Avec l’avènement de la radio Soninkara.com, le mot « tabou » commence à perdre son sens dans le monde Soninke. Les Soninke de France et de Navarre devisent tous les Dimanche à partir de 21 Heures (heure de France) sur des thèmes sérieux, jadis rangés dans la corbeille « Confidentiel ». Chaque Dimanche, dans l’émission « Leminaxu Béra : la voix des jeunes Soninke », un sujet saillant fait l’objet de décryptage. Ainsi, hier soir pour ne pas dire le 10/04/2015, nous avons traité l’épineuse question des aides sociales dans les familles Soninke. Quelles sont-elles ? Comment doit-on les utiliser ? Que dire des parents qui les utilisent à des fins personnelles ? Sont-elles vraiment conséquentes de nos jours pour susciter autant de polémique dans les familles ?
De prime abord, il faut rappeler que le sujet touchant les allocations familiales a toujours fait débat dans les familles Soninke. La chanteuse Bintou Soukho, choriste de Feu Diaby Doua Camara, avait déjà alerté sur les conflits que les allocations familiales créaient dans les familles «Maraka » (terme Bambara). On comprend alors aisément que la destination des aides sociales a toujours été source de zizanie dans les couples Soninké. La question centrale était de qui du père ou de la mère doit-il garder ces sommes allouées pour l’entretien des enfants ?
Les pères de famille, sous tension financière, épargnaient cet argent pour leurs besoins personnels. Si les uns profitaient de cet argent pour se construire une maison au pays. D’autres utilisaient cet argent pour entretenir leur deuxième famille (Dakar, village…). Les plus téméraires se constituaient une épargne pour convoler en secondes noces. Les femmes au foyer, inactives, se rebellaient souvent en se déclarant bénéficiaires légales de ces rentrées d’argent.
Dans la culture Soninke, l’entretien de la femme dans tous les sens du terme incombe à l’homme. Si ce dernier ne s’attèle pas à cette tâche, la femme pense naturellement être dans son plein droit de lui réclamer les allocations familiales en guise de revenus. Ainsi, de divergence en divergence, les conflits s’installent. Les problèmes se démultiplient. Conseillés de part et d’autre par un ami ‘indélicat ou une copine « hypocrite », l’homme et la femme pensent, chacun de son coté, être la personne la mieux appropriée pour s’emparer de ce butin. Ces situations amènent inexorablement au divorce.
Aujourd’hui, notre objectif n’est pas de relater ces faits. Nos parents de la première génération avaient leurs logiques qui découlaient de leur modèle de vie calqué sur l’Afrique. L’homme est le chef de famille. Il était le pourvoyeur de devises de la maison donc la gestion de la bourse lui revenait naturellement. De nos jours, les choses ont changé. Le couple Soninké n’obéit plus aux mêmes logiques culturelles d’autrefois. Les femmes d’hier, venues essentiellement du pays par le biais du regroupement familial, prêtaient serment d’allégeance aux maris. Ne dit-on pas chez nous : « L’homme qui t’a amené en France en t’extirpant des difficiles conditions de vie du pays (puiser l’eau, culture des champs, grande cuisine à tour de rôle, grand ménage), tu ne peux le payer ». Une façon de mettre en garde ces femmes venues du pays contre tout esprit de rébellion. De plus, notre culture impose un respect total au mari pour ne pas dire une totale soumission. L’homme propose, la femme dispose, serons-nous tentés de dire ! Ce n’est point le cas de leurs filles nées en terre d’immigration, plus indépendantes et entreprenantes. Ce proverbe susmentionné provoquerait même l’hilarité générale de nos jours.
La société Soninke a opéré une mue. Beaucoup ne sont plus des « hommes » à l’image de nos pères. D’ailleurs, les filles d’aujourd’hui, ne se font guère prier pour le faire savoir à tout homme qui tente d’ôter son pantalon pour le pagne. Aujourd’hui, les femmes travaillent. Elles sont nombreuses à être les seules pourvoyeuses d’euros du couple. Elles sont des amazones. Elles ne demandent aucun euro à un mari. Elles paient des charges et se gèrent financièrement. Certaines filles, mariées à des frères et cousins sans papiers, furent pendant plusieurs années les « entreteneuses » des maisons Soninké avant l’employabilité du mari. Mieux, elles connaissent tous les rouages du système français. Elles maitrisent parfaitement le rayon des aides sociales Elles ont été témoins oculaires de l’inégale répartition des aides sociales pendant toute leur enfance. Vont-elles accepter de subir une nouvelle « carotte des aides sociales » ? La question vaut son pesant d’or. Nous tenterons d’y répondre au fil de notre analyse.
