De tout temps les hommes, pour manifester leur joie, ont dansé et chanté au son d’instruments de musique dont au départ les matériaux étaient choisis dans leur environnement immédiat : tiges de bambou, cornes d’animaux, morceaux de calebasses, etc. Dans bien des cas, c’était le contexte historique qui déterminait le genre musical dans la mesure où la musique exprimait les préoccupations de la société.
Aussi, dans les pays à vocation guerrière comme le royaume Bambara de Ségou, ce furent les chansons épiques qui se développèrent beaucoup alors que dans d’autres comme les pays Soninké, furent surtout à l’honneur les chants vantant les mérites de l’aventure ou de commerce de grande distance.
Au Moyen-âge, beaucoup de musiques se faisaient accompagner par des chansons religieuses relevant du genre rituel et rappelant à l’homme le mystère de la création du monde. Par la suite, ces chansons évoluèrent vers l’exaltation des états d’âme, les louanges et maintenant les problèmes politiques comme les revendications d’identité ou de dénonciation des dictatures.
Dans nos sociétés traditionnelles, de façon générale, la musique n’était pas faite pour enrichir le musicien ; elle l’était pour contenter le public et, dans certaines zones comme le Mandé, les hommes libres ou « diatigui » lorsque le musicien était un homme de caste. Dans ce cas, à la fin de la production, c’était au diatigui de voir quelle manière il pouvait intéresser (non rémunérer) l’activité de son groupe.
Cet intéressement pouvait aller de l’argent liquide aux céréales en passant par les animaux domestiques, généralement des ovins et des caprins. Dans les campagnes, en saison sèche, les musiciens allaient de village en village pour animer des soirées culturelles à l’issue desquelles ils étaient récompensés selon les capacités de l’hôte et selon, souvent, la qualité de leurs prestations.
Mais, il pouvait arriver que pour une cérémonie civile particulière, on fasse venir spécialement un musicien (ou une musicienne) avec son orchestre et, dans ce cas-là, un tarif était fixé et payé à la fin de la manifestation.
Cette habitude de payer l’artiste pour services rendus est née dans les années 1950 dans les grandes villes et a progressivement gagné les villages de brousse.
L’implantation et le développement de la musique sous la colonisation ont introduit dans notre société de nouvelles façons de produire de la musique et de la gérer.
Dans la société traditionnelle, les musiciens professionnels étaient généralement des hommes de caste qui vivaient de leurs fonctions sociales, dont la musique.
Les autres musiciens non-castés qu’ils soient de la chasse (donso ngoni) ou de travail de la terre, le faisaient presque par plaisir et au nom de l’art pour l’art. Le développement de la musique moderne va perturber cette vieille façon de faire et créer des dispositions et des mécanismes permettant au musicien de vivre plus ou moins pleinement de son art.
La musique devient alors une véritable industrie avec ses agents, ses promoteurs et ses spécialistes de défense des intérêts des musiciens. La grande professionnalisation du secteur entraîne inévitablement la démultiplication de sa population.
Désormais, non seulement il y a les musiciens et les chanteurs, mais il y a également tous les autres qui participent à l’épanouissement de l’activité musicale : arrangeurs de textes, fournisseurs de matériel, intermédiaires avec les propriétaires des salles de spectacles pour leur location, etc.
Les musiciens, selon leur talent, vont évoluer individuellement ou collectivement.
Des orchestres spécialisés dans l’accompagnement des chanteurs se créent aussi et se mettent à leur disposition moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Beaucoup de chanteurs, n’ayant pas fait d’études musicales, et ne comptant que sur leur puissance vocale, se font écrire des textes de chanson et se font accompagner par des groupes spécialisés de la place qui leur vendent cher leurs prestations.
Le mode du management, venu d’Europe et d’Amérique, s’est aussi installé chez nous pour gérer non seulement la carrière du musicien, mais également celle des managers. Les instruments de musique, eux aussi, ont beaucoup évolué. De rudimentaires, ils sont devenus si sophistiqués que leur maniement pose problème et est laissé aux seuls spécialistes.
L’organisation des spectacles n’est plus ce qu’elle était avant. Alors que dans le passé le spectacle se faisait en plein air ou dans un endroit sommairement couvert, maintenant cela se fait dans des salles de spectacles expressément conçus pour cela et que l’artiste doit louer avant de se produire.
Tout cela fait trop d’affaires et de pressions autour de la population musicale qui font que si certains musiciens arrivent à tenir leur épingle du jeu, beaucoup d’autres s’y noient soit par ignorance des règles, soit par la cupidité des acteurs du secteur.
De plus en plus l’argent domine le monde de la musique et comme il s’en trouve en quantités considérables en Europe et en Amérique, ces cieux sont devenus le grand centre de la musique mondiale où affluent tous les musiciens de la terre.
Facoh Donki Diarra
Source : Les Echos du 23 mai 2008