LE "BIROU" ( La Circoncision )
Auteur : Adama Coumba CISSÉ
Extrait du Livre : "Les Soninké du Fouta" , PHENIX Agence de Communication, DAKAR, 1996.
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Le Birou représentait un événement essentiel dans l'existence d'un Soninké. Il servait de référence pour définir les dates exactes des naissances et des mariages. Chaque Birou, avait un chef. A Waoundé, c'était le plus âgé des adolescents Soumaré qui était toujours désigné. Ainsi parlait-on du Birou de X ou Y, comme on faisait état d'un règne, d'une présidence ou d'une législature. Si l'on pouvait oublier beaucoup de choses, le temps aidant à atténuer les souvenirs, trompant la mémoire, un Birou restait, en revanche, inoubliable. Il faut préciser qu'à l'époque, l'usage du calendrier grégorien n'était pas entré dans les moeurs. Pour bien comprendre l'organisation relative de cette initiation, il est nécessaire d'expliquer sommairement l'administration des villages Soninkés. La population se compose, en effet, de familles différentes destinées à jouer un rôle particulier, dans la vie socioculturelle, en fonction de ses origines.
Nous allons tenter de définir rapidement le rôle de chaque famille composant Waoundé, à l'époque des anciens. L'évolution culturelle et démocratique actuelle brouille un peu les pistes. En leur qualité de descendants du fondateur du village, seuls les Soumaré pouvaient prétendre au titre de chef de ce village. Cette fonction revenait de droit au plus âgé d'entre eux. Toutefois, les dons personnels de celui qu'occupait cette fonction déterminaient, seuls, le degré de respect, de considération et de dévouement des villageois à son égard. Même de nos jours, un bon Débégoumé [1] appelle toujours la vénération. Bien sur, il n'avait jamais existé de Débégoumé parfait; puisque l'espèce humaine ne peut l'être. Pourtant si l'on en croit la légende, certains Débégoumé et même des Camara ont poussé l'abnégation jusqu'à se sacrifier pour la liberté et le bonheur de leurs administrés. Mais s'agit-il seulement d'une légende, puisque de tels patriotes existent encore dans notre monde contemporain ? Les Camara ont une réputation de courage. Ils jouent un rôle important dans la vie du village. Depuis toujours, on leur connaît une sorte de vocation de législateurs et d'officiers de police. Aux Siby revenait un rôle analogue à celui des magistrats assermentés. Ils avaient toujours occupé la fonction de collaborateurs du chef de village qu'ils pouvaient influencer. Selon une légende transmise par les griots, leurs ancêtres auraient signé un pacte en ce sens.
Le rôle des marabouts se limitait aux questions religieuses. L'éducation et le tribunal islamique étaient pris en charge par les Diagana. Les Cissé dirigeaient les prières, alors que la gérance des Mosquées appartenait aux Diakhaté.
Les neutres - dioncourous - ont toujours assuré l'arbitrage en cas de conflit tribal, puisqu'ils ne sauraient prendre parti ni pour les Soumaré ni pour les autres familles composant la population du village. Leur rôle est, évidemment, essentiel pour l'équité et la bonne harmonie.
Les griots " Nikhamala " ont des vocations multiples.
Les Yatéra, Karaté, Dioumassi sont toujours des forgerons; comme les Wassa des guitaristes ou les Kossoré des tambourineurs. Les cordonniers également ne peuvent être que des Soumbounou. Il est à préciser cependant que ce qui vient d'être dit sur ces familles et leurs rôles ne saurait que concerner les Soninkés du Fouta. En revanche, pour ce qui est de ce caractère particulièrement sensible à l'humour appelé " Kalingorakhou ", il se retrouve chez tous les Soninkés du monde.
Ainsi, les Cissé et les Camara peuvent-ils se taquiner en public, échanger des propos un peu crus, charrier les uns et les autres, etc... Un Cissé parlera sans détour de la beauté d'une femme Camara, la vantera, même si la femme concernée est mariée.
