Aperçu historique des premières pérégrinations
Auteur : Mamadou SOUMARE, Docteur en Ethnologie.
"Philippe David remarque qu’ « Après les temps de gloire du Ghana, le pays sarakollé n’offre depuis bien longtemps plus guère d’occasions de se "signifier". Pour les gens de Bakel, le commerce itinérant et l’or offrirent pendant longtemps les seules ouvertures extérieures propices à leur épanouissement psycho-économique. Le contact avec les Français, au XIXe siècle en ajoute une troisième qui est la marine, à voile puis à vapeurs ; l’arachide vint compléter la panoplie des choix offerts » . La dislocation de l’empire du Wagadu a précipité la dispersion du peuple soninké, contraint « d’aller loin à la quête de sa survie ». Nous avons fait référence précédemment à la légende du Wagadu, dans lequel le thème du voyage prend une dimension importante (pérégrinations de l’ancêtre des Soninké, à la recherche d’un lieu d’habitation) confortant l’idée selon laquelle « la migration constitue pour le peuple soninké une donnée de sa personnalité culturelle tout autant qu’une étape dans son histoire déjà millénaire […] » C’est dans ce sens que beaucoup d’écrits font état du goût de l’aventure des voyageurs soninké, qu’il s’agisse des commerçants, des chercheurs d’or ou des travailleurs saisonniers. S’agissant de ces derniers, F. Vergara (1979) rapporte qu’en 1923, selon Saint Père, le cercle de Guidimakha produisait une assez importante quantité de riz qui augmentait d’année en année. Afin de développer la production du riz, Saint Père proposait d’apporter des améliorations aux techniques traditionnelles : « l’usage de machines à décortiquer le riz procurerait certainement une augmentation de la récolte… Il n’est pas impossible qu’en présence de résultats obtenus l’usage de ces appareils ne se généralise ensuite dans la contrée… » L’auteur souligne cependant que « les rêves de Saint Père ne se sont pas matérialisés ». En revanche, « le Guidimakha se spécialisera non pas dans la production de riz mais dans l’exportation de travailleurs émigrés saisonniers vers les zones arachidières du sud du Sénégal » précise-t-il.
Tous ces aventuriers sont animés de la même volonté de réussir économiquement. Par delà le désir de s’enrichir, il faut voir l’action d’un facteur culturel, qui est la peur de perdre la face. Le regard inquisiteur porté par la société sur les migrants, oblige ceux-ci à ne retourner chez eux que lorsqu’ils ont la possibilité de justifier la réussite de leur expédition. D’ailleurs un proverbe soninké traduit le rapport entre la migration et le sentiment de déshonneur lié à la tentative infructueuse du voyage : «Dalla gune ya fasu kalle. Kalle ya fasu yagu » (rester longtemps à l’étranger est meilleur que la mort, et la mort est meilleure que le déshonneur ».