Par Fodyé Cissé
Après avoir réussi avec brio les 1ère et 2ème éditions de Sonink’ART tenues respectivement les 02 février 2008 et 30 mai 2009, l’association « Soninkara.com » a récidivé avec l’organisation dudit évènement le samedi 11 février 2012 à l’Espace Fraternité, 10 - 12 rue de la gare, 93300 Aubervilliers.
Pour rappel, Sonink’ART est un évènement qui a été imaginé et créé par l’association « Soninkara.com ». C’est l’évènement culturel soninké de référence dont les objectifs sont de :
- Faire découvrir ou redécouvrir la culture Soninké dans ses multiples facettes (son évolution dans le temps ainsi qu’au contact de la société française) au plus grand nombre de personnes possibles (Soninké et non Soninké).
- Sensibiliser la seconde génération à la culture Soninké.
- Consolider le lien social pour favoriser l’«inter-générationalité ».
- Participer à la lutte contre le racisme et les discriminations en brisant les préjugés se nourrissant de la méconnaissance de l'autre. En ce sens, Sonink’Art permet la découverte de l’autre et favorise le dialogue interculturel.
- Consacrer un « devoir d’histoire » et un « droit à la mémoire », selon l’expression de l’historien Pierre Nora, dans le but de donner une place aux mémoires collectives dans l’histoire nationale, mais aussi permettre qu'un lien se crée entre des futurs citoyens au passé et à la mémoire différents.
Un programme riche et varié était au menu de cette 3ème édition de Sonink’ART dont le thème « voyage à travers les traditions soninkées » était dominé par la tradition orale en milieu soninké, sujet ô combien important, et colonne vertébrale de tous les autres usages et coutumes.
La tradition orale est certes le réceptacle de tous les témoignages transmis verbalement par un peuple sur son passé (LAYA, Diouldé – la tradition orale, Paris UNESCO, 1972) , mais elle est aussi riche en contenus et en variétés que la littérature écrite dans d’autres sphères culturelles. Toutes les activités développées lors de cette journée ont permis d'en valoriser les principaux genres.
La journée commença par une conférence-débat animée par Tal TAMARI, universitaire, chargée de recherche au CNRS et membre de l'Equipe de Paris du Centre d'Etudes des Mondes Africains(CEMAf). L’auteure de « Littérature orale d’Afrique noire. Paris : Conseil International de la Langue Française, 1992, 359p. », revint sur le rôle qu’occupe la femme dans la transmission de la connaissance, l’impact de la tradition orale sur l’éducation des enfants et dans le développement de l’homme soninké.
Tal TAMARI passa ensuite le relais aux maîtres de la parole, en l’occurrence Sétigui Cissé et ses compagnons, tous disciples du grand maître feu Ganda Fadiga.
Les geseru, munis de leurs ganberu (luth ou guitare traditionnelle), démontrèrent leur savoir-faire au terme d’une prestation remarquable sur la généalogie et l’origine de certains patronymes soninkés.
Après cette belle envolée lyrique pleine de sens, vint le tour de Lassana Kaloga, un autre grand griot reconnu pour ses talents d’orateur. Sur fond de musique traditionnelle jouée par les geseru qui l’ont précédé, Lassana Kaloga revisita l’épopée de l’empire du Wagadu ainsi que la généalogie de certains patronymes soninkés. Tout son discours était traduit en live par monsieur Cheikhna Wagué pour les nombreuses personnes dans le public qui ne parlent pas le soninké.
Lassana Kaloga passa le micro aux poètes et autres maîtres de la parole. Il s’agit de Kabu Tirera, Aliou Goundo Sy et El hadji N’diaye qui partagèrent quelques-uns de leurs poèmes en soninké avec le public.
Après les poètes, c’est maître Sidy Koné Cissokho qui monta sur scène, accompagné de ses danseuses et joueurs de dondonηe pour effectuer leur première prestation de danse sur un air très connu en milieu soninké : le yerebete (lire yérébété). Le maître danseur nous apprend que le yerebete est une danse typiquement soninkée. On l’appelle aussi danse des "pauvres" ou des démunis. Par exemple, en cas de disette ou de famine, lorsque les gens partaient cueillir du jaaje (lire diadié - fonio sauvage) , ils chantaient et dansaient le yerebete.Cette danse est un mélange de worso, de taga lege, de yugu lege, de "jeunesse" (autres danses traditionnelles soninké) . Le yerebete est entamé par une démarche lente, les mains en avant, et se termine en accélérant les mouvements.
