Soumpo, Diokhé, Singalé, Sindiké, Kémé, Diogoda, Kathiou, Bambouré, Yougoukhassé… autant de prénoms Soninké qui déclenchent une hilarité générale chez les jeunes Soninké de nos jours. Porter ces prénoms devient lourd de conséquences actuellement. La jeune génération a du mal à adopter ces prénoms qui obéissaient à des logiques d’autres temps. Ainsi, quand on évoque le sujet des prénoms, deux générations s’affrontent chez les Soninké. Deux points de vue s’entrechoquent : les conservateurs et les progressistes.
Dans l’immigration Soninke, attribuer un prénom à un bébé est devenu un casse-tête chinois. Mari et femme se chamaillent sur le choix des prénoms et leur ordre dans l’état civil. Les parents s’en mêlent. La fratrie y met son grain de sel. On ne sait plus à quel saint esprit se vouer. Le sujet est devenu problématique dans le monde Soninke. L’émission Leminaxu Béra, la voix des jeunes Soninke de la radio Soninkara.com en a fait sien ce Dimanche 1 Mai 2016. L’idée était d’éclairer la lanterne des auditeurs sur la logique des prénoms Soninké et leur usage mais également de jeter un regard critique et non de critique sur les prénoms « stylés » adoptés par la jeune génération.
Autrefois, les Soninke avaient un ordre préétabli pour nommer leur progéniture. Chez les garçons, l’ainé s’appelait automatiquement Mamadou. Le cadet avait pour nom Samba. Le troisième garçon de la famille se nommait Demba. Pathé et Yoro suivaient. Au féminin, l’ainée prend le prénom de Sira, la seconde fille Khoumba ( Diambéré ). La troisième fille s’appelait Fenda. La quatrième prenait le prénom de Tacko. Dado signifie la cinquième fille. Ces prénoms ont toujours eu la côte chez les Soninké.
Quand une femme donnait naissance à des jumeaux. Les prénoms Lassana et Fousseynou s’imposaient. Si la naissance concerne des jumelles. Elles prennent les prénoms de Hawa et Adama. L’enfant qui suit les jumeaux hérite du prénom mixte de Sadio.
Cet ordre préétabli changeait souvent. Quand les parents souhaitaient immortaliser leurs ascendants, ils ne suivaient plus cette logique. Ainsi, arrive le système d’homonymie. On donne alors le prénom de sa mère, de son père à son enfant. Certains préféraient également donner le prénom de leurs grands-parents, leurs frères et sœurs à leurs enfants. Ce système d’homonymie est très important chez les Soninké. Il s’impose dans plusieurs cas surtout quand on a perdu très tôt un membre de sa famille. On donnait son prénom à l’enfant qui naissait dans la même période pour l’immortaliser. L’ordre n’avait plus d’importance.
Toutefois, il convient de souligner qu’à côté de ces prénoms typiquement Soninké, on donnait en général un deuxième prénom tiré du coran à l’enfant. Beaucoup d’enfants Soninké ont plus d’un prénom : Le prénom tiré du coran et souvent un prénom d’un prophète ou d’un compagnon du prophète. Les prénoms suivants : Malamine ( Mohamed ), Soumaïla ( Ismaél ), Khalilou ( Khalil ), Birama ( Ibrahim) , Oumarou ( Omar ), Diafara ( Diafar ), Bouba ( Aboubakr Sidikh ), Djénaba ( Zeynab ), Fatou ( Fatima ), Khady ou Khadiatou ( Khadija ) obéissent à cette logique. Les diverses prononciations selon les accents des régions Soninké ( Diafounou, Kaniaga, Lambidou, Gajaaga, Hayré ) ont fini par altérer la racine exacte de ces prénoms « islamiques ». Ils sont devenus « Soninke » à force de mauvaise prononciation.
A côté de ces prénoms, il existe plusieurs prénoms Soninké qui évoquent un évènement dans la conscience collective Soninké. Ainsi, quand on entend Wagui ou Sokhané, cela nous renseigne du statut d’orphelin de l’enfant. Le prénom Wagui est donné au garçon dont le père est décédé pendant la grossesse de sa mère. Quant à Sokhané, c’est la fille dont le père est décédé pendant la grossesse de sa mère. D’autres prénoms évoquent des difficultés de conception de la mère. Quand une femme faisait plusieurs fausses couches, on conseillait aux parents de donner un prénom insolite pour conjurer le mauvais sort. C’est une tradition Soninké qui avait la peau dure mais qui devient inconcevable de nos jours. Ceci explique tous les prénoms insolites qui font rire la jeune génération. Les prénoms comme Sédifo ( A jetter ), Sindiké ( Poubelle ), Kémé ( 500 FCFA ), Singalé, Nangalé ( enclos ), Soumpo ( Nombril ), Diokhé ( toilettes ), Diogoda ( tige )… entraient dans cette logique de conjuration du mauvais sort voire du mauvais œil.
Dans certaines familles, la fille ainée prend automatiquement comme prénom le nom de famille. Ainsi, chez les Sakho, l’ainée de la famille s’appellera SAKHO. Chez les KOITA, l’ainée de la famille aura pour prénom KOITA. On retrouve ce système dans plusieurs familles Soninké comme les Cissé, les Bathily…Dans la même veine, certains prénoms ont des signifcations terre à terre. Bakhoré veut dire « Grand oncle », Balémé ( petit oncle ) Kissima ( Grand-père ), Baba ( Père), ma ( maman ), Kawou ( tonton ), Bayi ( tante ), Mama ( grand-mère ), Tata ( grand-frère)… Ces appellations sont devenues des prénoms à part entière par le système d’homonymie.