C'est pour ces raisons que l'auteur, qui est un Cissé s'est autorisé à citer les noms de Mamadou Camara et de Cira Camara pour expliquer les jeux infantiles. Un Camara qui aura lu cette anecdote - quels que soient ses origines et son niveau intellectuel - sera enchanté en remarquant qu'elle a été écrite par un Cissé. Cette tradition est très répandue en Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement chez les Soninkés.
En ce qui concerne les " Birous ", il appartient aux notables du village de fixer le calendrier de cet événement. Cela, au moins une dizaine de mois à l'avance. Si l'initiation était toujours prévue entre Avril et juin, le gaïndé [2] commençait dès Janvier.
Tous, sans distinction d'âge ni de sexe, participaient à la danse. Elle était l'une des plus belles. On l'accompagnait de poèmes anciens, du temps de Soundiata Keita et on dansait le " Sodia "
l'héroïsme.
De toutes les danses cette dernière avait toujours été la préférée de Yéro. Assis au milieu de la place du village, les futurs initiés seront entourés par les danseurs. Les batteurs de tam-tams mettront tout leur art à tambouriner, accompagnés du battement des mains. Dès que les chanteurs commenceront à se faire entendre, la danse pourra débuter.
Chaque poème correspond à un rythme spécial. En voici quelques uns figurant lors d'un gaïndé :
Tu as l'âge, la force et le courage
Pour devenir le défenseur de demain
Ecoutes bien les chants des héros
Yé Yé Sodia
Ce que les belles fleurs te chantent
T'endurcira le coeur et l'âme pour demain
Ecoutes bien les chants des héros
Yé Yé Sodia
Tu seras le protecteur des forêts vierges
Demain quand tu seras initié
Ecoutes bien les chants des héros
Yé Yé Sodia
L'homme de demain a la main rude
L'esprit large et le coeur d'or
Ecoutes bien les chants des héros
Yé Yé Sodia
Nous avertirons les lions des forêts
De ton intégration dans les rangs des héros
Ecoutes bien les chants des héros
Yé Yé Sodia
Des héros capables de prendre des lions
En main et des éléphants
géantsEcoutes bien les chants des héros
Yé Yé SodiaN'aies pas peur des féticheurs forgerons
Grâce à eux tu deviens héros
Ecoutes bien les chants des héros
Yé Yé Sodia
Les futurs initiés, cette chanson, ils l'entendront pendant des mois. La danse se déroule, sur la place, une ou deux fois par semaine. Mais la dernière d'entre elles appelée Rippo, ne sera exécutée que le matin du jour précédent l'initiation. Elle est plus spectaculaire que les autres danses et est réservée aux futurs initiés. Elle est destinée à leur insuffler le courage. En effet, aucun signe de peur ne saurait apparaître dans le regard des garçons qui seront le point de mire de toute la population du village, parce qu'ils traverseront la première épreuve de leur vie. Chaque parent devra pouvoir être fier de son fils, louer sa vaillance. Aussi, malheur à celui qui ne saura retenir une grimace!...
La veille au soir, les futurs initiés, se trouvent regroupés chez le Baâo [3].
A Waoundé, une famille de Soumaré était toujours chargée de cette tâche qui impliquait une lourde responsabilité. Les garçons passeront la nuit étendus sur des nattes. Puis à l'aube suivante, un Somby bien chaud, sinon bouillant, leur sera servi. L'aspect brûlant de cette nourriture est particulièrement significatif : il doit prévenir ceux qui en recevront que la journée qui s'ouvre devant eux sera aussi chaude. Vers sept heures vient la visite au fleuve, en la compagnie du Baâo. Il ne s'agit pas simplement de se baigner, mais aussi de recueillir le consentement du Djiin vivant dans ses eaux, le Mouno. Le Mouno étant le symbole de la famille du Baâo, celui-ci doit-il le consulter.
Selon les dires, les membres de cette famille ont le pouvoir d'entrer en contact direct avec le Mouno. Cela quand ils le désirent, mais par le biais, bien évidemment, de pratiques qui leurs sont propres. Pendant la visite que le Baâo et les futurs initiés rendent au fleuve, les forgerons auront aiguisé leur couteaux et se seront déguisés d'une manière repoussante : visage maculé de sang d'un poulet, vêtements très courts et également tachés. Leur couteau ensanglanté à la main, ils gesticuleront en. poussant des cris effrayants destinés à troubler les garçons qui seront livrés à leur soins. Ceux-ci pourtant ne céderont pas à la crainte. D'une part les chants héroïques aux mille significations qu'ils auront entendu soutiendront leur courage. Puis surtout, quel qu'en soit le prix, ils s'interdiront d'humilier "leur famille.