Les aides peuvent être de plusieurs formes. Les plus connues sont les allocations familiales. Elles sont versées à partir de deux enfants. Pour chaque enfant du couple, l’Etat verse une aide pour participer à son entretien. Il n’y avait pas de système de plafonds. Jusqu’en 2015, la CAF allouait des sommes selon la composition du foyer sans prendre en compte les revenus du couple. La famille qui avait un seul enfant bénéficiait de la PAGE (Prestation d’accueil du jeune enfant).
En plus des allocations familiales, on peut citer d’autres aides comme l’allocation rentrée scolaire, la prime de Noël, les primes de naissance, les chèques vacances, les chèques culture… On peut aussi incorporer les APL (Aide personnalisée au logement) qui est une autre façon de donner du pouvoir d’achat à la famille.
Ces aides sont très souvent détournées de leurs principales destinations. Certains jeunes parents les utilisent à des fins personnelles. On caricature très souvent les situations. Les uns disent que des femmes utilisent ces sommes d’argent et autres avantages en nature pour s’acheter des mèches brésiliennes, des parures en or, des « bazins » riches… D’autres femmes ne se gênent point d’investir cet argent dans des tontines et dans les « tours » entre copines ou proches. Quant aux hommes, on les accuse de convoler en secondes noces s’ils ne mettent pas cet argent dans leurs diverses entreprises de construction.
Nos auditeurs sont unanimes. Ces aides doivent être utiles à la famille, principalement aux enfants.Dans un premier temps, ces sommes d’argent doivent servir de moyen pour alimenter et vêtir la progéniture. Les enfants Soninke ne doivent plus aller dans les écoles avec des habits déchirés parce que l’allocation a été investie à d’autres fins utiles. Ils doivent plus fouler le sol des écoles avec des chaussures usées. Ils ne doivent non plus se pointer à l’école, les ventres vides, les yeux rivés sur le goûter du petit voisin. Les parents Soninke doivent savoir que l’argent alloué sert à entretenir les enfants. Ils ne doivent souffrir d’aucun complexe d’infériorité. Chaque parent doit s’atteler à cette tâche. Ces sommes d’argent sont les droits de l’enfant. Elles doivent être réinvesties dans leurs besoins primaires et secondaires. Les autres aides comme les chèques vacances doivent contribuer à l’épanouissement des enfants. Elles peuvent permettre aux parents d’envoyer en vacances leurs jeunes enfants au pays afin de découvrir le pays de leurs ancêtres. Si les sommes d’argent ne le permettent pas, les enfants peuvent voyager dans la France ou dans l’Europe avec père ou mère voire les deux le temps d’un week-end ou d’une semaine afin de découvrir autre chose. Ne dit-on pas que le voyage instruit ? A côté de ce grand loisir, les aides sociales doivent permettre aux parents de faire profiter les enfants d’autres loisirs : cinéma, zoo, aquarium, foires…
Toutefois, force est de reconnaitre que les aides sociales s’amenuisent de nos jours. Plusieurs parents Soninke n’en bénéficient pas. Adossées aux revenus du couple, certains parents Soninke, proches de la « classe moyenne à la française », ces aides (APL, Allocation familiale…) ne profitent pas à tous. Beaucoup de parents Soninke subissent de plein fouet la récession des aides familiales. Ils ne peuvent compter que sur leurs salaires pour nourrir deux familles (France et Afrique). Ils sont acculés financièrement. Ils paient tout cher : cantine, crèche, centre de loisirs, spécialistes. Les aides sont très minimes par rapport aux charges mensuelles effectuées pour les enfants. Dans ce cas, on ne peut parler de détournement des aides sociales car l’entretien des enfants engloutit une part importante de leurs revenus. Ces parents peuvent naturellement être fiers de leurs actes.
Samba KOITA dit Makalou, Soninkara.com