’agit en réalité que d’une succession de bruits émis avec la bouche, avec un résultat qui est pourtant confondant de musicalité. On ne peut alors s’étonner de constater sur ce disque un phénomène plutôt rare de nos jours, comme un retour vers l’essentiel qui irait de l’avant. L’essentiel, Daby en a pris conscience très jeune. À une époque où, recueilli par l’un de ses oncles à Djéole, un village de Mauritanie, suite au divorce de ses parents, il partage la vie d’une communauté entièrement tournée vers les travaux de la ferme. Il y fait la connaissance des différentes cultures, soninké, wolof et peul, composant le tissu humain de cette région frontalière avec le Sénégal. « J’y ai passé les moments les plus intenses de mon existence. Et intégré des valeurs primordiales, telles que patience et sens du partage. » Là s’ébauche en lui l’idée selon laquelle le dénuement n’est pas forcément l’ennemi de la perfection, bien au contraire. Une philosophie mise en pratique sur My Life. Mais avant d’en arriver à ce stade, il lui faudra emprunter les sentiers ramifiés d’un apprentissage musical qui le conduisent tout d’abord à chanter dans un groupe de rock de la banlieue parisienne (The Monkey Toons) ; puis à fonder avec son cousin Omar un ensemble où fusionnent jazz progressif et musique traditionnelle africaine: Touré Touré. « Aujourd’hui, je vois mon parcours avec Touré Touré comme un moyen d’évacuer certaines choses pour aller plus loin. Tout ce que j’avais emmagasiné comme envies et influences- Bob Marley, Police ou Weather Report- je les ai digérées avec ce groupe. » Il lui faudra également dépasser un modèle familial fort imposant, celui de Touré Kunda, groupe que son père Hamidou Touré a rejoint à la fin des années 80, et que beaucoup considère comme précurseur dans le domaine de la world music. « C’est avec Touré Kunda que j’ai commencé à entrevoir une voie entre la musique traditionnelle africaine et la pop occidentale. C’est à leur contact que j’ai appris à m’orienter dans ce métier ». Daby se met alors en quête d’un équilibre, tant personnel qu’artistique, entre attachement et émancipation. Lui dont la vie se résume finalement à une succession de déménagements plus ou moins précipités entre la Mauritanie, la Casamance et la France, parvient à égaliser ce terrain intérieur quelque peu bouleversé avec une musique allant à la fois vers plus de richesse harmonique et de dépouillement.
Une irrésistible envie de se faire une place au soleil
En 2004 un premier album sur Real World, Diam, révèle à un large public la singularité d’une démarche consistant à raffiner la terre ocre du patrimoine musical ouest africain à travers le tamis d’un folk élégiaque ayant servi jadis à Cat Stevens, Nick Drake ou aux Beatles du White Album. De ce processus, My Life offre aujourd’hui une matière sonore encore plus épurée. Avoir voulu jouer tous les instruments n’est pas la seule gageure de ce disque. Daby y chante aussi dans plusieurs langues, soninké, pular, wolof, qu’il mélange parfois avec un peu d’anglais. « Si j’utilise ces langues traditionnelles africaines, qu’au demeurant je ne parle pas couramment, c’est avant tout pour leur musicalité. Preuve de mon peu d’égard pour leur intégrité, il m’arrive de les mélanger les unes aux autres dans une même chanson. En Afrique, ils ont l’air de bien aimer ça parce que ça dépasse les clivages. Inconsciemment, c’est comme une réponse aux problèmes de communautarisme. » Une absence de rigidité identitaire évoquée dans Kebaluso, et qui s’applique à d’autres domaines...« Je me fous de la musique traditionnelle. J’ai des frissons quand j’écoute certains grands griots mais là n’est pas mon propos. Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir refléter la manière dont cette musique, mais aussi la musique occidentale, comme les rencontres ou les voyages que j’ai faits, m’ont façonné. » Cette quête d’une unité dans le morcellement ne se traduit pas seulement par un désir de tout jouer, de tout chanter, dans tous les langages. Elle constitue aussi le thème de la plupart des morceaux. Ainsi dans le titre Am : « j’y expose ma double personnalité, africaine, européenne, et ce travail permanent qui consiste à trouver entre les différentes composantes de moi-même la bonne harmonie. » My Life et Yafode concernent elles aussi la nature perfectible de chacun et l’effort qu’il est nécessaire de produire pour s’améliorer, se libérer de pensées négatives ou de convictions trop inébranlables. Fan de Bob Marley depuis le plus jeune âge, Daby a aussi appris comment réussir, dans une chanson, à ce qu’une exigence personnelle devienne un enjeu universel, teinté de romantisme sur Bye Bye ( « l’histoire de deux êtres dont l’amour est empêché par les conventions familiales »), ou plus politique sur We don’t need. « Dans Yakare, je parle des enfants des pays pauvres. À travers eux je vois l’avenir d’un pays...À l’heure où l’on parle de développement et d’aide, je trouve très grave que les enfants ne soient pas plus au centre des préoccupations. » Alors certes, Daby Touré n’est pas le premier chanteur à évoquer les problèmes du monde d’aujourd’hui. Mais après avoir écouté My Life, on a le sentiment que peu l’ont fait avec autant de sobriété et de noblesse d’âme.
M F Lô avec Real World
Source : Le Messager - Quotidien Sénégalais