Le clou du spectacle est venu après la danse du yerebete quand un cortège nuptial traversa la salle, des vestiaires à la scène, tout en reprenant, en chœur, cette chanson célèbre dans tout le pays soninké: Naye. La maaño (la mariée) qui était au milieu du cortège avait le visage recouvert d’un voile transparent et tenait à sa main une grande xarxanme (louche), symbole de la fertilité. Le groupe de femmes marchait lentement comme le voulait la tradition. Le public pouvait suivre en direct tous les chants puisque Soninkara.com avait pensé à tout. En effet, tous les chants sélectionnés dans l’activité « Chants Nuptiaux » étaient retranscrits phonétiquement et traduits en français. Toute personne qui entrait dans la salle se voyait remettre un exemplaire de ces chants.
Sans transition, c’est Hamadoun TANDINA, né au Mali, près de Tombouctou, à Goudam d'une mère Peulh et d'un père Sonraï, qui enchaîna en faisant voyager le public à travers ses contes. L’artiste, conservateur au musée du quai Branly, se définit lui-même comme un sac à parole, un pur produit de la tradition orale africaine. Monsieur Tandina dont le patronyme fait penser à Tandia en milieu soninké, nous conta l’histoire du « pays du grand soleil où les hommes, les femmes et enfants, le soir au clair de lune, battent des mains, chantent et dansent au son du tam-tam …: le Mali ». Le conteur ne mit pas trop de temps pour retenir l’attention de toute la salle, y compris même des plus petits, enfants, bébés et nourrissons.
Après ce merveilleux conte sur le Mali, monsieur Tandina enchaîna sur un autre dénommé « Chacou ». Dans ce récit, le conteur nous parle de l’enfance, de l’éducation des enfants, du rôle des parents et fait une comparaison entre ici (l’occident) et là-bas (l’Afrique). Il nous apprend que « l’enfance d’ici et de là-bas n’ont certainement ni la même couleur, ni la même odeur, mais que l’enfance est égale à l’innocence, la plus belle période de la vie. ».
La troisième et dernière prestation de Tandina porta sur un conte animalier où le héros, le brave Samba s’opposa au crocodile du fleuve. Les enfants, dans la salle, étaient vraiment emportés en voyant monsieur Tandina dans son costume de chasseur, armé d’un bâton en guise de fusil, faire les gestes du guerrier Samba qui finit par vaincre le crocodile qui terrifiait tout le village.
Après ce moment de pur bonheur, ce fut le tour du sketch. Il s’agissait d’une pièce théâtrale dont le thème portait essentiellement sur les valeurs traditionnelles soninkées. Étaient au menu le Kallungoraaxu (cousinage à plaisanterie), le Kaawun sellande (cadeau que tout oncle doit à sa nièce ou à son neveu lors du nouvel an musulman) et le dionηu (pactes reliant des patronymes ou des provinces soninkés). Le scénario fut imaginé, écrit, monté et joué par les membres de l’association Soninkara.com avec le concours de talentueux artistes qui ont participé en tant que bénévoles. Ce fut un grand moment de pure détente pour le public.
Maître Sidy Koné Cissokho et sa troupe de danse remontèrent sur scène pour interpréter cette fois-ci le worso et le sigandi autres airs de danse célèbres dans le patrimoine culturel soninké.
Le Worso ou "komo" lege (komo pris dans le sens de "captifs") se danse après les récoltes. Elle s’exécute également à l’annonce d’une bonne nouvelle. Par exemple quand un mariage est scellé ou qu'on apprend une naissance, etc. Ce sont principalement les garçons qui effectuent cette danse. Le danseur commence son numéro en adoptant une démarche assez particulière, un peu à l’image des lutteurs lorsqu’ ils entrent dans l'arène.
Quant au Sigandi, il est exécuté essentiellement dans des évènements heureux comme les mariages ou les attributions des prénoms (siyindu). On commence par entonner une chanson : Taare ri, releeri wo, indi ma releeri, releeri wo ... Ce sont principalement les filles qui la dansent. Cette danse est aussi réalisée lorsque des invités de marque sont reçus, par exemple des commandants. C'est pourquoi on voit parfois des danseurs qui, en pleine action, font des saluts militaires.