Aujourd’hui, la réalité est toute autre. Les jeunes couples Soninke adoptent de plus en plus des prénoms inconnus du commun des Soninké. Selon plusieurs jeunes Soninké, ces prénoms sont tout simplement des prénoms tirés du coran. Ainsi, ils prônent le primat des prénoms « islamiques » sur les prénoms « Soninké ». De ce fait, les prénoms « Soninke » deviennent ringards pour les jeunes de nos jours. De plus, pour plusieurs jeunes Soninké, certains prénoms Soninké sont difficiles à porter pour un enfant. C’est le cas de Diogoda, Kathiou, Sédifo, Singalé. Les interventions de Kathiou Niakhaté et Hawa Sylla constituent une parfaite illustration. Kathiou qui veut dire « fil » est un prénom insolite que la jeune génération récuse. Selon Kathiou, ce prénom lui a causé plusieurs railleries au sein de sa famille et ailleurs comme dans les préfectures. Plusieurs Soninké ricanent à l’évocation de son prénom. Hawa Sylla embouche la même trompette. Le prénom d’une de ses sœurs « Diogoda » est lourde à porter de nos jours. Le prénom de sa sœur déclenche un torrent de railleries. Ceci explique d’un côté pourquoi certains jeunes prennent le contrepied des parents. Ainsi, ils préfèrent donner des prénoms « stylés » comme Kaïs, Zara, Naél que de perpétrer ces prénoms « Soninké ».
Toutefois, tous ces prénoms ne s’expliquent pas par la religion. Si Ayoub s’explique par la religion, un prénom comme Kaïs est difficilement défendable d’un point de vue religieux. L’on est tenté de dire que ce prénom est d’une autre culture étrangère. Donc plusieurs prénoms à la mode aujourd’hui n’obéissent en aucun cas à une logique religieuse. Ce sont des prénoms d’origine orientale pour ne pas dire « arabes ».
Ainsi, il convient de tirer sur la sonnette d’alarme sur l’usage des prénoms d’autres cultures. « Un chinois quand il est musulman peut s’appeler Ibrahima mais jamais Samba », renchérit Tariné Traoré, une animatrice de la radio. Ceci juste pour expliquer que certains prénoms sont universels d’un point de vue religieux. Mais, chaque culture a sa propre tradition. Les maghrébins ont leurs prénoms autres que ceux que l’on retrouve dans le coran. Les indonésiens ont les leurs. D’ailleurs, Kathiou, dont le prénom est insolite de nos jours ne veut nullement jeter l’eau de la bassine avec le bébé. «Je ne compte pas appeler mon enfant Kaïs, Naél… Seulement, je penserai bien au prénom Soninké à donner à mon enfant », dit-elle. On aura compris qu’elle souhaite garder l’originalité des prénoms Soninké. « Seuls les prénoms insolites sont à abandonner », dit-elle. Pour apporter de l’eau à son moulin, ces prénoms que nous tenterons de lister ne souffrent d’aucun complexe : Salimata, Nayé, Diakha, Lala, Diorobo, Foulèye, Diogou, Issima, Manthita, Ramata, Maimouna, Assa…
Pour Sakho, une autre auditrice originaire de Koughany au Sénégal, l’important est de donner les prénoms des parents. C’est plus respectueux que d’aller chercher des prénoms d’autres cultures qui ne s’expliquent pas par la religion.
« Je trouve original le prénom que mon père m’a donné. Sandoulaye, cela ne court pas les rues. Même si cela parait bizarre pour certains, jamais je me sentirai mal à l’aise. Pour moi, tout ce que mon père a fait, c’est de bonne guerre. Mon prénom est celui d’un de ses amis décédés très jeune », dit Diamantaire, un des animateurs de l’émission.
Adopter « mécaniquement » des prénoms autres que Soninké et qui ne peuvent s’expliquer par le coran contribue à la perte de l’identité culturelle Soninké. Dans un monde où la mondialisation nous happe, il convient de faire attention à l’acculturation. Chaque peuple a ses codes et ses traditions. On s’identifie à travers ses us et coutumes. Renoncer aux prénoms Soninké au nom d’un certain « suivisme » à l’occidentale ou à l’orientale relève d’un complexe. Un de nos auditeurs répondant au nom d’Aly Bathily, originaire de Tuabou ( Sénégal ) conseille les jeunes couples à préserver l’identité culturelle Soninké. Les prénoms Soninké renvoient à une histoire, à un passé. A titre d’exemple, le prénom Sia évoque l’histoire du Wagadou qui matérialise la dispersion des Soninké à travers le monde.
En définitive, les jeunes Soninké ont bel et bien le droit de prendre les prénoms qui leur conviennent. Seulement, il faut aussi veiller au maintien de l’héritage culturel Soninke. Nos auditeurs conseillent alors aux Soninké d’adopter deux prénoms pour leur enfant. Un prénom typiquement Soninké par le système d’homonymie ou par le système de l’ordre préétabli et un autre prénom tiré de la religion musulmane. Nos aïeux ont toujours procédé de la sorte. C’est une façon simple de couper la poire en deux. Tout le monde est content à la fin.
Samba KOITA dit Makalou, Soninkara.com