C’est Ernest Renan qui le dit et c’est l’Extrait de son livre « Qu’est ce qu’une Nation ? » Et il ajoute : « Nous sommes les héritiers de ceux qui sont morts ; solidaires de nos contemporains ; la providence de ceux qui vont naître ».
Ce rappel imagé de la vie des nations montre suffisamment l’étroite relation qui existe entre toutes les générations d’un même peuple, d’une même nation. Un portrait qui brosse avec précision celui de notre pays. A mon avis, chez nous en Mauritanie, le lien entre les générations trouve sa meilleure traduction par ce symbole qu’est l’héritage indestructible représenté par la langue, qui dans toutes les nations du monde se définit comme l’outil privilégié de communication entre les éléments d’une même société et conservateur de leurs culture.
En effet, la langue, quelle qu’elle soit, dans les quatre coins de la planète, est le véritable et unique moyen capable d’instaurer et de resserrer la cohésion et l’unité entre les fils d’une même Nation. Pour notre pays, les langues Arabe, Poular, Soninké ou Wolof ont joué ce noble rôle, étant donné qu’elles sont toujours restées un instrument capital permettant d’abriter sous le même toit et en symbiose parfaite une diversité culturelle des plus solides.
Toute fois, Il y a lieu de dénoncer l’intrusion, pendant quelques soixante ans, d’une langue étrangère (le Français) qui a bouleversé cet équilibre de la société mauritanienne, résultat d’une diversité linguistique en parfaite harmonie depuis des siècles. Ceci est d’autant plus vrai, si l’on fait un petit recul à la période postcoloniale où les premiers conflits au sein de la communauté mauritanienne sont apparus, favorisés par des désaccords sur l’identité linguistique troublée par la longue présence impérialiste.
A mon avis, cette langue qui est le français, ne devrait pourtant pas constituer un élément de division étant donné que tout le monde sait que c’est une langue de domination de l’ex colonisateur. Elle est aussi très indispensable aux anciennes colonies pour s’ouvrir au monde, pour leur mise à niveau, pour
l’éveil national dans un monde où la course vers le progrès et le développement est sans merci.
Alors, à l’indépendance du pays, s’est posé le dilemme suivant : quelle place allait prendre la langue française et comment rétablir dans son rôle naturel, la langue arabe, langue d’unité (Religion oblige:l’Islam). Et de résistance en période coloniale ?
Toutes les communautés du pays jouissant de leurs propres mœurs et us, qui différent en passant de l’une vers l’autre, en font et abstraction se retrouvent toutes quand il s’agit de répondre aux obligations religieuses, d’ailleurs porteuses de valeurs de solidarité, de fraternité, de tolérance et d’entraide.
C’est ainsi que, dans la précipitation, une politique d’arabisation mal ficelée et mal appliquée, donc mal comprise par les autres composantes de la nation, a fait plus de mal que de bien.
En 1966 et surtout en 1989-90-91, des événements douloureux et tragiques viendront mettre en mal une unité nationale encore fragile. Ils ont créé une énorme fissure dans les rangs de la nation et dans ses différentes composantes culturelles (Pular, Soninké, Wolof). Les langues nationales qui étaient jusque là, source d’une fierté multilinguistique de notre univers géographique arabo-africain, sont devenues l’objet d’un tiraillement exploité par les ex-colonisateurs d’une part, les panarabes ou les panafricanistes d’autre part, pour « diviser pour régner ». Résultat : les lourdes déchirures qui vont s’accumuler d’année en année, mises à profit par les hommes politiques pour dissimuler leurs échecs et qui, comme une bombe à retardement, ont explosé avec les événements de 1989 de part et d’autre du fleuve Sénégal.
A mon avis, comme d’ailleurs à l’avis de tous les penseurs contemporains, l’unité nationale est la condition sine qua none de tout développement. Sans elle, tout est voué à l’échec.
L’unité nationale suppose donc un effort collectif de dépassement de tous les événements douloureux du passé. Elle appelle à une conscience collective d’asseoir une paix sociale, indispensable à l’avènement de toute démocratie et de tout développement. Cette unité a ses exigences et pose une problématique existentielle. Les différentes composantes de la nation ont eu en commun une religion vieille de plus de mille ans ; elles ont défendu ensemble, sous la domination étrangère leur volonté d’indépendance politique, culturelle et sociale. Aujourd’hui, par rapport à l’avenir, l’exigence de convergence passe par le dépassement des positions stériles et par l’adoption d’un comportement convivial fait de confiance réciproque et d’estime partagée. A mon avis, cela veut dire qu’en termes de justice, il ne peut y avoir de société à deux vitesses. La loi doit s’appliquer d’une manière égale à tous les fils de ce pays. Cela veut dire aussi qu’en termes d’égalité des chances, toutes les filles et tous les fils de la nation doivent avoir un égal accès aux soins, à l’école et à l’emploi. Cela veut dire également qu’en termes de répartition, les fruits de la croissance doivent être partagés d’une manière équitable entre toutes les composantes de la nation. Sur ces exigences, sans ses valeurs capables de consolider l’unité nationale, l’on est sûr que nos dirigeants d’aujourd’hui nous préparent un monde « suicidaire ».
Au delà de l’opération actuelle de retour des déportés du Sénégal et de la réinsertion des « Mousafirines » (rapatriés mauritaniens expulsés du Sénégal), il est plus qu’urgent d’initier une nouvelle politique qui privilégie l’épanouissement des citoyens. A mon avis, cela doit passer par :
La généralisation de l’enseignement des langues nationales à tous les jeunes mauritaniens, La promotion et le développement des cultures des autres composantes de la société mauritanienne : culture Pular, culture Soninké, culture Wolof
En matière de droits de l’Homme et de Justice, à mon avis, il ne sert à rien d’imposer à une communauté donnée une langue étrangère : cela était vrai pour nous tous au moment de la colonisation. Cela reste vrai pour les différentes composantes de notre nation, toutes musulmanes, mais parlant leurs propres langues. Loin de constituer un handicap, les cultures de ces communautés nationales constituent une véritable richesse pour la nation : elles participent à la constitution du patrimoine culturel de la nation et donnent de notre pays une image d’une Nation pluriculturelle où la diversité enrichit beaucoup plus qu’elle ne dérange, unit sans diviser, dynamise au lieu de faire dépérir « la dimension culturelle de notre développement ».
Et c’est en cela que la fameuse formule d’Ernest Renan « la commune volonté de vivre ensemble », prendra toute sa signification et sa valeur pour une unité vraie, une cohésion réelle de notre nation.
Moulay Najim.
Note: info Source : Points Chauds Bimensuel N°97