Conclusion
57 - Les associations d'immigrés du bassin du fleuve Sénégal favorisent une meilleure valorisation des transferts migratoires en direction du développement des communautés villageoises du bassin du fleuve Sénégal. La gestion collective des transferts migratoires a un impact beaucoup plus direct et déterminant sur l'économie locale et régionale que les actions entreprises individuellement ou au niveau des ménages. En effet, en l'absence d'action publique, l'organisation en association permet aux migrants sahéliens de réunir les fonds et les compétences nécessaires pour améliorer substantiellement les conditions de vie des populations et de surmonter certains obstacles au développement des communautés et régions d'origine. C'est notamment le cas pour des actions de grande envergure comme les projets qui visent à moderniser et à intégrer les activités locales dans l'économie marchande (irrigation, formation, réalisation d'infrastructures routières), ou encore à agir sur les marchés (coopératives d'achat ou de production,...). Par ailleurs, les initiatives des associations agissent en complément des transferts de fonds des immigrés destinés principalement à la subsistance des familles, en créant les conditions favorables à leur investissement dans des activités locales. De plus, en mettant en place des infrastructures destinées à l'ensemble de la communauté, elles assurent une distribution plus équitable de la rente migratoire au niveau des régions d'origine. Mais surtout, leurs actions ont permis de stimuler l'initiative locale en plaçant les populations dans une optique de changement.
58 - Toutefois, les initiatives des associations d'immigrés en faveur du développement de leur communauté et région d'origine sont limitées, dans le pays d'accueil et les pays de départ, par toute une série d'obstacles. En France, les conditions de vie et de travail difficiles que rencontrent les immigrés du bassin du fleuve Sénégal limitent leur engagement dans le développement de leur région. C'est notamment le cas pour les immigrés clandestins qui vivent dans des conditions précaires et privent en même temps les villages de leur force vive (Libercier, 1996). De plus, les associations d'immigrés se heurtent à la faible reconnaissance des pouvoirs publics et des autres acteurs de développement. Or, leurs initiatives ont besoin le plus souvent du soutien financier et technique de ces institutions pour aboutir. Les financements publics restent difficiles à obtenir pour les réalisations des associations d'immigrés en raison de leur situation particulière à cheval entre deux pays. Ces dernières années ont vu le renforcement et la diversification de la participation des ONG françaises dans les actions entreprises par les associations d'immigrés, ainsi que l'apparition en France de nouveaux partenaires de la coopération décentralisée (communes, départements et régions). Cependant ce soutien reste largement indirect et encore insuffisant.
59 - Quant au niveau du pays d'origine, les associations d'immigrés buttent sur un environnement économique et politique peu favorable à la valorisation des transferts migratoires. L'enclavement de la région, les lourdeurs administratives et l'absence de dispositifs de soutien aux actions des immigrés limitent leurs initiatives en faveur du développement de leur région.
60 - Le renforcement des actions des associations d'immigrés passe donc, avant tout, par la reconnaissance du rôle des associations dans le développement de leur région d'origine par les Etats concernés et les autres acteurs du développement. En France, celle-ci permettrait une meilleure articulation entre les politiques d'immigration et de coopération internationale (Allievi, 1992, Daum, 1995). La politique d'immigration française devrait être axée sur une meilleure intégration des populations immigrées notamment par une amélioration de leur accés au marché du travail en France. Des efforts ont été faits en ce sens avec la mise en oeuvre cette année d'un programme de régularisation qui permettra à certaines catégories d'immigrés clandestins d'améliorer leur situation par rapport à l'emploi. En outre, la politique d'immigration devrait s'accompagner d'une plus grande reconnaissance par l'Etat Français des associations d'immigrés comme partenaires de la coopération internationale. Si le gouvernement français reconnait de plus en plus que l'arrêt des flux migratoires passe par le développement des régions d'origine5, il continue à ne pas accorder aux associations d'immigrés un traitement équivalent à celui des autres ONG, notamment en matière de financement.
61 - Au niveau des pays sahéliens, les efforts devraient porter sur l'amélioration de l'environnement économique et administratif. La modernisation, par exemple, des secteurs financiers nationaux permettrait de mieux valoriser les envois de fonds et de répondre aux demandes de crédit qu'induisent les initiatives des immigrés. La décentralisation entreprise par le gouvernement malien au début des années 90, devrait avoir un effet dynamisant sur l'action des associations de ces ressortissants en France.
62 - Dans l'ensemble, on ne peut que souhaiter une plus grande articulation entre les politiques migratoires et de coopération internationale des pays d'origine et d'accueil. Un dispositif pourrait être envisagé regroupant l'ensemble des acteurs du développement intervenant dans le bassin du fleuve Sénégal, y compris les immigrés et les représentants de leur village d'origine, dont l'objectif serait de soutenir les initiatives des associations de migrants et de veiller au bon déroulement d'effets d'entraînement et de dépassement inhérent à ces projets (Quiminal, 1994). Plusieurs initiatives récentes vont dans ce sens. On peut citer la tenue en janvier 1997 à Kayes au Mali, d'un Forum réunissant des représentants des deux gouvernements concernés, des ONG travaillant dans la région, des bailleurs de fonds et des immigrés. Ce grand rassemblement s'est achevé par l'adoption d'un programme régional de développement et de désenclavement de la région auquel la France et la communauté européenne participeront en finançant la modernisation de la voie-ferrée Dakar-Bamako et la construction de plusieurs centaines de kilomètres de routes goudronnées (Bernard, 1997).
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