Avant ce jour fatidique, depuis des mois, le Baâo et le doyen des forgerons s'étaient employés à réunir les plantes médicinales : celles qui devront préserver de l'influence des sorciers, celles qui auront un effet aseptisant, enfin qui cicatriseront les plaies. " Amputez ! " ordonna le doyen. Alors les chirurgiens se mettront à tailler, à trancher. Les initiés en dépit de leur âge, exigeront la présence de leurs parents. Non pour être ainsi rassurés, mais pour que ceux-ci remarquent bien leur courage. Impressionnés et satisfaits par autant de vaillance, les parents devront offrir un cadeau de prix dont la valeur dépendra de leurs moyens. Seront ainsi donnés : un cheval, une vache ou une parcelle de terrain. Un oncle, enthousiasmé par le courage de son neveu, lui offrira la main de sa fille. Le fait n'était pas rare; puisque la moitié
des mariages, contactés à cette époque, étaient conclus ainsi - l'union entre cousins et cousines ne fait, au Sénégal, l'objet d'au cune interdiction - .
Outre la présence de ses parents, Mamadou Camara exigea celle de sa copine, une Camara également. Il voulut ainsi démontrer qu'en dépit de la faiblesse des Camara pour les femmes, la réputation de
courage de sa famille se trouvait justifiée une fois de plus. Puis ne serait-ce pas cette copine qui serait chargée de le nourrir, pendant toute la durée du Birou ?
Le retour des initiés dans leur quartier général - un endroit spécialement aménagés pour eux, à l'écart du village - se fit à cheval. A chaque fois que Yéro devait, par la suite, évoquer ce souvenir, à chaque fois, il en éprouvait un certain froid dans le dos. Comment pouvait-on faire monter, sans selle, un enfant qui se trouvait amputé d'une partie de ce membre si délicat!. L'enfant avait tellement été galvanisé par les chansons dites " des héros " que rien ne lui faisait plus mal. Malgré l'hémorragie de son membre, en dépit du déguisement horrible des forgerons, des larmes versées par sa mère, il riait et chantait.
Il s'adressait à son oncle où à l'un de ses parents présents et montrait son pagne sanglant :
" Regarde-moi. Ai-je peur ? "
Non, il n'avait pas peur. Il ne pouvait plus avoir peur car, désormais, il était un grand Soninké et se rappellerait éternellement des chants sacrés. Pendant toute la durée du Birou, Cira Camara s'était chargée de confectionner les repas de Mamadou Camara. Dans cette affaire d'hommes, les copines se voyaient attribuer un rôle non négligeable. Aussi quelques jours avant l'initiation de leurs fils, les parents Camara avaient-ils demandé à celui-ci le nom de sa copine.
" Qui est ta copine ?
- Cira Camara. "
Un griot de la famille s'était vu aussitôt délégué auprès des parents de la demoiselle. Celle-ci devait, en effet, être autorisée à préparer la nourriture de son copain. En fait, il ne s'agissait-là que d'une simple formalité puisque la coutume, elle-même, exigeait que l'autorisation fût d'emblée accordée. Relégués dans leur centre, les initiés n'avaient en aucun cas le droit d'avoir des contacts directs avec des personnes mariées. Seuls étaient admis auprès d'eux leurs copines, le Baâo et les assistants de celui-ci, des hommes ayant l'habitude de panser les plaies. L'emploi des plantes médicinales donnait de très bons résultats. Après une semaine seulement de traitement, les plaies se cicatrisaient. Cela en dépit du fait que le même couteau avait servi à pratiquer des dizaines et des dizaines d'initiations et n'ait jamais été désinfecté entre celles-ci. Les pansements contenaient aussi des fibres d'un arbre, appelé " diébbé ".
