Dans la plupart des civilisations du haut Moyen-Age négro-africain installées sur l’ensemble du continent noir, une organisation politique, socio-économique et culturelle avancée verra le jour. L’ancêtre « fondateur » de ces civilisations antiques étant, sans doute, l’Égypte. Il est vrai que les Égyptiens ne possédaient pas d'historiens qui puissent être comparés à ceux des Grecs et des Romains. Mais il est un fait incontestable : ils ont inventé un mode élaboré d’écriture et leur fabuleuse histoire est gravée partout où il fut possible dans la pierre et reproduite sur les papyrus. Et sont parvenus jusqu’à nous le Papyrus de Turin, les Listes royales, La liste de Karnak, la Table d'Abydos et la Table de Saqqarah, tous supports qui ne livrent cependant d'autres secrets que les noms de souverains avec leur durée de règne, sans nul autre détail. Raison pour laquelle, comme pour le Grand Zimbabwe et l’antériorité de l’industrie de la métallurgie et du fer en Afrique, une polémique soutenue a longtemps opposé bien des égyptologues aux chercheurs africains Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga, qui soutenaient des thèses opposées.
Les premiers défendant le rattachement de la civilisation pharaonique à celles du Proche-Orient antique. Et les deux camps s'accusant réciproquement, de manquer d'objectivité ou de révisionnisme. Il faut dire que pendant longtemps, il ne se trouvait pas un Egyptologue faisant autorité, pour reconnaître l’origine négro-africaine de la civilisation de l’Egypte pharaonique. Alors que pour les scientifiques africains, cette réalité ne laisse aucun doute. A l'appui de leur thèse, ils avançaient comme preuve les représentations des pharaons Narmer, Djeser, Chéops, Thoutmès III, de la reine Tiyi et de son époux Aménophis III ainsi que de leur fils Akhenaton, qui tous étaient selon eux, des Noirs. Comment pouvaient-il en arriver à une telle conclusion ? Un premier élément troublant est que l’étude minutieuse des crânes pré-dynastiques découverts dans le sud égyptien, à Abydos et à Hou, dévoile une origine typiquement négroïde.
Des découvertes récentes d'effigies égyptiennes confirment aussi la présence de Noirs dans toutes les couches sociales de ce pays. Force est aussi de constater que la plupart des grands musées occidentaux regorgent de ces « témoignages » sous forme d’objets façonnés par les Égyptiens. Lesquels se qualifiaient eux-mêmes selon Cheikh Anta Diop de Khem, c’est-à-dire Noirs. Au nombre de ces témoignages, la statuette de bronze du roi Taharqa, du musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, la statue de Thoutmès III, du British Muséum ou encore celle dite du « brasseur », du Musée d'Hildesheim, toutes révélant des traits négroïdes. Les chercheurs africains tenaient également pour fait établi que les ethnies Malinké et Soninké étaient originaires de la vallée du Nil. Il est vrai que les plus anciennes divinités de l’Égypte antique (l’Ibis, l’Oryx, le Faucon, le dieu Bès et le Sphinx) sont toujours célébrées en Afrique de l’Ouest, notamment dans l’actuelle République du Mali où il existe des masques et des statuettes les représentant. Quant à l’étude linguistique comparative réalisée par le pr. Cheikh Anta Diop, elle révèle selon l’auteur, une parenté incontestable entre l’ancienne langue égyptienne, du moins ce qu’en révèlent les hiéroglyphes et certaines langues actuelles négro-africaines, comme le Wolof du Sénégal ou encore le Peul (usé par un peuple nomade africain), entre autres. Une telle parenté culturelle affirme le chercheur africain, se retrouve aussi bien dans la langue que dans l'art des Dogons et des Bozos du Mali, des Baoulés de la Côte d'Ivoire et des Mendés de la Sierra Léone, de même que dans les pratiques religieuses des Yoroubas et des Saras. Usant de procédés scientifiques modernes, le pr. Cheikh Anta Diop a procédé à l’analyse d’échantillons de peau de momies égyptiennes. Grâce aux rayons ultraviolets, il affirme avoir pu déterminer leur teneur en mélanine (élément de pigmentation) : toutes, selon lui, « se sont révélées noires de l'espèce de tous les Noirs que nous connaissons aujourd'hui.» Aussi, dans le cadre d’un projet de rédaction d'une Histoire générale de l'Afrique, et sans doute pour confronter les points de vue et clore le débat, l'UNESCO sollicitait en 1970 le concours de nombreux chercheurs dont le Pr Cheik Anta Diop. Un colloque intitulé « Le peuplement de l'Égypte ancienne et le déchiffrement de l'écriture méroïtique » se tint au Caire du 28 janvier au 3 février 1974. Il rassemblait une vingtaine de spécialistes des pays suivants : Allemagne, Canada, Congo, Égypte, Finlande, France, Malte, Sénégal, Soudan, Suède et Etats-Unis d’Amérique. A la fin des travaux, au contraire des partisans de thèses qui privilégiaient l’analyse