Fils d’un Sénégalais installé en France, ce passionné de bande dessinée a créé Ki-oon, premier éditeur indépendant de mangas en France. Et, oui, il parle japonais !
Septembre 2010. Parc des expositions de la porte de Versailles. Toutes les galaxies se sont donné rendez-vous au salon Paris Manga (dont la prochaine édition aura lieu les 5 et 6 février au même endroit). Dans ce hangar grouillant de monde, on croise des anges aux cheveux mauves et des guerriers interstellaires armés de cosmo dragoons, « l’arme la plus puissante de l’univers ».
Au cœur de cette animation, Ahmed Agne, très à l’aise, partage son stand avec quelques humains et une étrange créature aux oreilles pointues. « C’est un elfe », glisse-t-il. Gare à celui qui prendrait ce grand garçon de 34 ans pour un ado attardé : l’enfant de la « génération Club Dorothée » est aussi un homme d’affaires avisé. Ki-oon, la maison d’éditions qu’il a créée avec son amie Cécile Pournin, distribue en France des mangas pur jus depuis 2003. En six ans, l’entreprise s’est hissée au premier rang des éditeurs indépendants de mangas.
Pourtant, petit, il voulait être archéologue ! Fils d’ouvrier pour qui la « bibliothèque municipale était presque une sortie », il rêvait de devenir un Indiana Jones des temps modernes. « Pour mon père, peu importait les études. L’essentiel était d’aller le plus loin possible. » Peul du Sénégal, émigré en France en 1967, le paternel est mécanicien dans une concession automobile. Pour lui, la réussite passe par l’ouverture d’esprit et il a à cœur de sortir ses enfants d’une banlieue où les loyers sont abordables, mais l’environnement peu favorable aux études. Le collège, ce sera celui de Fontenay-le-Fleury, où Ahmed pourra apprendre l’arabe. Ses ambitions archéologiques s’éteindront avec l’ennui que lui inspire le programme d’histoire de première : « Les deux grandes guerres du XXe siècle et la révolution industrielle, étudiées cette année-là, c’était moins glamour que Toutankhamon et les Mayas ! »
En 1995, après le bac, Ahmed Agne se sent irrésistiblement attiré par le Japon. L’intérêt qu’il portait aux mangas s’est mué en passion. Il écoute les génériques des dessins animés en japonais, achète ses mangas en VO et s’amuse à décoder seul les caractères de la langue. S’inscrire en fac de japonais coule de source. Lorsque, deux ans plus tard, il pose pour la première fois le pied au pays du Soleil-Levant, Ahmed Agne est conquis. À Kanazawa, il a l’impression de rêver éveillé : « Tout ce que j’avais découvert dans les mangas et appris à la fac, je le voyais ! Je parlais japonais à de vrais Japonais, s’enthousiasme-t-il encore.Un mois , ça ne me suffirait pas. Je voulais revenir et vivre le Japon, pas comme un touriste qui fait un tour et puis s’en va. »
En 1999, profitant d’un programme d’échange universitaire, il s’installe pour deux ans à Misasa, dans le département du Tottori, à 250 km d’Hiroshima. Le département est l’un des moins peuplés du Japon, et les seuls Noirs que les habitants aient jamais vus c’est à la télévision. Agne se souvient – hilare – de son premier trajet en bus, seul. Le chauffeur, stupéfait de voir un Noir à la station, ne s’est pas arrêté. « Il était tellement en panique, que son premier réflexe a été d’accélérer ! » Son séjour ne lui laisse pourtant que de bons souvenirs : « Les Japonais sont très curieux de ce qui se passe ailleurs. Mais aussi très timides. Alors, de temps en temps, ils boivent pour se désinhiber. » Comment se faire accepter lorsqu’on est musulman et que l’on ne boit pas d’alcool ? « En leur montrant que l’on peut rire et faire rire sans boire une seule goutte d’alcool ! »
L’expérience est si réussie qu’Agne est persuadé que son retour en France, en 2001, se fera sans problème. Las ! Son dossier « béton », garni de lettres de recommandation enthousiastes et d’un CV en deux langues ne suffit pas à lui ouvrir des portes. « Les seules fois où l’on m’a répondu, c’était pour me demander si j’étais sûr de parler japonais et éventuellement de le prouver en envoyant une autre lettre de motivation… C’était à la fois déprimant et humiliant. » Suit une période de vaches maigres durant laquelle il donne des cours, traduit des jeux vidéo, travaille dans une entreprise de production japonaise en France. « J’y suis resté un an et demi. Cela me plaisait énormément, mais les mangas, c’est devenu obsessionnel. » Pourquoi ne pas se lancer dans l’édition, même si le marché est très concurrentiel ? Lorsqu’il en parle à Cécile Pournin, son amie de fac qui a elle aussi séjourné au Japon et qui s’échine à faire des traductions, les deux jeunes gens n’hésitent guère. « Je n’avais pas un kopeck. Cécile avait un peu d’argent. On a créé Ki-oon. »
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Source : jeuneafrique.com