Le retour des initiés dans leur quartier général - un endroit spécialement aménagés pour eux, à l'écart du village - se fit à cheval. A chaque fois que Yéro devait, par la suite, évoquer ce souvenir, à chaque fois, il en éprouvait un certain froid dans le dos. Comment pouvait-on faire monter, sans selle, un enfant qui se trouvait amputé d'une partie de ce membre si délicat!. L'enfant avait tellement été galvanisé par les chansons dites " des héros " que rien ne lui faisait plus mal. Malgré l'hémorragie de son membre, en dépit du déguisement horrible des forgerons, des larmes versées par sa mère, il riait et chantait.
Il s'adressait à son oncle où à l'un de ses parents présents et montrait son pagne sanglant :
" Regarde-moi. Ai-je peur ? "
Non, il n'avait pas peur. Il ne pouvait plus avoir peur car, désormais, il était un grand Soninké et se rappellerait éternellement des chants sacrés. Pendant toute la durée du Birou, Cira Camara s'était chargée de confectionner les repas de Mamadou Camara. Dans cette affaire d'hommes, les copines se voyaient attribuer un rôle non négligeable. Aussi quelques jours avant l'initiation de leurs fils, les parents Camara avaient-ils demandé à celui-ci le nom de sa copine.
" Qui est ta copine ?
- Cira Camara. "
Un griot de la famille s'était vu aussitôt délégué auprès des parents de la demoiselle. Celle-ci devait, en effet, être autorisée à préparer la nourriture de son copain. En fait, il ne s'agissait-là que d'une simple formalité puisque la coutume, elle-même, exigeait que l'autorisation fût d'emblée accordée. Relégués dans leur centre, les initiés n'avaient en aucun cas le droit d'avoir des contacts directs avec des personnes mariées. Seuls étaient admis auprès d'eux leurs copines, le Baâo et les assistants de celui-ci, des hommes ayant l'habitude de panser les plaies. L'emploi des plantes médicinales donnait de très bons résultats. Après une semaine seulement de traitement, les plaies se cicatrisaient. Cela en dépit du fait que le même couteau avait servi à pratiquer des dizaines et des dizaines d'initiations et n'ait jamais été désinfecté entre celles-ci. Les pansements contenaient aussi des fibres d'un arbre, appelé " diébbé ".
En dépit de ces méthodes rudimentaires, aucun cas de tétanos ou plus simplement, aucune complication dans la cicatrisation des plaies, n'était à déplorer. Les filles s'appliquaient pour confectionner les repas de leurs copains initiés en se conformant strictement aux recettes que le Baâo leur avait communiquées. Un certain régime alimentaire devait, en effet, être observé pendant toute la durée du traitement. Outre leur rôle de cuisinières, les copines se chargeaient aussi de véhiculer les nouvelles des familles, ou du village d'une manière
plus générale. Pendant que la fille racontait, son copain l'écoutait affectueusement. Leurs regards se cherchaient, se rencontraient, s'attardaient. Elle, pleine de compassion pour sa souffrance, se voulait douce, réconfortante. Lui, reconnaissant pour tout ce qu'elle faisait pour lui, s'attachait à lui faire comprendre sa gratitude. Pourtant Yéro détestait cette sorte d'amitié née entre les adolescents des deux sexes.
Cira Camara et Mamadou Camara s'adoraient. Bien que la jeune fille fût déjà fiancée à un autre, ils se caressaient au vu et au su de tous. Il est vrai qu'à cette époque, les jeunes fiancées n'étaient amais consultées sur le choix de celui que leur famille leur destinait pour époux. Yéro demeurait choqué néanmoins devant un tel comportement. Il s'agissait, tout de même, pour Cira Camara, de fiançailles en bonne et due forme !