de momies de pharaons d’origine étrangère (libyennes, grecques, ptolémaïques), il fut établi, que pendant des millénaires, l'Égypte n'était pas habitée par un peuple sémitique et méditerranéen, comme c’est le cas de nos jours. Son peuplement était bel et bien négro-africain. Lors de ce colloque, il fut également reconnu, que pour la langue et sur le plan culturel en général, l'Egypte pharaonique appartenait à l'univers négro-africain. Ce que confirme aussi l'égyptologue Serge Sauneron, spécialiste de la langue égyptienne, initiateur de la réédition du Catalogue de la fonte hiéroglyphique de l'imprimerie de l'Institut Français d'Archéologie Orientale (IFAO.) Ce chercheur qui fait autorité sur la question, reconnaît que l'égyptien ancien n'est pas apparenté aux langues sémitiques. Une telle conclusion, ne permit toutefois pas, de clore le débat qui est resté dans l'impasse. Puisque la polémique continue de faire rage. Nous reconnaissons aussi, avoir été troublé par l’activisme intellectuel des tenants de la thèse de Cheikh Anta Diop. A savoir si leur démarche ne ressemblait pas à ce que F. Nietzsche appelait : « une tentative de se donner, comme à posteriori, un passé dont on voudrait être issu par opposition à celui dont on est vraiment issu. » Autrement dit, serait-ce encore l’une de ces approches engagées et « victimisantes » dans le style « l’Afrique merveilleuse, mère de l’Égypte noire, ancêtre de toutes les civilisations, mais dont l'héritage aurait été volé par les Blancs… » Bref, le genre de mythologie thérapeutique dont usent certains pour se hausser, se donner une plus grande fierté de soi-même. Aussi nous sommes-nous demandé, si dans l’élaboration de la thèse de Cheikh Anta Diop, les règles les plus élémentaires de la rigueur méthodologique avaient réellement été respectées. Le sujet aiguisait notre curiosité et n’en suscitait pas moins quelques réserves, après que Cheikh Anta Diop nous avait fait parvenir personnellement son ouvrage « Civilisations ou barbarie. »
L’Afrique, berceau de l’humanité, comme nous l’avons exposé, est une réalité paléontologique et anthropologique indéniable. Mais de là à en faire un dogme universel et fourre-tout, il y a des limites qu’il faut se garder de franchir trop vite. Selon Cheikh Anta Diop les Egyptiens se qualifiaient eux-mêmes de Khem (Noirs) et appelaient leur pays « Khémit. » En fait à ce stade de notre réflexion, nous n’avions aucune preuve attestant que ces qualificatifs furent adoptés à cause du limon noir du Nil ou à cause de la population égyptienne qui était noire. Un doute davantage légitimé par certains documents (établis par des préhistoriens), qui attestent de l’existence, dans la région du Nil, d’une population se rattachant au groupe chamitique proche des Berbères, des Somalis et des Gallas. Ces écrits évoquent aussi l’arrivée en Égypte d’étrangers d’origine sémitique qui se seraient mêlés à cette population, vague d’immigration venue (via la mer Rouge) de la péninsule arabique, selon certaines hypothèses ou encore de la Syrie via le désert palestino-sinaïtique, selon d’autres. La fusion de ces deux groupes ethniques, selon les tenants de cette thèse, serait à l’origine de la formation du peuple égyptien. En revanche nous savons avec certitude que l’Égypte antique fut envahie par les Hyksos, peuplade « barbare » d’origine sémitique ou asiatique surgie du Proche et Moyen Orient ou d’ailleurs. Ces Hyksos réussirent à atteindre la vallée du Nil par l'Isthme de Suez. Ils jouissaient d'une grande supériorité technique et militaire grâce à leurs armes de bronze et se servaient bien avant les Egyptiens, de chars de combat attelés. Egalement en 525 avant notre ère, les Perses conquièrent l’Egypte avec Cambyse, puis avec Artaxerxés (343 avant notre ère.) Alexandre de Macédoine quant à lui, y fera une entrée triomphale en 332 avant notre ère, chassant les Perses avant d’y être couronné. À la mort du conquérant grec, l’un de ses généraux, Lagos, gouvernera l'Égypte. Ptolémée, fils bâtard de Philippe de Macédoine, y fonda la dynastie du même nom, établissant sa capitale à Alexandrie. Enfin déjà dix neuf siècles avant notre ère, était érigée par Sésostris III, une stèle qui portait cette inscription :
Frontière sud, stèle élevée en l'an VIII, sous le règne de Sésostris III, roi de Haute et de Basse-Egypte, qui vit depuis toujours et pour l'éternité. La traversée de cette frontière par terre ou par eau, en barque ou avec des troupeaux est interdite à tout noir, à la seule exception de ceux qui désirent la franchir pour vendre ou acheter dans quelque comptoir. Ces derniers seront traités de façon hospitalière, mais il est à jamais interdit à tout noir, dans tous les cas, de descendre le fleuve en barque au-delà de Heh.
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