« Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise » a-t-on l’habitude de dire. Ce dicton est très valable dans le monde Soninke. Les Soninké sont à cheval sur plusieurs pays à savoir le Mali, le Sénégal, la Mauritanie et la Gambie. Wagadou fût leur berceau avant sa dislocation due à la malédiction du serpent. Donc, quel que soit le nom de famille, le lieu de naissance, la contrée d’origine des parents, un Soninké est avant tout Soninké avant d’avoir une nationalité propre. Les Soninké le savent bien et ne cessent de le clamer haut et fort. Ainsi, dès qu’ils rencontrent un des leurs, ils s’empressent de le situer géographiquement en lui demandant sa région Soninké d’origine. Le terroir Soninké est divisé en régions.
Au Sénégal, ils sont dans le Gajaaga, le Hayré. En Mauritanie, ils sont dans le Hayré, le Guidimakha. Au Mali, on les trouve dans le Gajaaga, le Guidimakha, le Diafounou, le Guidimé, le Khaniaga, le Kaarta, le Bahounou, le Lambidou, le Soroma…Ces régions sont très importantes dans la conscience collective Soninké. Elles constituent une passerelle vers le cousinage à plaisanterie qui est une richesse de la culture Soninké. Malgré qu’elle soit située hors d’Afrique, l’ile de France (Paris et ses départements) fait office d’une énième région Soninké dans le monde. Elle concentre une grande partie de la diaspora Soninke. Peuple solidaire, courageux, travailleur et soudé… dit-on du peuple Soninké. En France, la communauté Soninké est très visible. Depuis des décennies, des familles Soninké vivent en France et restent fortement attachées aux valeurs de Soninkara. Les valeurs de solidarité, de partage et d’entraide sont largement partagées dans la diaspora. Dans les foyers, les Soninké vivent ensemble en harmonie. Dans une même chambre, on peut trouver des Soninke de diverses régions Soninke. A titre d’exemple, mes oncles Bakélois (Bakel/Sénégal) ont toujours vécu dans le 13ème arrondissement avec les gens de Tambakhara de Diafounou (Mali). Des générations se sont succédées en cultivant la même complicité. Il en est de même avec des Soninke de Kimkharé et de Gory dans ce foyer parisien. Ils appliquent parfaitement les règles du vivre ensemble. Des amitiés naissent et résistent au temps. C’est le cas dans les cités et les quartiers à forte concentration Soninke. Des complicités se créent dans le voisinage proche au nom du Soninkaxu. Soninke du Mali, du Sénégal, de la Mauritanie, de la Gambie vivent en parfaite symbiose. Les preuves de cette solidarité entre Soninke sont visibles tous les jours lors d’évènements heureux et malheureux. A titre d’exemple, lors d’un mariage ou d’un décès, les voisins s’épaulent, mettent à disposition leurs appartements pour les visiteurs. Le monde associatif n’est pas en reste. L’association Soninkara.com, gestionnaire du site Soninké du même nom et de la web radio Soninke regorge en son sein des Soninke de toutes les contrées. Ses membres travaillent pour le rayonnement de la langue et de la culture Soninke depuis des décennies. D’autres associations comme l’APS, Guidimakha Danka (association pour la promotion de la culture Soninke) lui emboitent le pas. Les jeunes Soninke affichent leur fierté d’être issus de cette communauté. Ils le font à chaque fois que l’occasion leur est donnée. Des élections Miss Soninké, des journées culturelles de villages ou d’un ensemble de villages constituent des preuves de l’attachement des Soninke au Soninkaxu.
Aujourd’hui, dans l’immigration, les Soninke trainent par contre plusieurs tares. Tous les défauts du Soninke se révèlent au grand jour dès qu’on parle de mariage. Les jeunes Soninke éprouvent plusieurs difficultés au moment du choix du prétendant ou de la prétendante. Les jeunes proposent, les parents disposent. Si l’histoire des castes constitue un vrai casse-tête pour les jeunes au moment du choix, un autre obstacle et non des moindres se dresse également comme une vraie entrave aux fiançailles. Il s’agit tout simplement du « chauvinisme » mal placé des parents qui imposent à leurs filles ou fils de « ramener » que des Soninke de la même contrée d’origine.
Sénégalais, Maliens, Mauritaniens, Gambiens oublient leur « Soninkaxu » dès que leur fils ou leur fille manifeste une volonté de convoler en noces avec un (e) Soninke d’une autre contrée. Une campagne de diabolisation d’une rare violence prend souvent forme. Si le prétendant de la fille sénégalaise est malien ou mauritanien voire gambien, des critiques fusent. Il en est de même pour une fille malienne qui souhaite s’unir avec un Soninke de la Mauritanie ou de la Gambie. Les parents oublient qu’avant d’être malien, Sénégalais, mauritanien, le prétendant est d’abord Soninke. Il parle la même langue qu’eux et partage le même registre culturel. Plusieurs jeunes Soninke ont vu leur « amour » de jeunesse leur filer entre les doigts. Des jeunes ont perdu « l’homme de leur vie » ou la « femme de leur life » à cause de ce « chauvinisme à la Soninke ». Cette propension des parents Soninke à préférer un jeune homme ou une jeune femme de la même contrée qu’eux pour belle fille ou beau-fils constitue une épée de Damoclès pour les jeunes Soninke au moment de s’unir.