En dépit de ces méthodes rudimentaires, aucun cas de tétanos ou plus simplement, aucune complication dans la cicatrisation des plaies, n'était à déplorer. Les filles s'appliquaient pour confectionner les repas de leurs copains initiés en se conformant strictement aux recettes que le Baâo leur avait communiquées. Un certain régime alimentaire devait, en effet, être observé pendant toute la durée du traitement. Outre leur rôle de cuisinières, les copines se chargeaient aussi de véhiculer les nouvelles des familles, ou du village d'une manière
plus générale. Pendant que la fille racontait, son copain l'écoutait affectueusement. Leurs regards se cherchaient, se rencontraient, s'attardaient. Elle, pleine de compassion pour sa souffrance, se voulait douce, réconfortante. Lui, reconnaissant pour tout ce qu'elle faisait pour lui, s'attachait à lui faire comprendre sa gratitude. Pourtant Yéro détestait cette sorte d'amitié née entre les adolescents des deux sexes.
Cira Camara et Mamadou Camara s'adoraient. Bien que la jeune fille fût déjà fiancée à un autre, ils se caressaient au vu et au su de tous. Il est vrai qu'à cette époque, les jeunes fiancées n'étaient amais consultées sur le choix de celui que leur famille leur destinait pour époux. Yéro demeurait choqué néanmoins devant un tel comportement. Il s'agissait, tout de même, pour Cira Camara, de fiançailles en bonne et due forme !
A cette époque, le copain avait droit à l'affection, aux caresses et petites embrassades de la jeune fille; tandis qu'il n'était même pas permis au fiancé de celle-ci de lui adresser la parole. Plus encore, la fiancée se devait de se cacher dès qu'il s'approchait d'un lieu ou elle se trouvait elle-même.
Les circonstances ainsi créées s'opposaient à l'existence de la moindre estime de la part du fiancé envers le copain. La situation qu'ils connaissaient était d'autant plus pénible que très souvent il s'agissait de cousins. Même s'ils n'étaient pas directement apparentés, le village était tout de même très petit. Parfois cette jalousie se transformait en une haine qui ne s'éteindrait jamais entre les deux hommes.
La vie au Birou cessait avec la guérison complète de tous. Le Baâo établissait, alors, un calendrier fixant la date de la fin du Birou. Le jour où celui-ci se terminait était, tout à la fois, un jour de joie et de tristesse. Ce sera un jour de joie car il donnera lieu à des réjouissances. Ce jour-là, il sera aussi permis aux initiés de s'emparer de tout ce qu'ils trouveront dans les rues ou même dans les maisons moutons, cabris, poulets, etc... pour se régaler de leur chair. Ce sera aussi un jour de tristesse car les initiés devront chanter des poèmes dont l'origine s'est perdue. Peut-être avaient-ils été composés par les anciens Soninkés ? Ces poèmes préviennent les garçons que la vie d'homme qui les attend ne sera pas toujours facile. Les paroles disent également que beaucoup. d'entre eux qui ont connu le Birou ensemble ne connaîtront pas forcément tous le mariage. Le destin se fera différent pour chacun d'eux : certains auront la vie facile, d'autres plus dure. Certains vivront longtemps, d'autres mourront dans leur jeune âge. La chanson remplit les yeux de larmes, assombrit les coeurs et les esprits. En l'entendant, les jeunes imagineront cet avenir qui est dépeint d'une manière douceamère; alors que les vieux se souviendront de tous les événements de leur vie déjà bien avancée.
Ces derniers penseront à ceux qui ne sont plus et avec lesquels, un jour, ils avaient chanté cette même chanson. Ils reverront ces compagnons morts en Europe, pendant la guerre, ou tués dans les lointaines contrées d'Afrique où ils commerçaient. Sans songer uniquement aux disparus, ils évoqueront aussi ces hommes devenus infirmes à la suite d'une maladie tropicale qui n'avait pu être convenablement soignée.
Ainsi cette dernière journée du Birou sera-t-elle empreinte de mélancolie, d'appréhension et mouillée de larmes du souvenir. Cette fois, surtout, les femmes ne seront plus les seules à les verser.
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1. Le chef du village
2. La danse des héros
3. Protecteur des initiés contre les sorciers et démons.