La pandémie du siècle continue de faire des ravages parmi les populations de la onzième région du Sénégal. En effet, à Matam, la convergence de nombreux facteurs favorables, constitue un danger au moment où la région a réduit son taux de prévalence de 2 à 1 %. Matam, comme les autres régions du pays, subit les affres du SIDA. Mais ici, la maladie connaît une ampleur inégalée. Classée parmi les zones les plus touchées dans le pays, la région de Matam a longtemps affiché un taux de prévalence de 2 % au moment où la moyenne nationale était de 1 %. Avec les deux souches du VIH que l’on retrouve dans la région, beaucoup de facteurs se combinent pour en faire une zone très favorable au développement du virus.
Les facteurs qui sont à l’origine de la propagation de la maladie sont, d’après l’assistant social du district de Matam, Mamadou Bâ, liés à la polygamie, qui, au même titre que l’émigration constitue une des principales voies de pénétration de la maladie. A coté, l’importance des migrations nationales, les chantiers ouverts un peu partout, qui favorisent le développement de la prostitution clandestine, qui a fini de s’installer dans certaines villes-carrefours comme Ourossogui. S’y ajoute que les pratiques traditionnelles du levirat et du sororat sont responsables de drames familiaux.
Au sein même de la société, des mutations apparaissent. Car aujourd’hui au Fouta, quand un émigré meurt de maladie, quelle qu’en soit la cause, la veuve est assurée de ne jamais se remarier, car la rumeur publique aura tôt fait d’en faire une probable séropositive. De la même façon, le tatouage des gencives, les scarifications sont autant de pratiques traditionnelles risquées qui sont encore pratiquées en dehors de toute précaution.
Conscients des dangers que représente une large propagation du SIDA, le personnel sanitaire, l’antenne régionale du Comité nationale de lutte contre le SIDA (Cnls) et les associations communautaires se sont données la main pour renforcer la sensibilisation et exhorter les populations à prendre conscience des risques engendrés par ce fléau. Avec 6 cas diagnostiqués en 1986, le Sénégal compte aujourd’hui 80 000 personnes infectées. Ce qui représente, pour le Dr Sambou, du district sanitaire de Matam «un acquis à préserver pour le pays, car au moment ou en Afrique au Sud du Sahara, 3 millions de nouveaux cas sont signalés chaque année, le Sénégal, avec une moyenne de 4 000 nouveaux cas se doit de préserver cet acquis, à défaut de réduire le taux de prévalence». Et la seule façon d’y parvenir, c’est de mettre l’accent sur le dépistage pour permettre une prise en charge précoce des malades et limiter les comportements à risque.
Le drame de la séropositivité
Le combat engagé dans la région de Matam a enregistré des avancées significatives avec la baisse du taux de prévalence, qui est aujourd’hui de 1 %, soit un peu moins de 3 000 personnes atteintes. Cette victoire est à mettre à l’actif des campagnes de sensibilisation faites par le biais des associations communautaires de base. Ainsi, peut-on dire, que dans les endroits les plus reculés du Fouta, les populations ont entendu parler du SIDA et de ses voies de transmission. Mais, affirme M. Bâ, le constat est que «les gens considèrent toujours que c’est une maladie honteuse parce que liée au sexe».
Et, c’est la principale difficulté que rencontrent les personnes vivant avec le VIH. De véritables drames familiaux sont vécus, çà et là, liés à la découverte par l’entourage du statut sérologique d’une personne atteinte. Cela se traduit immanquablement par une stigmatisation de la personne et un abandon de la famille. La situation est pire encore quand la personne atteinte est une femme. Car, elle risque de perdre son mari -même si ce dernier est la source de contamination- et ses enfants. Elle sera également mise au ban de la société.
Ce qui appelle, sans doute, à bien réfléchir avant de s’ouvrir à son entourage, comme ce fut le cas d’une jeune femme suivie au district de Matam. Ayant découvert sa séropositivité, au cours d’une analyse de routine, elle refusera catégoriquement de la révéler à son mari, qui a pourtant plusieurs épouses. De discussions en discussions, elle finira par le révéler à son mari qui, à son tour, refuse tout bonnement de faire le test. C’est une de ces situations que sont appelées à gérer, chaque jour, les deux unités de prise en charges logées à l’hôpital de Ourossogui et au district sanitaire de Matam. Chaque cas de maladie détecté renferme un drame personnel, qui contribue souvent à affaiblir le malade.
Cette année, la célébration de la Journée mondiale de lutte contre le SIDA a eu pour cadre la localité de Bokidiawé à 40 km de Matam. L’Association sénégalaise de défense des consommateurs (Asdec) dont la cellule régionale est dirigée par M. Adama Ndianor, s’est allié au Cnls et au district sanitaire de Matam pour une séance de sensibilisation et d’échanges avec les femmes de Bokidiawé. Une stratégie, qui s’est avérée payante, vu le nombre important de femmes qui ont subi, séance tenante, le test de dépistage. Certes, le SIDA n’est plus perçu comme un monstre hideux dont on parle, à mots couverts, mais le conservatisme, les tabous entourant tout ce qui a trait au sexe dans les sociétés Puular ou Soninké, appelle de la part des organismes de lutte contre le SIDA, des stratégies appropriées, qui prennent en compte les spécificités culturelles et sociologiques des populations et, capables de favoriser une prise de conscience sur ce que l’on présente, désormais, comme une maladie chronique, au même titre que le diabète ou l’asthme.
Par Mame Woury THIOUBOU , Le Qotidien