Le refus des parents s’explique par diverses raisons. D’abord, il s’agit d’une certaine peur nourrie depuis des siècles. Le « Toughanrankaxu » (étranger) a longtemps fait peur aux Soninke. En effet, le Soninke a toujours eu du mal à donner sa fille à un homme d’une autre contrée Soninke. La distance faisait peur. Dans la conscience collective Soninke, marier sa fille loin de son village s’apparente à du sacrifice. C’est un sentiment d’abandon. On pense à tous les scénarios catastrophiques. La solitude sera sa compagnonne. Elle sera sans défense et sans soutien et fera l’objet de maltraitances. Souvent, même quand les villages étaient distants de quelques dizaines de kilomètres, les cœurs des parents n’étaient pas très chauds à marier leurs filles. Les quelques rares cas de mariage inter villages leur donnaient souvent raison. Beaucoup de jeunes mariées vivaient le martyr dans certains villages. Elles devaient faire le double ou le triple des « filles locales » pour se faire accepter. On leur crachait toujours leur condition de « femme étrangère ». Leurs enfants subissaient également les mêmes quolibets. On les renvoyait à leur condition de « fils d’étrangères ». C’est ainsi qu’on entend des vocables comme « Bakéli nka lémé, Diafounanka lémé, Hayranké lémé » ( Fils d'une Bakéloise, d'une Diafounanké, d'une Hayanraké). Seules quelques âmes charitables constituaient pour elles une bouée de sauvetage. Dès fois, ce sont les amis de la famille ou des parents lointains vivant dans cette contrée qui faisaient office de soutien. En somme, se marier dans un village lointain n’avait pas souvent l’assentiment des parents. Ils donnaient leurs filles en mariage dans un autre village que s’ils avaient de bons amis ou de proches parents dans les villages en question. Ces comportements sociaux ont résisté au temps. Conservateurs, beaucoup de parents Soninke croient encore à ces réalités malgré les mutations sociales du monde Soninke.
D’autre part, ces préférences nationales lors des choix de mariage s’expliquent également par les mauvaises expériences vécues par les familles. Après un premier échec de ce type de mariage, les parents ne veulent plus renouveler l’expérience. De ce fait, ils mettent en garde leurs enfants en affichant clairement leur "préférence nationale" en terme de mariage. Une façon de casser dans l’œuf toute rébellion. Exaspérés par l’échec des mariages des leurs ainés avec des filles ou des garçons d’autres contrées Soninke, les parents adoptent une forme de méfiance à l’égard de tout Soninke d’origine différente.
Ces considérations chauvinistes creusent le fossé entre les Soninke du monde. Elles créent des tensions entre les Soninke de diverses contrées. Chez les Soninke, refuser de donner sa fille en mariage est perçu comme un signe de mépris par l’autre camp. Ainsi, l’homme victime de ce type d’agissement nourrit une certaine haine contre tout autre Soninké proche de cette famille. On arrive à détester les Gajagankos parce qu’une famille « Ballounké » ( de Ballou ) a refusé de vous donner la main de leur fille. On détestera tous les Diafounankos si une famille de Tambakhara refusait de vous accorder la main de leur fille. Ces comportements regrettables existent malheureusement dans le monde Soninke. Tout cela concourt à affaiblir la cohésion de Soninkara.
Donc, il est urgent de tirer la sonnette d’alarme. C’est ce qui a motivé l’émission radio du 27/11/2016 dans « Leminaxu Bera », la voix des jeunes Soninke. Il est vrai que beaucoup de parents ont abandonné ce genre de comportements. Ils donnent leurs filles en mariage à tout Soninke sans s’intéresser à sa contrée d’origine. Beaucoup de nos auditeurs ont souligné ce changement de mentalités. Mais, dans l’immigration, des poches de résistance existent. Paris est une des capitales du monde Soninke. On y rencontre les ressortissants de toutes les contrées Soninke du monde. On découvre aisément la cartographie du monde Soninke dans les foyers parisiens. On entend tous les jours le nom d’un village Soninke. C’est une aubaine pour le monde Soninke. Les frontières que les occidentaux avaient créé dans nos pays d’origine n’ont plus de sens à Paris. Dans la capitale française, on est Soninke avant d’être malien, mauritanien ou sénégalais. C’est une richesse incommensurable. Les Soninké du monde doivent se battre pour asseoir plus encore cette cohésion sociale. De tout temps, la femme constitue le moteur du monde. Elle unit des familles, des villages, des régions et des pays. Quand une fille se marie dans un village quelconque, elle créé naturellement des liens de fraternité, d’amour entre son village d’origine et le village de son mari. Ses futurs enfants deviennent des ambassadeurs qui adoucissent naturellement les relations entre les deux univers. Ces mariages entre Soninke de contrées différentes doivent être encouragés. Ils permettent de raffermir les liens du monde Soninke. C’est une façon de vivifier la langue et la culture Soninke. Refuser ces mariages au nom de considérations chauvinistes n'a aucun sens de nos jours car les distances qui constituaient, hier, une raison n'existent plus. L'immigration a rapproché les Soninké. Aujourd'hui, nos voisins en France sont de toutes contrées. Ils partagent nos joies et nos peines. Nous les fréquentons plus que nos frères de sang et de lait. L'heure est venue de taire nos differences pour l'amour du Soninkaxu.
Samba Fodé KOITA dit Makalou, Soninkara.com