La Sonatel nous habitue depuis plusieurs années à verser à ses actionnaires l’intégralité de ses bénéfices. Pour l’année 2007, la somme à distribuer atteint plus de 88 milliards de F CFA, dont 42% (soit 37 Milliards FCFA) iront à l’actionnaire principal France Télécom qui n’avait payé que 70 milliards en 1997 pour devenir l’actionnaire de référence de la Sonatel. Elle distribue non seulement l’ensemble de son bénéfice net de l’exercice 2006 mais y ajoute une part prélevée sur les réserves antérieurement constituées.
Si cette pratique est permise par l’OHADA, l’expérience montre qu’elle n’est utilisée en pratique que par les entreprises dont le bénéfice est faible pour permettre de mettre en œuvre une politique de distribution de dividendes attractive pour les actionnaires. Dans le cas de la Sonatel, le bénéfice distribuable est tellement important (86 milliards FCFA) qu’on peut s’interroger raisonnablement sur l’opportunité d’effectuer des prélèvements sur les réserves.
De surcroît, la situation financière de la Sonatel montrant un volume assez important d’emprunt à moyen et long termes, le surplus distribué aux actionnaires aurait dû servir au moins au remboursement anticipé des emprunts afin d’améliorer corrélativement l’autonomie financière de la société.
En outre, au moment même où la Sonatel gâte ses actionnaires, ses clients ne cessent de fustiger la couverture très incomplète du réseau au niveau national (plusieurs zones rurales n’étant pas accessibles sur le réseau Orange) et de sa qualité insuffisante. Les consommateurs se plaignent ainsi des coupures intempestives de communication ; ce qui a valu à la Sonatel Mobiles de faire l’objet d’une sanction pécuniaire de la part de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART).
Le plus étonnant, c’est que l’Etat actionnaire, fasse une politique de courte vue (bénéficiant lui-même de 24 milliards de FCFA de dividendes) et accepte, sans broncher, ce mauvais choix stratégique du groupe Sonatel, coûteux pour l’économie et pour la société, à court, à moyen et à long termes. Il contribue même à l’encourager à poursuivre dans cette voie, en décidant de réduire l’impôt sur les sociétés de 33 à 25% du résultat brut, sans fixer de contrainte de réinvestissement du bénéfice. En retardant l’ouverture à une concurrence plus vive sur le fixe et sur le mobile, l’Etat n’incite pas non plus la Sonatel, qui se comporte de fait comme un monopole, à aller jusqu’au bout de ses efforts de modernisation et d’extension du réseau.
Au demeurant, la Sonatel peut aujourd’hui présenter des résultats astronomiques parce que l’Etat s’est trompé en 1997 dans l’évaluation de l’entreprise publique Sonatel à privatiser, en ne valorisant que le patrimoine physique (approche dite patrimoniale non adaptée à ce type d’entreprise), et en omettant les bénéfices futurs tirés de l’exploitation (notamment du téléphone mobile). Pour la Sonatel comme pour Sentel, l’Etat, du fait de son incroyable naïveté, a perdu des centaines voire des milliers de milliards de Francs CFA de la mauvaise gestion des cessions de licences mobiles (1).
Aujourd’hui, il est impérieux pour l’Etat de renégocier ces licences téléphoniques (comme le gouvernement, sous la houlette du président Abdoulaye Wade, y a pensé un moment avant de reculer pour des raisons inconnues) et de pousser la Sonatel à rééquilibrer ses options stratégiques, en donnant autant de poids aux dividendes qu’aux investissements de mise à niveau du réseau.
NOTE
(1) Des pays comme le Maroc qui n’ont pas fait la même erreur ont pu tirer plusieurs milliards de dollars de la concession de licences mobiles.
Source : Moubarack Lo , Economiste (SEN ACTU)