Elle fut également un moment d’exception en ce que Obama a construit sa victoire en s’extrayant de la question communautaire et raciale et que son élection a de ce fait permis le frémissement d’un espoir non dit mais latent chez nombre de ses électeurs et supporters : la conviction qu’il sera un jour possible de basculer dans une société post-raciale.
Bref, la victoire d’Obama avait de quoi donner du souffle et de l’ampleur au débat relatif à la lutte contre les discriminations en France. Mais le débat aura, au contraire, profondément reculé, donnant l’impression que le nec plus ultra de la lutte contre les discriminations tournerait autour de la promotion de la «diversité» et de la mystérieuse «discrimination positive», le rideau de fumée sémantique cachant une absence de toute proposition qui remettrait en cause les équilibres de la société.
Lutter contre les discriminations raciales, c’est avant tout s’interroger sur le substrat culturel qui les rend possibles. Ce substrat, c’est évidemment la construction pseudo-scientifique de la notion de race. La vision dégradée que cette construction renvoya du noir et de l’arabe ne resta pas à l’état intellectuel puisqu’elle légitima un violent rapport d’inégalité – esclavagiste ou colonial - que la France a fort heureusement remis juridiquement en cause depuis plusieurs décennies. Problème : la base juridique a certes disparu mais le substrat culturel, bien que considérablement affaibli, continue à travailler chacune de nos consciences. Et pour cause : par un retour timide et ambigu sur son passé esclavagiste et colonial, la France n’a pas fini de vider un contentieux historique qui continue à nourrir des représentations et des rancœurs auxquelles il faudra bien un jour s’attaquer ! Ce qui demande d'autres actes que le vote en 2005 d'un amendement vantant le "rôle positif" de la colonisation ou encore l'exploitation populiste du thème de l'immigration qui semble avoir pour seule fonction de signifier que l'étranger se trouve exclu de la définition d'une identité nationale «formolisée».
Exemplarité du discours donc, mais également exemplarité des pratiques. En effet, il est stupéfiant que l’Etat puisse maintenir des discriminations légales à l’emploi envers les étrangers en vertu de dispositions qui empêchent les étrangers non communautaires de postuler à 6,5 millions d’emplois !
Enfin, lutter contre les discriminations raciales demande d’activer le maximum de leviers. Or, la France manque aujourd’hui de nombre d’outils et de procédures dont l’absence est une cause puissante de la lenteur du recul des pratiques discriminatoires dans notre pays.
Ainsi, l’introduction des «class actions» (actions collectives) et des dommages punitifs (1) devant la justice permettrait notamment de pousser les entreprises à réagencer leurs priorités et à faire de la lutte contre les discriminations une réalité déclinée dans les pratiques et les processus quotidiens.
Dans le même ordre d’idées, l’Etat doit conditionner la passation des marchés publics à des engagements précis de la part des entreprises. A titre illustratif, ces engagements pourraient être la formation des personnels de ressources humaines à la lutte contre les discriminations ou la remise en cause régulière des procédures de recrutement dont on sait qu’elles peuvent être fortement biaisées.
Enfin, il serait grand temps que l’Etat, dans une logique plus globale d’objectivation des mesures de recrutement, instaure le CV anonyme. En effet, un recruteur aura toujours tendance à écarter des candidats sur lesquels il projette, souvent inconsciemment, des préjugés. Le meilleur moyen de lever ces derniers, c’est de provoquer les rencontres entre celui – le recruteur - qui exprime le préjugé et celui – le candidat – sur lequel ce préjugé se trouve projeté.
En réalité, sur chacune de ces propositions, et c’est là où une grande responsabilité incombe au chef de l’Etat, toute excuse, tout blocage, tout retard sont bons à invoquer pour surtout ne pas avancer.
L’élite politique qui est à l’origine de ces blocages se trouve par ailleurs renforcée en cela par les autres cercles d’une élite sclérosée, prompte à nous faire passer pour du courage et de l’audace vis-à-vis de la société ce qui est en réalité accepté par cette société depuis de nombreuses années. Dans une société française métissée, il n’y a aucun courage à nommer un présentateur noir au JT du 20h.
Ces débats autour de la nomination de tel ou tel symbole issu de la « diversité » ne sont pas en soi illégitimes, notamment sur des postes où la décision de nomination comporte une part d’arbitraire. Mais, remarquons que la revendication de la «diversité» se trouve dans le débat français quasiment systématiquement déconnectée de la lutte contre les discriminations, comme si l’action sur les «couleurs» de l’élite était une fin en soi et non un éventuel levier pour aller plus avant dans la destruction des systèmes et des réflexes discriminatoires. Tout cela renvoie chez les élites en place à la volonté de se prémunir contre les critiques relatives à leur inaction en matière de lutte contre les discriminations. Pour reprendre la réplique d’un sketch de Thierry Le Luron, ce système de défense pourrait se résumer ainsi : «J’suis pas raciste, mon chien est noir !». L’élite veut ainsi camoufler l’absence de fluidité de sa sphère – l’élite n’aime pas la concurrence… - et sa volonté de ne pas faire grand-chose en matière de lutte contre les discriminations en intégrant de temps à autre quelques profils «atypiques».
La lutte contre les discriminations n’est pas un produit marketing. Elle renvoie à un projet de société exigeant, celui de la construction d’une France fraternelle et métissée. Elle demande pour ce faire que bien des petites baronnies soient bousculées, là où chaque pas provoque une levée de boucliers toujours habillée des meilleurs sentiments. Bousculer les baronnies, c’est non pas attendre leur assentiment pour mettre en place des réformes radicales en matière de lutte contre les discriminations mais leur imposer au besoin des réformes dont chacun sait qu’elles feraient reculer les discriminations. Mais bousculer les baronnies, c’est aussi avoir la conscience que les élites actuelles se caractérisent par une impressionnante déconnexion des enjeux réels de la société.
Si la France est autant en retard en matière de politique publique de lutte contre les discriminations et si elle s’interroge aussi gravement sur la possibilité de l’émergence d’un Obama français, c’est pour une raison dont les conséquences dépassent de loin la seule question discriminatoire : son élite, fut-elle «rénovatrice», n’exhale pas le souffle de la vie mais le souffle fétide des cachots où chaque nouvelle génération d’élites court s’enfermer pour soutenir le siège du mouvement réel de la société.
Par Dominique SOPO, Président de SOS Racisme.
(1) Les dommages punitifs sont des dommages et intérêts extrêmement élevés que doit verser une personne qui aurait été condamnée pour discrimination. Ils visent non pas à compenser le tort commis mais à envoyer un message de dissuasion à tous ceux qui seraient tentés de commettre la même infraction. En somme, ce sont des dommages préventifs et non compensatoires.