Les danseurs, après avoir bien réchauffé la salle, laissèrent la place à la deuxième partie des chants nuptiaux. La maaño, comme dans la pure tradition soninkée, est entourée par ses feddalenmu (jeunes filles de sa classe d’âge) qui lui entonnent des chants traditionnels comme « Sembelou Mâriama ». Cette coutume qui oblige les feddalenmu à venir tenir compagnie la jeune mariée en l’égayant de chants traditionnels tous les après-midis des premiers jours suivant la nuit des noces, s’appelle « lellande » dans certaines contrées soninkées. Cette tradition est malheureusement en voie de disparition, même dans les villages soninkés les plus lointains. Et pourtant les messages contenus dans ces chants sont pleins de sens et de philosophie pour la nouvelle vie de couple de la jeune mariée. L’association Soninkara.com, en intégrant cette activité « chants nuptiaux » dans cette 3ème édition de Sonink’ART, a compris cela et a voulu tirer la sonnette d’alarme.
En effet ce serait une énorme perte si tous ces chants, transmis de génération en génération depuis des siècles, disparaissaient un jour du patrimoine culturel immatériel des soninkés.
La scène fut ensuite laissée aux artistes chanteurs et musiciens pour animer la soirée musicale. Ce fut une soirée inoubliable. C’est Nayé Mody Kanté qui commença. Sa voix harmonieuse ne laissait personne indifférente. FOF2SONINKARA et Demba Diarra prirent le relais. Les deux artistes nous concoctèrent un bon et long morceau de Mbalax soninké. Certains enfants ne pouvant se retenir montèrent sur scène pour exécuter des pas de danse de Youza à la soninké. Après cette belle prestation des natifs de Balou et de Bakel, ce fut le tour de Lélé Demba Diarra et du groupe de rap soninké L.L. United (L.L. Douks et SpeakCause) d’aider le public à digérer le repas qui lui a été servi. En effet, tout au long de la soirée musicale, de succulents plats ont pu être distribués à toute la salle. Au menu, on avait des pastels accompagnés de salade en entrée, du mouton rôti au four avec sa sauce en repas principal et en dessert du « degué » ou « thiakiri » (semoule de mil cuite accompagnée de lait caillé). Les boissons étaient à volonté pour toutes les personnes du public.
La soirée se termina vers 23h30 et Soninkara.com gagna son pari de faire de cette 3ème édition de Sonink’ART une réussite.
Fodyé Cissé
Remerciements:
D’abord, un GRAND Bravo à toute la Dream Team de Soninkara.com, toujours copiée, mais jamais égalée ;-) !
On ne peut clore ce compte-rendu sans remercier et rendre un vibrant hommage à certaines personnes sans le concours desquelles cet évènement n’aurait sans doute pas connu le succès.
Les remerciements vont d’abord à tous les membres de l’association Soninkara.com et à tous les bénévoles venus renforcer l’association, tous motivés par le Sooninkaxu et qui ont passé des mois et des mois à préparer cet évènement. Ils n’ont ménagé aucun effort et ont dépensé de leur énergie, de leur argent et de leur temps pour la réussite totale de cette 3ème édition de Sonink’ART.
Les remerciements vont ensuite à tous les artistes et autres intervenants qui ont participé à cet évènement : Tal Tamari, Sétigui Cissé et ses compagnons, Lassana Kaloga, Fof2Soninkara (Mamadou Clément Fofana), Demba Diarra, Nayé Kanté, Lélé Demba Diarra, L.L. United, Hamadoun Tandina, les misses soninkées, Sidy Cissokho et ses danseuses.
Merci également à Astou Niakaté qui, avec son organisation Fasofuru, s’est occupée bénévolement de la préparation du plat principal pour des centaines de personnes.
Merci à Brahim Dicko de la société Livraison Mouton Halal pour le grand service rendu.
Nos remerciements vont également à Mada Koita, à Thierno Tandia et aux filles qui ont préparé pendant des semaines l’activité « Chants nuptiaux », à Sidy Koné Cissokho et ses danseuses qui ont répété pendant plusieurs semaines, à Sadia Diawara qui nous réserva gracieusement sa salle pour les répétitions, à l’APS pour avoir mis à notre disposition sa salle pour nos réunions.
Un grand merci aussi toutes les personnes, bénévoles, qui ont participé dans l’activité « Théâtre », à toutes les personnes qui ont prêté leurs objets, bref, à toutes et à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la réussite de cet évènement.
La mairie d’Aubervilliers figure également parmi les organisations à féliciter et à remercier, ainsi que SenegalCity.com et notre partenaire JUMBO qui distribua des dizaines de lots au public tout au long de la soirée. Tout le monde apprécia leur professionnalisme et leur générosité.
Nous ne pouvons oublier les généreux donateurs de la soirée, en l’occurrence Ousmane Bocar Diagana, Boubou Sakho et Gongo Koné qui, en plus de nous avoir honorés de leur présence, ont mis la main à la poche pour soutenir l’association.
Vivement la 4ème édition.