Il faut d'abord écouter les pays du Sud. Non pas leurs dirigeants, mais les citoyens des pays pauvres, qui peuvent rendre compte mieux que quiconque des ravages du système tel qu'il existe, des dégâts de la mondialisation, ou de ceux de la «Françafrique». Pour l'instant, il n'y a pas de véritable débat contradictoire en Afrique sur les relations Nord-Sud. Seuls les dirigeants africains acquis au dogme néolibéral sont invités au sommet du G 8. Ils érigent le discours tenu par leurs «partenaires» en solutions de sortie de crise avec l'aide d'une pléthore d'experts et de diplomates qui, persuadés d'œuvrer pour le bien de l'Afrique, nous expliquent, en gros, que les économies du Sud doivent être gérées selon la logique marchande prévalant au Nord. Chacun sait bien, pourtant, qu'on ne joue pas à armes égales avec les pays riches et industrialisés.
La coopération est pervertie - et l'est de plus en plus - par la logique du profit. Voilà le problème de fond. Quand Jacques Chirac voyage en Afrique, c'est avec une délégation du patronat français. Par le passé, la coopération faisait davantage pour l'éducation. Aujourd'hui, les pays riches qui aident les pays pauvres misent sur des retours sur investissement rapides et juteux pour les multinationales. Actuellement, l'idée dominante est que l'investisseur étranger fait mieux que l'Etat. Nos destins nous échappent. Nos enfants, privés d'éducation et de perspectives d'avenir dans leur pays, émigrent. C'est dans l'humain qu'il faut investir, en particulier dans l'éducation, pour renverser cette tendance.
Il est grand temps qu'un organisme indépendant fasse une évaluation rigoureuse, afin que l'on sache qui gagne et qui perd. Il faut mesurer les conséquences des privatisations des services publics et des entreprises stratégiques, qui sont souvent bradées. Au Mali, le FMI et la Banque mondiale poussent à la privatisation du secteur cotonnier. Une société qui vaut 100 millions d'euros peut être cédée 10 fois moins cher et les coûts sociaux et politiques sont ignorés. Il aurait mieux valu prendre le temps de réhabiliter la plupart de ces entreprises.
En ce qui concerne les matières premières - pétrole, cacao, coton... - on ne dira jamais assez l'importance de la création de la valeur ajoutée au niveau local. A condition, bien sûr, que nous consommions une partie de ce que nous produisons et que les marchés du Nord soient moins protectionnistes. Enfin, la priorité des priorités est l'annulation de la dette qui hypothèque l'avenir des pays du Sud. George Bush le sait, puisqu'il plaide en ce sens pour l'Irak. Ce raisonnement vaut aussi pour les autres pays du monde...
Aminata Traoré, ex-ministre de la Culture et du Tourisme du Mali
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